Alors que l'ensemble des professionnels attendait la publication du décret prévoyant le processus de RTT pour l'année 2003, le gouvernement a fait savoir qu'il n'accorderait pas les aides permettant aux entreprises de passer de 39 à 35 heures, et que, comme le prévoyait l'accord, en l'absence de ces aides, le processus de RTT s'arrêterait à 39 heures. Le calendrier est également gelé pour 2 ans.
On se souvient que
l'accord du 15 juin 2001, signé par deux organisations patronales, le SFH et le SNRLH,
regroupées depuis en une entité commune, le Synhorcat, a instauré la RTT dans les CHR.
La réduction était progressive, et les plus petites entreprises ne devaient atteindre
les 35 heures qu'au 31 décembre 2006 dans la mesure où l'Etat s'engageait à mettre en
place un nouveau plan d'exonération de charges pour le passage de 39 à 35 heures. En
effet, les signataires de l'accord avaient insisté sur la disproportion de l'effort
imposé aux entreprises des CHR à qui l'on imposait une réduction totale de 8 heures, en
passant de 43 à 35 heures, alors que les autres entreprises ne faisaient qu'un effort de
réduction de 4 heures, de 39 à 35 heures.
Echaudées par des promesses politiques jamais tenues, les organisations patronales
signataires avaient donc pris soin d'inscrire une clause suspensive dans le préambule de
l'accord, afin de suspendre le processus de réduction du temps de travail si de nouveaux
allégements n'étaient pas trouvés. En clair : "Dans le cas où les mesures
d'accompagnement de la suppression des heures d'équivalence ne seraient pas accordées...
le processus de réduction de 39 à 35 heures serait suspendu ou interrompu."
L'accord du 15 juin 2001 a été rendu applicable à toutes les entreprises des CHR par un
arrêté d'extension publié le 29 décembre 2001 au Journal officiel. Un décret
publié le même jour est venu fixer les durées du travail pour l'année 2002 uniquement,
il reprenait la 1re étape de cet échéancier. En contrepartie, les entreprises des CHR
ont bénéficié d'allégements de charges spécifiques à leur secteur et supérieurs au
droit commun.
Dans l'année 2002, les signataires devaient rencontrer les représentants du ministère
du Travail pour définir les allégements de charges accordés pour accompagner les
étapes suivantes de la RTT. Face au ralentissement de l'activité économique, le coût
de la mesure paraît trop élevé par rapport aux priorités du nouveau gouvernement. De
là à saisir l'opportunité de la clause suspensive, il n'y avait qu'un pas que le
ministère du Travail a franchi en faisant savoir que les exonérations de charges
permettant de passer de 39 à 35 heures ne seraient pas accordées.
Symbole politique ?
Tout un symbole pour certains : c'est au congrès de l'Umih, syndicat non-signataire et
fervent opposant de l'accord du 15 juin 2001 sur la RTT, que le gouvernement a annoncé,
par l'intermédiaire de son secrétaire d'Etat au tourisme, Léon Bertrand, que le
processus de réduction du temps de travail était mis en suspens pour une durée de 2
ans.
Les organisations patronales signataires avaient été prévenues quelques jours
auparavant. Quant aux syndicats salariés signataires, c'est par voie de presse qu'ils
l'apprendront... Autant dire qu'ils ont peu apprécié cette attitude que certains jugent
désinvolte, d'autres, provocatrice... Le gouvernement reprend donc aujourd'hui les
dispositions de la clause suspensive, et s'apprête à publier un décret avant la fin de
l'année 2002 pour fixer les durées du travail dans les CHR pour les années 2003 et
2004. Il bloque ainsi le temps de travail à 39 heures, sauf pour les entreprises qui
étaient passées à 37 heures au 1er janvier 2002 et qui y restent. Pour mémoire,
l'échéancier de l'accord prévoyait que certaines entreprises passeraient à 38, voire
même à 36 heures dès le 1er janvier 2003. Le décret annoncé par le gouvernement
prévoit pour les 2 années à venir de"fixer la durée hebdomadaire de présence
à 39 heures pour les entreprises de plus de 20 salariés en règle générale, 37 heures
pour les entreprises qui étaient déjà à 39 heures avant l'accord RTT, 41 heures pour
les entreprises de moins de 20 salariés, 39 heures pour les entreprises qui étaient
déjà à 41 heures avant l'accord RTT, et 39 heures à partir de 2004". Cette
annonce, qualifiée de cadeau de Noël par certains, est un cadeau empoisonné pour
d'autres.
