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Grandes brasseries

La concurrence du temps

A Paris, comme en régions, des institutions défient le temps. Nous avons essayé de comprendre comment ces établissements réussissent à traverser les époques, tout en conservant leur personnalité. Ils plaisaient hier, ils plaisent aujourd'hui, ils plairont sans doute demain.

Sylvie Soubes


Les grandes brasseries : un patrimoine que l'on partage et qui se visite (bar de La Closerie des Lilas).

Le Procope, La Coupole, Bofinger, La Closerie des Lilas, Les Deux Magots, Le Café de Flore... Autant de belles enseignes parisiennes inscrites au panthéon des grandes brasseries. Toutes sont pourtant bien en vie, et leur dynamisme, leur jeunesse, leur vocation à attirer têtes connues et touristes du monde entier, ne cessent de se renouveler. Ces grandes maisons subissent pourtant des courants différents. Certaines, sous la houlette notamment des frères Blanc ou de Jean-Paul Bucher, se sont davantage positionnées dans le créneau de la restauration. Il est très loin le temps où le Terminus Nord donnait des cafés-concerts (l'établissement appartenait alors à la Compagnie des Chemins de Fer du Nord) et un peu moins loin celui où l'on pouvait encore prendre un verre au bar (déjà Groupe Flo). D'autres, comme La Closerie des Lilas ou le Café de Flore, conservent une vraie politique de bar. Ces institutions appartiennent toutes les deux au couple Colette et Miroslav Siljégovic.
La restauration fait cependant partie intégrante de la tradition des grandes brasseries, qui, de choucroute en pied-de-cochon, d'huîtres en sole meunière, correspond à un positionnement gourmand rattaché à un style et à un décor bien particulier. La préservation des cadres, l'authenticité des ambiances, les fresques sorties tout droit de la Belle Epoque pour beaucoup, sont autant d'éléments synonymes de fêtes et de pérennité. La table, même si elle se doit de répondre à l'image que la clientèle se fait de l'esprit brasserie, pèse modérément dans la balance du succès. Si ne pas décevoir est nécessaire, il n'y a pas de challenge étoilé à la clé. Quant à l'ambiance, la clientèle recherche aussi bien l'atmosphère bruyante et vivante du coude à coude que l'élégance, l'excès de dorure ou de boiserie d'une salle.


Le décor des grandes brasseries change peu ou par petites touches.

Cohérence
Un critique rappelait récemment que "les coups de mode n'étaient que les nouveaux emballages de vieilles idées". Mais "avec de beaux jours devant elles." Il évoquait Bofinger, qui ne désemplit pas, dans un quartier Bastille à forte connotation exotique. Les guides touristiques étrangers citent immanquablement l'adresse, au même titre que Le Café de Flore ou Les Deux Magots, aux terrasses desquels il faut s'être installé au moins une fois dans son existence. Mais cet appel touristique à l'échelle internationale n'est pas une fin en soi. Le fonds de clientèle reste local, ciblé, inscrit dans une cohérence et une logique propre à chaque enseigne. Le Flore et la littérature font ainsi route commune depuis Maurras et Apollinaire. En 1994, l'établissement donne même son nom à un prix littéraire toujours d'actualité. Aujourd'hui, des cercles de discussion se sont aussi organisés. Chaque lundi, au premier étage, Brava Production propose des lectures théâtrales en anglais et en français. Le dernier mardi de chaque mois, ce sont les Cafés Géographiques de Paris qui posent bagage. Le premier mardi, place aux 'femmes du IIIe millénaire' qui viennent débattre de "leur intérêt pour l'action citoyenne", etc.  


Des serveurs qui restent entre 5 et 7 ans, contre 20 à 30 ans auparavant... Et pourtant, ils continuent de fredonner en travaillant.

De l'intérieur
Ce type d'institution évolue aussi 'de l'intérieur'. Mais par petites touches. Une consommatrice, à qui l'on vient d'apporter une flûte de Dom Pérignon, se rappelle être venue adolescente en compagnie de sa mère, 25 ans plus tôt. "Le champagne n'était pas servi à la coupe mais en quart de bouteille." Elle se souvient toutefois que les garçons portaient déjà le long tablier de rigueur, et qu'il leur arrivait de fredonner en déposant la commande. Si la tenue est identique, les mentalités ont suivi la courbe du temps. Les serveurs ont désormais d'autres ambitions que le port du plateau ad vitam æternam. L'un est comédien, l'autre poursuit des études de médecine. "Avant, un garçon restait entre 20 et 30 ans. La moyenne se situe actuellement entre 5 et 7 ans", constate Carole Chrestiennot, responsable de la communication du Flore.
Les Deux Magots, autre institution germanopratine, décline (à l'instar du Flore, qui possède du reste une boutique à quelques pas de l'établissement) une ligne d'objets siglée à son logo et à son nom. Le fait n'est pas nouveau, mais il donne des indications sur le renouveau de l'activité commerciale ou sur sa diversification possible. Les grandes brasseries sont porteuses d'image, de rêve. Elles bénéficient d'un impact touristique, d'une dimension affective et culturelle. D'une identification. Elles correspondent à un référent, qu'il soit social, commémoratif, imaginaire ou légendaire. C'est un patrimoine que l'on partage et se visite. Après avoir joué un rôle avant-gardiste, les voici dans un autre paradoxe : celui de rassurer, en alliant des facteurs de mode et hors mode. Demain, ces grandes brasseries vont sans doute continuer à surprendre. Gardiennes d'un passé revisité, lues différemment selon les époques et les circonstances, elles apprivoisent l'horloge du temps pour mieux s'en éloigner. Ayant, comme par magie, la force de traverser les générations en susurrant un message qui n'appartient qu'à elles. Les grandes brasseries sont toujours uniques. n zzz26v


Incontournable pour les touristes et amateurs de Paris : la terrasse des Deux Magots, ici au petit jour.

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