La Mère Brazier à Lyon
Installée depuis 30 ans au 12, rue Royale dans le restaurant créé par sa grand-mère Eugénie, Jacotte Brazier perpétue une tradition gastronomique que sut entretenir, dans le même lieu, son père Gaston. Elle vient de fêter, en famille, les 80 ans de l'installation de la célèbre Mère Brazier à Lyon.
Les Brazier, c'est avant tout
une histoire de famille. Celle d'Eugénie, fille de paysans de l'Ain, très vite obligée
de gagner sa vie pour élever un fils né de père inconnu. Ce 'statut' de fille-mère lui
valut d'être mise à la porte de la maison familiale par son père et l'obligea à
s'exiler à Lyon.
Cuisinière chez les Milliat, fabriquants de pâtes alimentaires, puis chez Mère Fillioux
avant de sacrifier ses économies pour s'installer : voilà un parcours que Jacotte
Brazier connaît par cur.
Si elle n'a pas reçu de sa grand-mère l'affection qu'une gamine est en droit d'attendre
d'une aïeule, elle a reçu en héritage l'un des noms les plus prestigieux de la cuisine
française. Elle n'ignore rien de sa chance et de la valeur du cadeau.
Etait-elle pour autant prédestinée à assumer la succession ? Pas certain. Son père
Gaston, qui succéda à sa mère dans l'immédiat après-guerre lorsqu'elle s'installa
définitivement au col de la Luère, lui interdisait l'accès des cuisines de la rue
Royale. Par contre, en lui mitonnant une 'enfance de bonheur' dans un vrai univers
d'enfant, il adorait la régaler de bons petits plats. Et Jacqueline - Jacotte pour la
famille et les amis -, tout comme sa sur Anne-Marie, ne se privait pas d'une aubaine
qu'elle faisait partager à ses petits copains. Sacrée ambiance donc dans un restaurant
étoilé chez Michelin sans discontinuer depuis 1933 : à 3 étoiles d'abord
jusqu'en 1939, à 2 ensuite jusqu'en 1972 et à 1 étoile aujourd'hui. Vocation alors pour
Jacotte ? Pas franchement, mais sa mère Carmen - passée jadis par une école hôtelière
- décida que Lausanne serait une bonne destination pour sa fille.
Celle-ci ne songea pas à contrarier ses plans, passant une dizaine d'années en Suisse...
avant que la maladie de son père ne la ramène dans cette rue Royale où elle passa le
plus clair de son enfance. Deux ans plus tard, au décès brutal de Gaston Brazier, elle
réalisa qu'elle était investie d'une mission à la tête du restaurant : avec sa
sur Anne-Marie et sa mère Carmen pendant quelques années, et seule désormais avec
une mère qui, à 85 ans, ne manque aucun service du déjeuner ! "Ma grand-mère
déplorait parfois que ses petites-filles soient élevées comme des filles d'industriels
aisés. Elle nous aurait plutôt mises à la plonge ! C'est vrai que je n'ai jamais connu
un débordement d'affection de sa part, mais elle était dure avec elle-même et sa
famille. Toute à son travail, elle n'avait guère le temps de penser à la tendresse. Je
mesure pourtant l'inestimable chance de porter aujourd'hui son nom."
Ambiance particulière
Depuis le premier service le 10 avril 1921, le restaurant de la rue Royale n'a guère
changé. Les célèbres carreaux de faïence posés par Eugénie son toujours là.
L'ambiance si particulière des deux salles et des petits salons de l'étage - une rareté
aujourd'hui à Lyon. Et sur la carte, pratiquement immuable, on retrouve Fonds
d'artichauts au foie gras, Quenelles au gratin, Volaille de Bresse demi-deuil, Glace
vanille au chocolat chaud accompagnée d'une galette bressane que la Mère Brazier mit si
longtemps à l'honneur.
"J'ai grandi dans cet esprit et je n'ai pas envie de proposer autre chose dans ma
maison. Avouez que ce serait dommage de faire ce que tout le monde fait. Je crois que les
gens ont besoin de racines et de cette identité qu'ils peuvent retrouver ici",
professe Jacotte, consciente de détenir un drôle d'héritage.
Depuis 80 ans donc, en cette rue Royale désormais contiguë à la rue Eugénie Brazier,
les Lyonnais viennent retrouver leurs racines. Et les maires de Lyon, dont Gérard
Collomb, le dernier en date, ne sont pas en reste. Ils ne font que suivre en cela
l'exemple de leur prédécesseur Edouard Herriot qui avait ses habitudes ici. Gourmand de
saucisson chaud et de poulet à la crème, il n'hésitait pas à affirmer que la Mère
Brazier faisait bien davantage que lui pour la renommée de la ville dont il était le
premier magistrat...
Alors que le 12, rue Royale à Lyon, est une adresse désormais aussi célèbre que le 10
Downing Street à Londres, Jacotte Brazier, petite-fille modèle, entretient la flamme et
fait perdurer la tradition.
J.-F. Mesplède
Jacotte Brazier, petite-fille modèle, entretient la flamme et fait perdurer la
tradition.
Jacotte Brazier et la Mère Brazier.
En datesEugénie Brazier Jacotte Brazier |
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L'HÔTELLERIE n° 2717 Hebdo 10 Mai 2001