D'île en île
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Cette semaine, cap sur l'Atlantique :
embarquement immédiat pour Noirmoutier reliée au continent par un pont qui,
depuis 30 ans, a modifié son destin.
Tout au long de l'été, L'Hôtellerie
vous propose de découvrir les îles des côtes françaises. Un voyage 'D'île en
île' au cours duquel vous retrouverez l'actualité de la profession, de l'Atlantique à
la Méditerranée.
Noirmoutier à fleur d'eau, saveurs et couleurs
Noirmoutier est une île à... temps partiel. Quotidiennement, l'étale de basse mer
découvre une grande vasière qui ravit les pêcheurs à pied et dégage la chaussée du
Gois, curiosité par excellence. Active, désenclavée par un pont, l'île valorise les
ressources de sa nature - la pêche, l'ostréiculture, le sel, l'aquaculture, la pomme de
terre - à travers son activité touristique.
En ouverture de leur grande boucle, les coureurs du
Tour de France l'ont emprunté à deux reprises, ce fameux Gois. La dernière fois, il y a
deux ans, quelques leaders ont glissé - les gens d'ici diraient 'goaser' - et, lâchés
par les échappés, ils y auraient perdu toute chance de remporter le maillot jaune. En
tout cas, ils pestaient.
Tous les printemps, les spécialistes de la course à pied en décousent eux aussi sur ce
ruban moitié bitume moitié béton, toujours avec des nids-de-poule. Au cours de ces
'Foulées du Gois', ils se battent sur 4 km contre la marée montante et les courants qui
se renforcent dans cette partie d'entonnoir entre île et continent.
D'autres, des automobilistes imprudents, y ont perdu leur voiture. Et hélas parfois la
vie. Les insulaires craignent eux pour leur terre, une grande partie de l'île étant sous
le niveau de la mer. Qu'une digue vienne à rompre ? C'est arrivé, la dernière fois en
1978. La collectivité engage régulièrement de lourds investissements pour se protéger.
Renaissance des marais salants, le nombre de producteurs est passé d'une vingtaine à
plus de 100 entre les années 70 et aujourd'hui.
Le pont du tourisme contemporain
Toute en longueur, dont un versant sud-ouest s'alanguissant en jolies et grandes plages,
l'île garde sa ligne. Elle a une fine taille de guêpe dont l'aiguillon ferme la nasse de
la baie de Bourgneuf, grand bassin d'ostréiculture. Entre cette pointe et le continent,
le goulet d'étranglement marin n'est que de quelques centaines de mètres. Il est
enjambé par un pont depuis 1972. Date des mutations. Du jour au lendemain, l'île s'est
réveillée accessible 24 h/24, plus facilement encore qu'une profonde pénétrante à 4
voies prolonge ce pont. Le désenclavement de la Vendée a commencé ici !
On n'imagine qu'à peine la nouvelle donne. Un restaurateur raconte : "Avant on
servait les clients en fonction du Gois et des horaires de marée, les services hôteliers
étaient très variables." On ne comptait vraiment pas ses heures... Aujourd'hui
le tourisme en pointillé a disparu. Géographiquement, le tourisme a basculé du Nord au
Sud, passant par-dessus les salines qui occupent un bon tiers de l'île. On entre
désormais dans l'île par la porte sud !
7Au milieu du XIXe siècle, le Bois-de-la-Chaise, au Nord, est le point de ralliement
d'une clientèle qui débarque de Pornic par bateau à vapeur. Cette discrète bourgeoisie
parisienne ou nantaise édifie des villas de bon goût cachées entre les chênes verts
pour ombrelle. Dès 1852, les marins locaux se mesurent avec les propriétaires à blaser
: ce sont les premières Régates du Bois-de-la-Chaise. Tombées en désuétude dans les
années 60, elles viennent d'être relancées dans une formule contemporaine de vieux
gréements, joli point d'orgue des animations estivales que fréquentait par exemple Eric
Tabarly.
Avec le pont, le tourisme n'est plus réservé à l'élite. Des promoteurs approchent. Le
phénomène résidence secondaire explose. Et, comme l'environnement est plaisant, la
résidence secondaire du vacancier devient au fil du temps la maison principale de son
propriétaire retraité. Les terrains disponibles sont désormais rares et le secteur du
bâtiment travaille plus en rénovation qu'en neuf. De sorte "qu'on achète et que
l'on rase. On estime qu'il y en a pour 10 ans", rapporte-t-on à l'office de
tourisme. Les prix ont suivi aussi, "mais on est des rigolos par rapport à l'île
de Ré".
