VéroniqueAbadie
Restauratrice à L'Amphitryon (Lorient)
"Jamais au départ je n'aurais pensé que ce métier m'apporterait autant de bonheur et pouvait rendre la vie aussi belle"
Je vous fais parvenir cette petite 'bafouille' que j'ai sur le cur depuis
longtemps. N'étant pas du métier, j'ai appris sur le tas. Jamais au départ je n'aurais
pensé que ce métier m'apporterait autant de bonheur et pouvait rendre la vie aussi
belle. Je crois qu'il ne faut pas avoir peur de le dire ; les jeunes en ont grand
besoin...
"Trop de gens pensent encore que les métiers de service sont des métiers de
servitude." Cette phrase d'Alain Ducasse, sortie d'un article récent de Thuries
Magazine, me donne l'envie, si souvent refoulée, de mettre par écrit ce que nous
disons en catimini aux apprentis qui se présentent à la maison. Ils sont souvent
tellement plein de bonne volonté, de courage, mais ils seront aussi tellement seuls les
années suivantes pour assumer leur choix. Notre rôle est de leur dire : vous avez choisi
la restauration, c'est vrai. C'est un dur métier car c'est un vrai métier : à
l'ébéniste, il faudra la connaissance des bois, des arbres, des techniques, l'assurance
du tour de main, et c'est long ; au médecin, il faudra 7 années d'études après le bac,
et il ne devra pas compter ses heures le soir en rentrant chez lui. Et parce qu'il sera
médecin, on ne lui dira pas "tu travailles trop". Pourquoi ? N'est-il
pas aussi valorisant de devenir cuisinier ou maître d'hôtel ? Dans notre métier, nous
avons besoin d'autant de technique, d'autant de perspicacité et de générosité, et nous
avons autant de reconnaissance, de satisfaction et de bonheur devant un client content.
Mais ce n'est pas facile, il est vrai, de motiver un jeune en 2 ans, de lui apprendre ce
que 12 années d'école n'ont pas laissé comme traces escomptées.
"Les poésies, je n'étais pas doué !", et un menu, n'est-ce pas une poésie
?
"La lecture, ce n'est pas très important", alors comment apprendras-tu à
lire à tes enfants ?
"La géographie, c'était compliqué", alors, comment parleras-tu des vins à
tes clients ?
S'il est difficile à l'enseignement général de mettre au quotidien une réalité, un
aboutissement concret à ce qu'il faut apprendre, nous n'avons, nous professionnels et
hommes et femmes de terrain, que ce merveilleux moyen pour faire apprécier à nos jeunes
la beauté de ce métier. On ne travaille pas dans un restaurant, on vit dans un
restaurant.
Je dis souvent qu'une salle de restaurant, c'est comme une classe de maternelle (quand
une mère pense à l'institutrice de ses enfants, elle aime penser qu'elle ne vient pas
là pour travailler, mais pour donner un peu d'elle-même, de sa chaleur et de sa
connaissance). Les clients viennent chez nous pour qu'on les surprenne, pour qu'on les
bichonne, pour qu'on les étonne par la qualité de la cuisine, bien sûr, mais aussi par
ce que la salle va lui apporter dans son originalité et sa façon de gérer l'instant. Et
pour cela, il faudra de la curiosité. C'est tellement plus enrichissant et tellement
moins monotone. Y a-t-il beaucoup de métiers où l'on côtoie autant
d'univers ? La connaissance des produits (vins, fromages, épices, poissons, légumes...)
qui vont nous faire voyager et connaître d'autres cultures ; la connaissance des
matériaux (tissus, vaisselle, verrerie, fleurs et décoration) ; la connaissance des gens
qui nous fera prendre conscience que nous apportons le bonheur. Manger est un bonheur. Au
quotidien, nous détenons ce savoir de faire à manger et celui de le mettre en valeur.
Bref, je crois que nos jeunes ont besoin - un peu plus tôt et plus vite peut-être
qu'avant - d'avoir une petite idée de tout cela. Il faut qu'ils soient fiers de
travailler à 16 ans et qu'ils soient fiers de travailler dans la restauration ; c'est à
nous de trouver les mots... Même s'il restera toujours plus difficile à apprendre à un
jeune la fraîcheur d'un poisson ou une région vinicole, plutôt que d'ouvrir un sachet
ou une bouteille sans savoir ce qu'il en retourne. Mais respecter un jeune, c'est croire
qu'il est capable de le faire et lui donner les moyens d'y arriver. Tout cela ne doit pas
être vrai seulement dans les 'grands restaurants', comme ils disent. Si nous voulons que
notre métier revive de la base, il faut que ces petites idées soient vivantes dans
chaque lieu que l'on a la fierté d'appeler un restaurant. zzz22v
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L'Hôtellerie n° 2790 Hebdo 10 Octobre 2002 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE