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Les établissements les plus récents ouvrent dans le quartier des abattoirs. Lofts et hangars abritent désormais une bonne partie des bars à la mode. Les créateurs new-yorkais puisent également leur inspiration dans le Vieux Continent, osant ce que nous n'osons pas !
; Sylvie Soubes
Meat Packing Distric. Traduisez le quartier des
abattoirs et des marchands de viande. Quelques 'blocs' au sud-ouest de Manhattan, à
proximité de Chelsea, entre la 9e et la 14e rue. Depuis 3 ans, les créateurs en quête
d'espace se sont rabattus sur ces hangars aux loyers 'modérés' pour la métropole
new-yorkaise. Deux mondes semblent désormais se disputer les lieux sans jamais se
rencontrer. Le jour, le va-et-vient des camions qui chargent et déchargent s'apparente à
celui de Rungis. La nuit, le ballet des taxis redouble d'activité passé 22 heures. Une
population variée, tantôt outrancière dans le cuir et les strass, tantôt branchée,
s'échappe alors des vieilles Ford jaunes sous le regard indifférent des drivers.
Market est l'un des plus anciens bars-restaurants à s'être aventuré ici, suivi du Lot
61, de Fressen, de Pastis ou encore de l'Appart, ouvert en novembre 2000. Deux tendances
se distinguent. Les uns déploient une façade qui annonce clairement l'esprit du lieu et
d'autres, à l'inverse, se cachent derrière une vitrine anonyme. Pastis appartient à la
première catégorie. Lancé par Keith McNally, le concept prend son inspiration dans la
brasserie parisienne. La plupart des inscriptions sur les vitres et les stores sont
d'ailleurs écrites en français : soupe à l'oignon gratinée, ufs au plat, grande
salle intérieure, cuisine traditionnelle, vins de pays... Le décor, partagé entre bois,
miroirs et carrelage, est un hommage à l'apéritif marseillais. Des bouteilles de pastis
remplissent des pans entiers de mur, derrière le bar, sur la cloison qui mène aux
cuisines... Il y a bien là plusieurs centaines de bouteilles. Pour ceux qui fréquentent
régulièrement New York, Pastis est comparable à Balthazar. Les femmes y viennent seules
pour prendre un verre et bouquiner. On s'y retrouve entre amis, pour discuter, déjeuner
ou dîner tard. La cuisine est principalement française.
Pour vous rendre chez Fressen, mieux vaut se faire accompagner de quelqu'un qui connaît
déjà l'établissement. Non pas qu'on vous refusera l'entrée si vous êtes correctement
habillé et avez pris soin de réserver, mais la façade est opaque et le nom est si
discrètement écrit à mi-hauteur de porte, qu'il est franchement difficile de situer
l'entrée. Autre ambiance, cette fois typiquement new-yorkaise, tant dans le design
épuré que dans l'esprit, un grand bar à droite du desk autour duquel on traîne une
demi-heure, une heure, un Daiquiri in the dark (rhum, citron), un Brooklyn Chocolate Stout
ou un verre de chardonnay (Napa Valley de préférence) à la main. C'est seulement
ensuite qu'on passe à table.
A New York, "un barman pense d'abord à accrocher le client. Pas à le voler",
Mathias, barman au Lot 61.
Jusqu'à 400 dollars par service
L'Appart, comme son nom l'indique, ressemble beaucoup à l'intérieur d'un appartement.
Pas la moindre enseigne visible. On vient uniquement par connaissance. Derrière une porte
d'immeuble tout ce qu'il y a de plus anodin, un long couloir conduit au salon : fauteuils,
canapés, lit, doubles rideaux, bar, étagères et bouquins. En sous-sol, une seconde
pièce. Des murs nus incrustés de lumières. Un bar central et quelques sièges hauts
tout autour. L'Appart ne vient pas concurrencer le Lot 61. L'Appart est plus petit, plus
feutré.