"L'application pure et simple de la clause suspensive, et non le fruit d'une
action de lobbying de l'Umih", pour Jacques Mathivat, président du Synhorcat.
Jacques Mathivat, président du Synhorcat, ne décolère pas. "Ce qui m'énerve,
c'est de lire les propos inexacts qui sont repris dans la presse. Le gouvernement ne gèle
pas l'accord contrairement à ce qui est écrit. Il s'agit tout simplement de
l'application de la clause suspensive qui était prévue dans le préambule de l'accord du
15 juin 2001 sur la réduction du temps de travail dans les CHR. L'accord continue à
vivre dans toutes ses autres dispositions, et notamment pour la modulation du temps de
travail.
Le décret que va prendre le gouvernement est l'application pure et simple de cette
clause suspensive, et non d'une action de lobbying de l'Umih, comme certains voudraient le
faire croire.
Je regrette d'ailleurs qu'on en arrive à une telle extrémité, car je continue à
penser qu'il faut conduire nos entreprises vers la modernité et aller vers le droit
commun. Je tiens à rappeler que je ne suis pas favorable à cette loi des 35 heures, mais
il faut faire avec et dans les conditions les moins mauvaises pour nos entreprises.
Pourquoi nos salariés vont-ils devoir continuer à travailler sur la base de 39 heures
quand les autres secteurs travailleront 35 heures ? En sachant que nous ne sommes pas en
mesure de proposer des salaires supérieurs aux autres secteurs d'activité, nos salariés
sont souvent au Smic. Sans compter que nous avons besoin de les faire travailler quand les
autres se reposent, ce qui n'est pas toujours compatible avec une vie de famille. Ce n'est
pas comme cela que l'on arrivera à résorber les problèmes de recrutement dans nos
professions." Et de fustiger, entre autres, l'attitude d'André Daguin, qu'il
considère "irresponsable quant à ses propos. Se réjouir de la baisse de la TVA
en la considérant comme acquise en 2004 est irresponsable. Rien ne dit qu'on pourra
l'obtenir. Il est vrai que le gouvernement semble agir sur le dossier et fait des efforts
en ce sens, mais peut-être sait-il déjà que l'Europe nous refusera cette mesure ? Quand
on voit qu'il ne peut pas nous accorder des baisses de charges supplémentaires, faute
d'argent dans les caisses de l'Etat, on voit mal comment il pourra supporter le coût de
la baisse de la TVA sur la restauration. Qu'André Daguin s'engage à la place des chefs
d'entreprise sur la gestion de leurs affaires en déclarant qu'il se promet à augmenter
les salaires de 10 % et de baisser les prix de 5 % est tout aussi irresponsable".
"Bonne solution", pour la CPIH
Jean-François Girault, président de la CPIH, se déclare globalement satisfait de la
mesure prise par le gouvernement. "Même si on avait demandé que le décret soit
pris pour 3 ans, on peut estimer qu'il s'agit d'une bonne solution globale. On est hostile
aux 35 heures car elles ne sont pas applicables dans la profession, mais rien n'empêche
à ceux qui le veulent de les mettre en place dans leur entreprise."
La satisfaction de l'Umih
Rue d'Anjou, on ne cache pas sa satisfaction. André Daguin a accueilli ce gel du
calendrier sur les 35 heures comme "le cadeau de Noël dont la profession avait
besoin par rapport au mauvais traitement que l'on avait subi sous l'ancien gouvernement,
qui voulait nous imposer une baisse arbitraire du temps de travail à 35 heures et nous
prenait pour des imbéciles en nous faisant miroiter une baisse de TVA en restauration,
sans faire avancer le dossier". Parce que la joie est grande, l'Umih engage toute
la profession dans un grand projet social... "Les syndicats salariés devraient
être contents de cette décision, elle va nous permettre des augmentations de salaires le
jour où la TVA baissera. Je m'engage à faire inscrire dans la convention collective une
augmentation de 10 % des salaires !"