Le Gois, route vers le continent dégagée à marée basse, un piège pour les
automobilistes imprudents et une curiosité pour tous les touristes. A marée basse, la
baie de Bourgneuf est dégagée pour les pêcheurs à pied.
Bar, turbot, huîtres, sel et pommes de terre
Le tourisme marque une très forte empreinte sur les paysages et l'économie de l'île,
mais sans ternir les activités traditionnelles plutôt en expansion qu'en déclin. Le
petit port de pêche de Noirmoutier se porte bien, on parle même d'agrandissement.
Quittant l'île d'Yeu, de gros bateaux viennent de rejoindre la flottille et un chantier
de construction navale est en expansion à deux pas du quai. Les professionnels se
regroupent pour la promotion commune de leurs productions alimentaires sous la fine
étiquette 'Saveurs de l'île'. Le bar de ligne, étiqueté à l'unité depuis plusieurs
années, est un exemple de traçabilité. Noirmoutier est une base de recherche et de
production aquacole avec France Turbot, un turbot en attente d'un prochain Label Rouge. Le
renom de l'huître Vendée Atlantique n'est plus à faire. Quant à la production de sel,
elle est relancée, on est en pleine période de récolte. Avec l'éblouissante fleur de
sel, le blanc est de saison sur l'île.
Côté terre et engrais de goémon, la pomme de terre Bonnotte (100 t) est le détonateur
de communication d'une importante production de ce légume (13 000 t l'an dernier) en
quête d'une appellation AOC. La Bonnotte en est la princesse racée. Plantée
exclusivement le jour de la Chandeleur, elle est systématiquement arrachée le 90e jour
et aussitôt mise en vente à grands coups d'événements médiatiques. Sa promotion est
orchestrée de Paris à New York, avec Concorde pourquoi pas ! Cette année, vu les
intempéries, la récolte des autres espèces primeurs, Sirtéma en particuler, a pris du
retard. A la mi-juillet, on a eu la chance de pouvoir la déguster en primeur. Avec une
pincée de sel !
H. Front zzz36c zzz70 zzz22c
Publicité ambulante et colorée en 'Juva 4'.
Noirmoutier en chiffres
w 48 km2, 25 km de long, 15 km au plus large, 500 m au
plus étroit, quatre communes
w 10 000 habitants en hiver
w 100 000 personnes l'été au point culminant
w Principales activités :
- On s'accorde pour évaluer à 70 % le chiffre d'affaires direct et indirect engendré
par le tourisme.
- L'activité pêche représente un chiffre d'affaires de 84 MF avec 70 bateaux.
Principales espèces : sole, bar, congre.
- L'ostréiculture : la baie de Bourgneuf est le plus important des bassins de
l'huître 'Vendée Atlantique'.
- L'aquaculture.
- La saliculture.
- L'agriculture et le maraîchage, en particulier la production de pommes de terre
primeurs.
w 85 établissements
répertoriés à la Fédération hôtelière de Vendée
- 5 hôtels sans restaurant
- 9 hôtels-restaurants
- 42 restaurants-crêperies-pizzerias...
- 26 cafés
- 1 discothèque
w Capacité d'hébergement
maximale, selon l'OT, 75 000 personnes
- 19 hôtels (cinq 3 étoiles) pour 500 chambres
- 9 campings (3 500 emplacements)
- 3 000 à 4 000 meublés, dont 300 commercialisés par l'OT avec le label
Clévacances, et plus de 1 millier géré par agences immobilières
- 6 000 résidences secondaires environ
- Port de plaisance (500 emplacements) |
S'y rendre, s'y déplacer
w De la Barre-de-Monts, le pont,
passage gratuit, toute l'année.
w De Beauvoir-sur-Mer, le Gois, 4 km,
horaires de passage selon les marées, toute l'année.
w De Pornic, versant continental de la
baie de Bourgneuf, Loire-Atlantique, en bateau promenade, débarquement
au Bois-de-la-Chaise, en saison.
w Possibilité de louer des vélos dans
une dizaine d'établissements. |
"Après le recrutement, le problème
numéro 2 est l'hébergement du personnel"
15 emplois hors saison, 25 au plus haut de la saison estivale. L'hôtel Fleur de Sel
recrute difficilement sur la place locale malgré la proximité immédiate d'un
établissement de formation en hôtellerie et restauration :
"Les jeunes préfèrent aller voir ailleurs." Les collaborateurs
proviennent donc plutôt de Bretagne et de Normandie. Pierre Wattecamps recrute par "les
colonnes de L'Hôtellerie, le bouche à oreille, parfois le recours à un cabinet
de recrutement".