On aime le Lot 61 pour la sensation de grandeur qu'il offre dans une ville confrontée au
coude à coude perpétuel. Une femme, ancien mannequin, le dirige. L'art contemporain
tient une place importante dans l'aménagement. La hauteur sous plafond - plus d'une
dizaine de mètres - est impressionnante. On entre directement sur le bar. L'arrière bar
regorge de bouteilles d'alcool dont une large gamme de vodkas. Shaker en main, les deux
barmen se plaisent à animer leur office. Ils rient, parlent fort, jonglent avec les
cuillères et débitent avec une étonnante rapidité les cocktails les plus audacieux,
comme le cocktail à l'huître, spécialité maison.
Mathias, d'origine française, fait partie de l'équipe. "Ici, c'est un bon
établissement pour travailler. On gagne bien sa vie, mais c'est aussi à qui sera le
meilleur. Tout le monde se sent concerné, et cela, dès le contact par téléphone."
Au Lot 61, on fait tout pour garder le client. "L'établissement est modulable et
présente des espaces différents. Les gens ne restent pas à une table toute la soirée.
Ils commencent d'abord au bar, dînent ensuite et bougent de nouveau après avoir mangé.
Ils vont s'asseoir dans les canapés, prennent un dernier verre." Une table
dépense un minimum de 250 dollars. Quant au personnel, payé uniquement au service, il
touche jusqu'à 300, voire 400 dollars par soirée. En tant que manager, Mathias fait en
sorte que le travail de l'équipe soit toujours facilité. "Il y a beaucoup de
monde, ça va très vite. Une bonne organisation est essentielle. Et puis, il faut que le
personnel se sente à l'aise si on veut qu'il soit disponible." A New York,
"un barman pense d'abord à accrocher le client. Pas à le voler".
Mathias insiste sur la notion. Un autre Français, ayant exercé plusieurs années à New
York, confirme : "Comparativement à la France, les équipes sont beaucoup plus
solidaires entre elles. Les gens sont là pour gagner de l'argent mais cela passe, pour
eux, par l'efficacité et l'amabilité. Il y a énormément de concurrence et on fera tout
pour être les meilleurs aux yeux du client."
Chic et choc
Il est vrai que New York ne manque pas d'adresses à la mode, même si certaines sont
éphémères. Aller à leur découverte est toutefois toujours enrichissant. Parmi les
plus récentes, on s'aperçoit que le modèle européen revient en force. On l'a vu avec
Pastis ou Balthazar. Il en va de même avec Gitane, entre Houston et Prince, sur Mott
Street. La marque de cigarettes est déclinée dans la mosaïque sur les murs et au sol.
Le code couleur de l'établissement est bleu et blanc. A l'intérieur, le mobilier
s'apparente à celui de nos vieux troquets. Au 415 Lafayette Street, le Belgo (il en
existe plusieurs aux Etats-Unis) fait quant à lui un clin d'il au plat pays en
servant des bières belges à la pression. Si le bar pourrait très bien siéger à
Bruxelles, la décoration, et notamment ces alignements de chaussures sur le mur d'un
couloir, vous rappelle qu'il faut s'appeler New York pour tout oser.
Au Bar 89, sur Mercer Street, il faut absolument se rendre aux toilettes. Les portes des
W.-C. sont transparentes. Un système les rend opaques lorsqu'elles sont occupées (ouf
!). La mode est également aux tables d'hôte. Le restaurant de l'hôtel Morgans, Asia de
Cuba, propose une grande salle au centre de laquelle se dresse une longue table d'hôte.
Signé Philippe Starck, le décor de draperies blanches abrite dans un coin une cheminée,
dans un autre un bar, le tout sur plusieurs niveaux. C'est, dit-on, l'un des lieux les
plus chic de Manhattan. Autre ambiance, avec Casa La Femme : ce bar-restaurant abrite des
tentes de soie, avec poufs, tables basses, riches tissus orientaux, tapis... En été, le
parquet est recouvert de pelouse ! Décidément, New York est pleine de surprises. n
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L'HÔTELLERIE n° 2714 Supplément Licence IV 19 Avril 2001