En Lorraine
Il avait rêvé d'être mécanicien poids lourds. Il est aujourd'hui le premier producteur de foie gras en Lorraine avec 4 000 kilos par an. Charles Keff, animé d'une énergie inépuisable, est devenu un artiste de ce noble produit.
Le petit magasin, à quelques mètres de l'Auberge de la Klauss à Montenach en Moselle, ne désemplit pas. Tous viennent acheter le foie gras de Charles Keff, de l'Allemagne et du Luxembourg et parfois de bien plus loin. Foie gras cru, mi-cuit, mais aussi saucissons, manchons, magrets, confits, terrines... Les ventes se succèdent à un rythme élevé. Avec 4 tonnes de production pour l'année 2000, réalisée avec 6 300 canards et 200 oies, l'entreprise mosellane détient le record de Lorraine. Ce qui ne l'empêche pas de refuser des offres, le déficit à la demande étant de 4 à 500 kg. Cependant, malgré les nombreuses sollicitations, Charles Keff estime qu'il a atteint son maximum pour une production de qualité, ne désirant plus l'accroître. "Je suis au top de mes possibilités, avoue-t-il. Cela me permet de satisfaire pleinement une clientèle qui sait qu'à ce stade mes produits sont vraiment 100 % naturels. Mes animaux (canards, oies, poulets, cochons) sont nourris exclusivement de mon blé et de mon orge, et, bien sûr, sans apport de farines animales ou de substances chimiques." Le foie gras de Charles Keff est expédié dans le monde entier, mais c'est surtout dans son auberge qu'on le déguste : près de 40 % sont vendus au restaurant, avec 85 % pour les confits et les magrets. Ainsi l'activité foie gras et annexe est devenue indissociable de celle de la restauration. "Je suis incapable de donner le chiffre d'affaires de chaque activité. Au total, il se situe autour de 12 millions de francs pour l'année 2000."
Sur le tas
Sur un lieu légendaire où vivait un ermite, le Klauss, l'arrière-grand-père de Charles
Keff avait construit une maison en 1869. Un siècle plus tard, elle est devenue un
paisible café de campagne. Charles, qui avait passé un diplôme de mécanicien poids
lourds, travaille à l'auberge et met vite le pied à l'accélérateur pour transformer
l'antique établissement en un restaurant de spécialités campagnardes dont l'aura va
grandissante. "Personne n'était du métier, se souvient-il, mon père
travaillait à l'usine et avait une exploitation agricole, ma mère et moi n'y
connaissions rien. J'avais été trois fois au restaurant dans ma vie avant de travailler
dans une salle." Au bout de 1 an, le succès venant, Charles abandonne la
mécanique et se consacre au bar-restaurant familial. Un soir, après une bagarre, il
démantèle le bar de l'établissement à coup de masse. "La meilleure opération
que j'aie jamais faite. Un bar ne rapporte rien et on perd son temps, j'avais autre chose
à faire". Effectivement. En 1979, il construit de ses mains un fumoir pour la
production de jambon et de charcuterie. Entre-temps, il devient un expert en vins -
d'Alsace et de Bourgogne notamment - et creuse sa première cave, de 27 mètres de long
sous le fumoir. Il en acquiert une deuxième en 1998. Au total, près de 30000 bouteilles
vieil-
lissent tranquillement en attendant d'être consommées. De bouche à oreille, les
gastronomes font la notoriété d'un restaurant devenu incontournable.
La passion du foie gras
Possédant quelques terrains derrière l'auberge, le restaurateur cultive du blé et de
l'orge. Il élève ses propres cochons. Il imagine en 1985 d'étendre son territoire pour
produire ses poulets, pintades, coqs et canards. En 1986, lors d'une réunion du syndicat
hôtelier, ses collègues lui donnent l'idée de produire du foie gras. Charles y
réfléchit, se renseigne... et décide "que c'est jouable. Mais pas n'importe
comment. J'ai voulu dès le début avoir un produit entièrement naturel",
explique-t-il. "Pas question d'antibiotiques ou d'autres produits. Mes canards et
oies disposent de 7 hectares de verdure et sont nourris avec 25 hectares d'orge et de blé
que nous cultivons nous-mêmes." Charles Keff investit 1,5 MF dans un abattoir
ultramoderne, apprend à gaver, puis forme ses gaveurs. "Faire du foie gras, c'est
relativement simple. Le plus important, c'est la qualité de l'élevage, la qualité du
gavage, et surtout, la vitesse de transformation : le foie doit être prélevé moins de 8
minutes après l'abattage. C'est un métier où il faut être minutieux, ne pas tricher,
toujours nourrir les bêtes à la même heure... et le résultat est là."
Le souci de la perfection
Au restaurant, le foie gras est servi mi-cuit en copeaux, cru avec du sel de Guérande, ou
encore poêlé, mais ce qui compte avant tout, selon Charles Keff, c'est la fraîcheur du
produit. A la Klauss, on déguste un foie gras qui a maximum entre 8 et 10 jours.
Au-delà, le restaurateur estime que la qualité du produit descend très vite. Charles
fourmille de projets : un nouvel abattoir pour le gibier (200 sangliers par an, achetés
aux chasseurs locaux) et pour la transformation des porcs. Disposant pour le moment de
deux jardins dont ses parents s'occupent, il envisage de construire cette année une serre
pour avoir une production annuelle de légumes et de salades. "Mon objectif est de
faire, pour tous les produits, 100 % de production personnelle." Le restaurateur
va agrandir le magasin et décorer ses caves pour organiser des dégustations et des
ventes de vins. Mais avant tout, il veut rester dans des limites "raisonnables".
A 48 ans, Charles Keff a encore de belles années d'activité devant lui. Et il sait
déjà que son fils, Frédéric, reprendra son activité par la suite. Un grand bonheur
pour ce professionnel "qui n'aurait jamais pu vendre une affaire comme celle-là".
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L'HôTELLERIE n° 2725 Hebdo 5 Juillet 2001