Le personnel trouvé, encore faut-il le loger. "C'est le problème numéro 2.
C'est très cher." Un problème récurrent face auquel le patron de Fleur de Sel
pousse à l'implication des municipalités de l'île et à une initiative en pool avec ses
confrères :
"On pourrait avoir un équipement de type foyer de jeunes travailleurs. On
pourrait transformer des bâtiments en genre d'hôtel économique pour les saisonniers."
Autre proposition, une réaction en pool entre les hôteliers : "On pourrait
créer une SCI dans laquelle chacun mettrait tel ou tel montant." En fonction de
ses parts et de sa mise individuelle, l'hôtelier disposerait d'un nombre déterminé de
chambres pour les besoins de son personnel. |
Point de vue
|
Sylvaine Leclère, directrice de l'office de
tourisme de Noirmoutier On fait le même
chiffre d'affaires hors saison qu'en juillet-août
"La saison, c'est de
Pâques à fin septembre, c'est vérifié dans tous les types d'hébergements. La moyenne
des locations meublées est de 20 semaines par an, mais certains loueurs labellisés
Clévacances louent aussi en février comme en novembre, soit plus de 40 semaines. Pour
les meilleurs produits, ça grimpe à 42 et même à 47 semaines.
On n'a jamais vu telle fréquentation que cette année. On voit du monde nous revenir,
avec cette forte envie de venir à la mer après la frustration Erika de l'an dernier,
après la mauvaise météo des derniers mois aussi.
L'effet 35 heures se fait ressentir. J'entends souvent la réflexion 'on a un jour
de plus'. Cette année, les week-ends ont été assez forts, avec des séjours de grand
week-end prolongé avec jour férié, mais aussi autour des week-ends de semaine
ordinaire. Depuis Pâques, nous avons toujours eu du monde, une clientèle très
consommatrice."
Nathalie Batelli, directrice du Comité départemental du tourisme de Vendée
On utilise l'image des îles pour nous
singulariser
"L'île d'Yeu et
celle de Noirmoutier n'ont rien à voir avec le tourisme littoral de Vendée, ni en
capacité d'hébergement, ni en saisonnalité, ni en clientèle. Leur pouvoir d'attraction
est très fort. Leur clientèle est beaucoup plus haut de gamme.
Noirmoutier démarre tôt en saison, son tourisme marchand est plus important. On y
trouve tout type d'hébergements : hôtellerie, résidence, locations. La clientèle
étrangère est importante, avec les Suisses, les Belges, les Anglais, etc.
Noirmoutier est facilement accessible, l'accès à l'île d'Yeu est tributaire du
transport maritime et des marées. A l'île d'Yeu, le tourisme d'excursion y est de plus
en plus important. Il cause un problème environnemental certain pour le traitement des
ordures ménagères, celui des eaux usées. C'est un souci et un coût réel. Il revient
aux collectivités locales concernées de se fixer des objectifs, à elles de les
définir.
Les images et photos des îles font rêver. On les utilise pour nous singulariser par
rapport aux départements qui n'ont pas d'îles." |
Pierre et Annick Wattecamps,
le Fleur de Sel : "On va faire une très bonne année."
Le Fleur de Sel, de
Pierre Wattecamps, compte parmi les hôtels locaux les plus réputés. Ce Ch'ti est
arrivé dans l'île il y a 25 ans. Réactif et tenu pour un pionnier, il se moule aux
comportements de la clientèle touristique.
"Il suffisait d'ouvrir la porte, ça rentrait à flots. Les gens faisaient la
queue. On fermait les portes à 11 heures, sinon les gens s'installaient aux tables et
attendaient." Ce n'est pas un propos du "bon vieux temps", mais
un témoignage de mémoire, remontant à 1976, l'année de la reprise de La Marée en
plein centre de Noirmoutier. Jacques Médecin était ministre du Tourisme et les
hôteliers pouvaient investir à 100 % sur emprunt. Pierre Wattecamps fléchit pour
l'ambiance 'méditerranéenne' de l'île et cet hôtel-restaurant très ordinaire : 10
chambres 1 étoile, une clientèle familiale au revenu modéré.
