L'hôtellerie en Guadeloupe
L'hôtellerie guadeloupéenne affiche une baisse de fréquentation. Les tarifs, plus élevés que dans les régions voisines, ne sont pas compensés par la qualité de la prestation. Principale raison de cette désaffection : la pénurie de main-d'uvre qualifiée. Enquête.
"Aux yeux des locaux, il n'y a aucune noblesse dans ces métiers et il est
plus facile de trouver un ingénieur qu'un cuisinier ici."
"Il n'existe pas dans le monde tropical de région où l'industrie du tourisme a plus d'importance économique que dans les Caraïbes. Au cours des 10 dernières années, le paysage touristique de la Guadeloupe a considérablement changé. La loi de défiscalisation en vigueur depuis 1986 a conduit à la construction de nombreux 3 étoiles et plus. Ils totalisent aujourd'hui sur l'archipel plus des trois cinquièmes des chambres. Le nombre de visiteurs, estimé à 284 000 en 1986, était de 660 000 en 1997, soit plus du double en seulement 11 ans", explique Nicolas Vion, président du Syndicat des hôteliers de la Guadeloupe. Gérant de l'hôtel 3 étoiles La Maison Créole (57 chambres) à Gosier, il déplore le ralentissement significatif de la fréquentation depuis le début de l'année. Comment l'expliquer ? Les conflits sociaux qui secouent l'île actuellement constituent un facteur d'explication important, mais ce n'est pas le seul. Les hôteliers doivent également composer avec une sensible diminution de l'intérêt des touristes métropolitains et étrangers pour la destination Guadeloupe, notamment depuis le décollage de la concurrence de la République Dominicaine et de La Havane. "Pourquoi payer une chambre 300 francs en Guadeloupe puisque pour 200 ou 150 francs, voire 100 francs seulement, on peut trouver le même type d'hébergement en République Dominicaine ? Les tarifs de l'hôtellerie doivent être révisés à la baisse car si l'on se permet d'être plus chers que la concurrence, cela doit être compensé par une meilleure qualité, notamment en termes de service. Aujourd'hui c'est loin d'être le cas", souligne Nicolas Vion.
Un personnel constitué d'agriculteurs convertis
Le principal obstacle à cette montée en qualité de l'hôtellerie guadeloupéenne
serait, selon les hôteliers interrogés, le manque de main-d'uvre qualifiée. Ce
problème les préoccupe depuis déjà plusieurs années. Aujourd'hui pourtant, il se pose
avec encore plus d'insistance. Les personnes embauchées il y a une quinzaine d'années
approchent de la retraite. "Quand on sait que le gros des troupes que nous avons
recrutées à l'époque est constitué d'agriculteurs convertis aux métiers de service,
on comprend mieux pourquoi la Guadeloupe a du mal à proposer un service haut de gamme.
Dans l'hôtellerie indépendante, qui a peu de moyens pour mettre en place un système de
formations internes, la difficulté est encore accrue. Le personnel dont on dispose
actuellement fait partie de l'ancienne génération qui n'est pas toujours capable de
comprendre que nous passons dans une ère où concurrence rime avec rapidité. Un exemple,
en Guadeloupe, il est normal de faire patienter pendant un quart d'heure pour vous passer
au téléphone le service demandé. Le professionnalisme n'est pas toujours au
rendez-vous. Si en métropole une femme de chambre fait 16 lits par jour, ici, ce n'est
jamais plus de 12", explique le président du syndicat.
La lutte contre le chômage passe par la formation
Pas facile non plus, dans un pays marqué par le colonialisme, d'éviter la confusion
encore fréquente entre service et servitude. Ménad Berkani, chef cuisinier de l'hôtel 4
étoiles La Cocoteraie (groupe Méridien) à Saint-François, témoigne : "La
gestion du personnel est de très loin la partie la plus difficile de mon travail. Je suis
en permanence confronté à un manque de connaissances et souvent à un manque
d'intérêt. Pour maintenir un niveau élevé de cuisine gastronomique dans mes deux
restaurants, rattraper les erreurs et éviter que la clientèle de luxe ne s'aperçoive de
quoi que ce soit, je suis obligé de faire un maximum d'heures supplémentaires."
"Nous assistons à une désaffection croissante pour les métiers de service. Aux
yeux des locaux, il n'y a aucune noblesse dans ces métiers et il est plus facile de
trouver un ingénieur qu'un cuisinier ici. Pour pourvoir certains postes, nous sommes
parfois obligés de chercher en métropole", indique Daniel Mérelle, directeur
de l'hôtel Sofitel Vieille Tour, directeur délégué du groupe Accor Guadeloupe, et
vice-président du Syndicat des hôteliers.
Une solution qui n'est pas non plus idéale. "Les gens qui acceptent de venir de
métropole sont des personnes mobiles qui aiment changer régulièrement d'univers de
travail. Souvent, c'est un personnel instable et difficile à fidéliser. Leur première
motivation pour accepter un poste en Guadeloupe reste, la plupart du temps, la proximité
de la plage. Lorsqu'ils se rendent compte que les logements ici sont très chers, qu'ils
n'ont pas tous les moyens de locomotion existant en métropole, sans parler des
difficultés d'adaptation à la mentalité du pays, ils repartent plus vite qu'ils ne sont
arrivés", explique Nicolas Vion.
Eviter les conflits entre personnel local et métropolitain
Autre inconvénient, le taux de chômage sur l'île, trois fois supérieur à celui
enregistré en métropole et qui crée parfois un climat délicat entre les
métropolitains et le personnel local. Difficile donc de trouver un véritable compromis.
D'autant qu'aujourd'hui encore, surtout dans les grands hôtels, les équipes sont
composées de nombreux Antillais, mais les trois quarts des chefs de division sont des
métropolitains. "D'ici 10 ans, nous arriverons peut-être à un rapport de
moitié-moitié mais à condition de mettre l'accent sur la formation. La lutte contre le
chômage passe avant tout par des plans de formation et autres initiatives de
sensibilisation." Une décennie après le boom touristique, l'hôtellerie
représente en moyenne 2 700 emplois journaliers. Des chiffres qui font de ce secteur le
premier employeur touristique de Guadeloupe. Les restaurants arrivent en seconde position
avec 1 400 emplois journaliers. "Le retard que la Guadeloupe doit rattraper est
immense", ajoute Nicolas Vion. Certaines initiatives rassurent. Celle de l'IRHT
(Institut de la restauration, de l'hôtellerie et du tourisme) par exemple, créé en 1993
par la CCI, et dont le restaurant d'application Le Lamasure a été le premier
établissement de Guadeloupe à bénéficier d'une qualification Qualité France en 1999.
Chaque année, il accueille près de 80 stagiaires pour un total de 42 000 heures de
formation de qualification, de reconversion, et de session par alternance. zzz54r
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L'Hôtellerie n° 2754 Hebdo 31 Janvier 2002 Copyright ©