Denis Bertrand et Stéphane Caputo sont sommeliers chez Pic à Valence. Toutes les générations de cuisiniers de cette grande maison ont toujours promu les vins de leur région, en collaboration très étroite avec leurs sommeliers. Il était donc normal pour nous de faire le point avec eux sur les côtes du Rhône septentrionales qu'ils connaissent mieux que quiconque et de les laisser parler de leur métier en constante évolution.
Le restaurant Pic a connu des bouleversements ces derniers mois. Une passation
de pouvoir a eu lieu et c'est Anne-Sophie qui est chef aujourd'hui. La cuisine a changé,
elle est moins traditionnelle, plus méditerranéenne. Avez-vous été obligés de changer
l'orientation de votre carte des vins ?
On sent d'abord des touches plus féminines dans la nouvelle carte du restaurant. Les
goûts sont plus justes et Anne-Sophie utilise de très grands produits, même pour les
plats les plus simples. La tendance est en effet plus provençale. C'est peut-être la
raison pour laquelle nous allons un peu plus vers le sud de la vallée du Rhône. Nous
faisons rentrer plus de vins du sud de Valence que nous le faisions auparavant. Mais il
reste toujours les plats intemporels de la Maison Pic, comme le chausson aux truffes, la
salade du pêcheur, qui nous permettent de travailler les grands vins du nord.
La perception féminine des vins est-elle différente ? comment percevez-vous
le rôle des femmes à table ?
Anne-Sophie Pic déguste beaucoup avec nous pour se faire un nez, un palais. Nous avons
des vrais échanges qui permettent de confronter nos expériences. Le rôle des femmes à
table est de plus en plus important. Elle n'accompagnent pas, elle participent. Il arrive
assez souvent que dans un couple, ce soit la femme qui choisisse le vin. Elle s'oriente
assez naturellement vers les blancs et nous avons de quoi les satisfaire avec le condrieu
ou même le saint-péray.
Comme tout grand restaurant, vous avez une carte des vins avec de très
nombreuses références. Les vins de la région sont particulièrement bien représentés.
Faites-vous du régionalisme à tout prix ?
Notre premier travail consiste à être en accord avec le client. Nous devons observer,
analyser, écouter le client et comprendre à qui on a affaire. Les clients qui ne
connaissent pas du tout le vin sont de plus en plus rares. Les plus difficiles sont les
connaisseurs encyclopédiques : ils vous récitent le Guide Hachette des vins ou le Parker
ou pire, consultent leur petite grille de millésimes. Quelquefois, nous avons la chance
de rencontrer des clients vraiment intéressants qui méritent de découvrir nos derniers
coups de cur. Des vins qu'on ne peut pas partager avec tout le monde, des vins de
très petite production. Nous prenons toujours beaucoup de plaisir à dialoguer avec les
clients, qu'ils connaissent déjà la région et ses vins, ou qu'ils viennent pour la
découvrir. Dans l'ensemble le client nous fait confiance et, c'est vrai, nous mettons un
point d'honneur à leur faire découvrir la production locale. Nous vendons, selon les
saisons jusqu'à 80 % de vins en provenance de la vallée du Rhône.
Denis Bertrand, voilà 27 ans que vous travaillez pour la maison Pic. Vous avez
acquis une expérience et surtout un véritable recul. Avez-vous remarqué des changements
importants dans les vins des côtes du Rhône septentrionales ?
Oui, je pense que les différences entre les millésimes sont moins grandes
qu'autrefois. La technologie a su corrigé certains défauts. Nous gardons moins nos vins.
Et pas seulement pour des raisons économiques. Les vins d'aujourd'hui peuvent se boire
plus jeunes qu'auparavant. Ils sont plus friands, les tannins sont plus fins. Il y a peu
de vins aujourd'hui que l'on pourrait qualifier de rustiques. C'était encore courant il y
a 30 ans. En fait, nous avons moins de surprises, bonnes ou mauvaises. Restent les grands
millésimes, comme 1990. On est au-delà des bons vins que l'on nous annonce tous les ans,
on touche à l'exceptionnel.
Les prix ont beaucoup monté dans la région, cela pénalise-t-il votre travail
?
Oui, cette flambée nous pénalise et pénalise nos clients. Il y a quatre ans encore,
nous avions une carte des vins très abordable. Aujourd'hui, après les fortes
augmentations en Bordelais, puis en Bourgogne, la demande à l'export s'est
considérablement accrue dans notre région. Les viticulteurs profitent de cette demande
qui crée une pénurie. Les clients sont prêts à mettre de grosses sommes pour des
blancs de Bourgogne, pour les vins de la région, c'est plus difficile. C'est aussi pour
cela nous nous intéressons de plus en plus aux vins du Sud. Ils sont bien faits, pas trop
chers et les clients aiment les découvrir sur nos conseils.
Denis Bertrand, 27 ans au service des Côtes du Rhône, chez
Pic, à Valence.
Stéphane Caputo, la nouvelle génération en phase avec les
jeunes viticulteurs.
L'HÔTELLERIE n° 2612 La Cave 6 Mai 1999