A l'époque, la saison est courte, mais le séjour des clients assez long. Et l'on vient
en pension complète ou demi-pension. "Maintenant, on ne fiche pratiquement rien
le midi." Pas de nostalgie, non. Dans les années 70, la famille Wattecamps,
père, mère et trois enfants, se serrait dans l'incommodité de "deux minuscules
pièces, sans cuisine ni salle d'eau. Comme les cordonniers, on était les plus mal
chaussés !" L'hôtelier venu du Nord faisait des affaires, mais pas de
résultat, le remboursement des emprunts le harcelait.
En 1980, il fond sur un terrain de 7 300 m2 mis en vente par un saunier. L'établissement
Fleur de Sel sort de terre en quelques mois. 23 chambres avec sanitaires complets et
téléphone, c'est le premier hôtel 2 étoiles de l'île. Evénement ! Le patron embauche
un chef qui relève la gastronomie et accroche des distinctions dans les guides. Il se met
en cheville avec des tour-opérateurs. Il fait des saisons avec une clientèle composée
pour moitié d'Allemands, de Belges, d'Anglais. Le taux de remplissage est très
satisfaisant. Nouveaux travaux en 1990, extension à 35 chambres et 3 étoiles. C'était
judicieux.
Concurrence locale et lointaine
Le contexte change pourtant avec l'émergence d'une compétition dans l'offre globale et
les nouveaux comportements de la clientèle. Le virage aurait été 1993. "On
était parmi les meilleurs et pratiquement seuls. Maintenant on a des concurrents."
Fair-play, Pierre Wattecamps cite Les Douves dont le patron "s'est jeté à l'eau
et a reconstruit" Les Prateaux, "très bel hôtel depuis 4 à 5 ans",
le Saint-Paul, etc.
Il y a aussi la concurrence d'autres destinations, "l'île de Ré, Belle-Ile et
les îles lointaines du soleil", et encore la blanche 'montagne', plus attractive
en début d'année que le jaune canari de 'L'île aux mimosas'. Le microclimat ne fait pas
tout. Enfin la clientèle est 'moins fidèle' et ses séjours 'plus courts'.
"Il nous faut donc plus de clients pour remplir l'hôtel. Il faut aller les
chercher." Sans jamais baisser la garde dans ses investissements au cours de la
dernière décennie, Pierre Wattecamps a commercialement changé de fusil d'épaule pour
mieux cibler : "Je ne travaille plus avec les tour-opérateurs - mais je le ferais
si j'avais 60 chambres - parce que leurs besoins sont pour la saison haute, et ce ne sont
pas nos besoins." L'établissement fait naturellement le plein à cette époque.
Fleur de sel s'est en revanche vite connecté sur Internet, avec intérêt : "C'est
du direct, sans commission."
Dans l'île comme pour toute la Vendée, la référence en matière de chiffre d'affaires
touristique est l'exercice 1999. En 2000, Fleur de Sel, de plus en 'étoilé' et 'toqué',
aurait dû faire une "année fabuleuse". Souillée par l'Erika, l'île a
accusé le coup, et l'hôtel perdu "15 % de chiffre d'affaires en avant saison et
5 % en saison haute. On a fait un petit résultat."
2001 sera une excellente année
L'indemnisation Fipol de 560 000 F a un peu pansé la plaie. Et puis L'Etat, la Région et
le Département ont aussitôt incité les professionnels de l'hébergement à réinvestir
dans la qualité de l'accueil : "Nous, on s'est lancé pour 1,1 million, dont 50 %
en subvention, pour l'extension du hall, la climatisation du restaurant, et le
rafraîchissement des façades."
Pour 2001, sa 35e année professionnelle, sa 25e à Noirmoutier, et les 20 ans de Fleur de
Sel, Pierre Wattecamps en est sûr : "On va faire une très bonne année. J'ai une
clientèle jeune à fort pouvoir d'achat. J'ai toujours beaucoup d'Allemands et de Belges.
Mon nom doit leur parler, il y est peut-être un peu pour quelque chose." |
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L'Hôtellerie n° 2729 Hebdo 2 Août 2001
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