Jacques Chibois
Depuis près de 5 ans, Jacques Chibois officie chez lui, dans une bastide du XVIIe siècle à Grasse (06). Après avoir obtenu depuis bien longtemps ses galons de chef, il vient d'être récemment récompensé par une Victoire des autodidactes, qui souligne la réussite du chef 2 étoiles Michelin, comme chef... d'entreprise.
C'est une grande bastide, entourée d'oliviers centenaires, qui surplombe le paysage grassois. Là, Jacques Chibois a trouvé son refuge : depuis 1996, il veille à la destinée de la Bastide Saint-Antoine, il a redonné une vie aux vieux murs, ressuscité le jardin... Un cadre de rêve pour faire vivre son ambition : "Chaque cuisinier veut créer son identité, et l'exemple vient de nos maîtres. Il faut innover dans un style qui correspond à sa cuisine et à sa région..." Pourtant, lorsqu'il a décidé de s'installer à Grasse, son entourage, ses amis, ses clients ont poussé de grands cris : "A Grasse ? Mais pourquoi Grasse ? Il n'y a rien à Grasse !" Mais l'homme est persévérant (voire têtu) et patient. Le lieu lui plaisait, la période était propice. "C'était la crise, les prix avaient bien baissé, j'ai pu acheter avec mes économies, et les entreprises de travaux me suppliaient de les faire travailler..." Le moment était donc venu. "Quand j'étais apprenti, je m'étais promis d'être chez moi pour mes 40 ans, et c'est ce qui s'est passé..."
La récompense du gestionnaire
Cinq ans après, l'équation se décline ainsi : 80 couverts, 11 chambres, 60 salariés et
38 MF de chiffre d'affaires, que Jacques Chibois résume philosophiquement : "Je
me suis donné 5 années rudes pour obtenir une vraie trésorerie. C'est-à-dire que
jusqu'ici, j'ai travaillé pour assurer la viabilité de l'entreprise. Désormais, je peux
me consacrer à refaire de la belle et grande cuisine, car je crois qu'on ne peut être
très bon que si l'on n'a pas de charges sur les épaules ! Et puis, il faut le temps de
constituer une bonne équipe..." Son prix, le chef en est fier, très fier, et il
a raison. "Le prix que je viens de recevoir me touche beaucoup, car il récompense
le chef d'entreprise, c'est-à-dire celui qui s'est lancé, qui a investi, qui gère du
personnel, qui fait vivre une affaire, qui a pris la responsabilité d'affronter les
problèmes...", souligne-t-il. Avant d'ajouter avec honnêteté : "A vrai
dire, gérer n'a pas été une grande difficulté. Au Gray d'Albion à Cannes, je formais
une très bonne équipe avec le directeur général et le directeur financier, et ils
m'ont appris l'efficacité, la rigueur, l'attention aux détails..." Si Jacques
Chibois est attentif, c'est pour pouvoir être généreux avec ses clients : "Je
leur suis vraiment reconnaissant. Imaginez, après presque deux ans d'interruption pour
les travaux, je me demandais bien s'ils allaient revenir. Eh bien, dès que nous avons
ouvert, ils étaient là, suivant le reste des travaux avec attention, nous encourageant,
parfois même nous critiquant... Notre plus belle récompense, c'est de voir nos clients
faire visiter ici comme s'ils étaient chez eux, rester des heures, commenter les
améliorations. C'est exactement ce que nous voulions."
"En cuisine, j'oublie tout..."
Une sensation de chez-soi qui doit beaucoup à Odette, l'épouse attentive... Le chef lui
tire son chapeau : "On ne peut pas faire une maison comme celle-ci sans une âme
féminine." Les préoccupations de l'entreprise n'ont pas détourné Jacques
Chibois de sa cuisine : "On change sa cuisine pour s'adapter au lieu où l'on est,
à ce que l'on ressent. Les oliviers des alentours m'ont beaucoup inspiré : j'ai trouvé
une recette d'olives confites à manger en dessert, de l'huile d'olive vanillée... C'est
un sentiment très fort de s'inspirer de ce qui vous entoure, et vous pousse à inventer
pour harmoniser le site et la cuisine. C'est aussi indispensable, parce qu'on s'use à
faire toujours la même chose comme on s'use à la manger. Et j'ai la chance, dès que je
rentre en cuisine, de pouvoir oublier tout le reste pour me consacrer aux produits et à
l'équipe." Reste le plaisir, presque égoïste, de choisir le produit,
d'imaginer ce que l'on va en faire, et de l'accommoder et de l'offrir, une fois prêt : "La
table, c'est un moment de communion, d'amour des autres, de générosité."
Loin d'être blasé, Jacques Chibois veut encore s'enthousiasmer : "J'aime voir
des gens qui viennent ici pour apprendre, pour travailler, pour réussir, et qui s'en vont
ensuite tenter leur chance...", et progresser : "Je pense que mon affaire
est maintenant bien lancée. Mais il faut toujours avancer, améliorer les détails, aller
vers la perfection : quand j'y serai arrivé, il sera l'heure de prendre ma retraite",
commente-t-il en riant. Une façon d'annoncer que l'aventure est encore bien loin d'être
terminée ! zzz18 zzz22v zzz22c
"Cet endroit a une âme, et je tente de la respecter, y compris dans ma
cuisine", précise Jacques Chibois.
En dates1952 |
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L'Hôtellerie n° 2733 Hebdo 30 Août 2001