"Bel exemple de dialogue social", selon la CGT
Pour Patrick Brody, responsable fédéral des CHR à la fédération CGT commerce et
services, cette position du gouvernement "est discutable tant sur le fond que sur
la forme. Sur la forme tout d'abord, nous avons envoyé dès le 23 novembre dernier un
courrier commun avec la CFDT au ministre du Travail François Fillon afin de lui demander
un entretien pour connaître la position du gouvernement sur la réduction du temps de
travail dans les CHR. Et jeudi 5 décembre, nous apprenons par voie de presse, sans en
avoir été informés, que le ministre du Tourisme a annoncé le gel de la réduction du
temps de travail. Il s'agit d'une remise en cause totale de l'accord et surtout un
non-respect des engagements conventionnels. En conséquence, on va avoir dans la
profession des salariés qui vont travailler sur la base de 37 heures, quand d'autres
seront à 39, voire même à 41 heures. Il s'agit d'une régression sociale. On s'éloigne
encore du droit commun au lieu de s'en rapprocher. Cette situation ne va pas arranger les
problèmes de recrutement dans le secteur. Sur le fond, il s'agit d'un problème
politique. L'Etat ne respecte pas ses engagements : après deux ans et demi de
négociations, un accord majoritaire signé par la CGT et la CFDT serait purement et
simplement balayé. Voilà un bel exemple de dialogue social cher à Monsieur Raffarin !"
La CFDT scandalisée
C'est mardi 10 décembre à 9 heures que le ministère du Travail a informé
officiellement les 2 syndicats salariés signataires de sa position. Johanny Ramos,
secrétaire national à la fédération des services CFDT, est scandalisé par l'attitude
du gouvernement, "qui dénonce pour partie un accord signé par des syndicats
salariés majoritaires. Il n'est pas question de renégocier un accord qui a déjà été
conclu. Le gouvernement voudrait que l'on signe un autre accord avec l'Umih. Depuis quand
le gouvernement impose-t-il un interlocuteur aux organisations syndicales ? Si on avait
suivi la loi Aubry, tout le monde serait déjà à 35 heures. Nous avons négocié un
accord en tenant compte des spécificités des entreprises de la profession et afin de
leur laisser le temps de s'y préparer. Tout est déjà prévu dans l'accord du 15 juin.
Ce n'est pas en restant dans un régime dérogatoire que l'on va attirer les jeunes dans
notre secteur. Nous voulons aller dans le droit commun. Il est indispensable de
reconnaître la durée du travail à 35 heures pour la profession, en laissant la
possibilité de travailler 39 heures, mais en payant 4 heures supplémentaires. Pourquoi
renégocier avec l'Umih, alors que l'on attend toujours sa signature sur un accord de
prévoyance qui était prévu lors de la conclusion de la convention collective du 30
avril 1997, et qui aurait dû être négocié dans un délai maximum de 6 mois après
l'application de la convention ?
Cette décision est grave de conséquence pour la profession. Elle va accentuer la
pénurie d'emplois pour les petites entreprises. Ce sont les grands groupes qui vont tirer
le bénéfice de ces dispositions. André Daguin fait du populisme auprès des petites
entreprises, alors que ce sont les chaînes qui donnent à l'Umih la direction à prendre.
Les petites entreprises à 41 heures ne trouveront plus de personnel pour travailler dans
leur établissement, et seront donc contraintes à les fermer."
P. Carbillet zzz60t
CALENDRIER DE L'ACCORD ET DU PROJET DE DÉCRET |
||||||
Taille de l'entreprise | - de 20 salariés | + de 20 salariés | ||||
Durée de travail avant RTT | 43 h | 39 h | 39 h avant le 13/06/1998 |
43 h | 39 h | 39 h avant le 13/06/1998 |
2002 | 41 | 39 | 39 | 39 | 39 | 37 |
L'accord prévoyait : 2003 | 41 | 39 | 39 | 38 | 38 | 36 |
2004 | 39 | 39 | 37 | 37 | 37 | 35 |
2005 | 39 | 39 | 37 | 35 | 35 | - |
2006 | 37 | 37 | 35 | - | - | - |
2007 | 35 | 35 | - | - | - | - |
Calendrier en projet : | ||||||
2003 | 41 | 39 | 39 | 39 | 39 | 37 |
2004 | 39 | 39 | 39 | 39 | 39 | 37 |
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L'Hôtellerie Restauration n° 2799 Hebdo 12 Décembre 2002 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE