Jean-André Charial a eu la difficile tâche de succéder à Raymond Thuilier à L'Oustau de Baumanière. Il n'est jamais simple de reprendre les rênes d'une affaire dirigée de main de maître par une figure de la haute gastronomie. Une fois ce pari réussi, il s'est alors donné un challenge tout aussi ambitieux : offrir une nouvelle vie à un lieu mythique des Baux de Provence. Sous son impulsion, Château Romanin est en passe de devenir un nom qui compte dans la région. Pour mener à bien cette belle aventure, Jean-André Charial a dû endosser la double personnalité de chef de cuisine et de vigneron. Une partie qui n'est pas si facile à jouer car ces deux passions, bien que complémentaires, l'obligent à se plier à des méthodes de travail très différentes.
L'Oustau de Baumanière est une des adresses incontournables de la grande
gastronomie française. Héritier de ce joyau, vous dispensez votre savoir-faire dans le
monde entier. Est-ce l'ennui, la volonté de marquer de votre nom ce lieu magique qui vous
ont poussé à construire un domaine tel que Romanin ?
Pour moi, Château Romanin c'est avant tout une très belle histoire. L'histoire
d'une rencontre avec quelqu'un qui m'a marqué profondément, Jacques Puisais. Il m'a
fasciné complètement par son approche de l'accord entre les mets et les vins. Grâce à
lui, j'ai côtoyé le milieu des vignerons. J'y ai trouvé des gens très humbles,
complètement amoureux de la terre et de leur métier. Il n'y a pas chez eux le côté un
peu « théâtral » des chefs de cuisine.
J'ai eu la chance également de voir s'installer dans notre région Eloi Dürrbach, un
vigneron hors du commun. En faisant la promotion de son vin pour le faire découvrir à la
grande restauration mondiale, j'ai ressenti comme un appel vers cette profession.
Tout s'est accéléré à l'occasion d'une rencontre avec un client qui cherchait à
l'époque à acheter un mas dans la région des Baux. Je lui ai fait découvrir Château
Romanin, un lieu chargé d'histoire et qui m'a toujours semblé porteur d'ondes
bénéfiques. Après avoir acheté cette propriété, et connaissant ma passion pour le
vin, il m'a proposé de m'en occuper en replantant de la vigne. Le challenge était
énorme, mais j'ai tout de suite accepté. J'ai mobilisé tous mes amis du monde viticole,
Jacques Puisais, bien évidemment, mais également André Parcé à Banyuls, Jean-Pierre
Perrin à Châteauneuf. Ils ont tous répondu à mon appel.
L'aventure a commencé par la plantation de 5 ha en 1988, puis très rapidement de 15 ha
supplémentaires. Nous avons ensuite agrandi le domaine en achetant différentes
propriétés qui jouxtaient la nôtre et qui, pour certaines, comportaient des vieilles
vignes et des droits de plantation.
Tout à l'air de s'emballer très vite ! Le restaurateur que vous êtes a t-il,
à cette époque, toutes les connaissances nécessaires pour faire un bon vigneron ?
En réalité, je pensais faire une première vendange en 1992. Mais après l'achat des
vignobles existants, je me suis retrouvé dans l'obligation de récolter et de vinifier
dès 1990, sans posséder de structure adéquate. Par ailleurs, mes connaissances étaient
encore trop théoriques.
Jacques Puisais, toujours lui, me fit connaître un couple extraordinaire de viticulteurs
de la Loire, Olga et Ernest Raffault. Eux qui n'avaient jamais pris de vacances et qui
n'avaient même jamais couché à l'hôtel de leur vie, n'ont pas hésité à venir pour
m'aider à surmonter la plus grande trouille de ma vie : la première vendange de Romanin
!
Le conte de fée a continué, car, comme vous le savez, l'année 1990 fut une des
meilleures du siècle. Après cette vinification, Monsieur Peyraud décida d'investir à
nouveau. Ayant choisi de cultiver le domaine en biodynamie, nous avons fait appel à un
architecte et lui avons demandé de construire une cave qui réunirait tous les atouts
pour élaborer le meilleur vin correspondant à cette philosophie.
Pourquoi avoir choisi la biodynamie comme méthode de culture ?
J'ai toujours accordé beaucoup d'attention au choix des meilleurs produits pour mon
restaurant, d'où mon intérêt pour l'agriculture biologique. De plus, la biodynamie est
une technique qui correspond bien à mon système de pensée. Je me soigne à
l'homéopathie depuis toujours et il n'y a aucune raison pour que la vigne ne réagisse
pas de la même manière que le corps humain. Vous savez, lorsqu'on croit à sa bonne
étoile, il est difficile de ne pas croire à l'influence des astres sur la qualité du
vin. Et puis, l'AOC Baux de Provence est très particulière, la quasi totalité des
domaines est en culture biologique ou biodynamique. C'est, je pense, une expérience dont
on ne parle peut-être pas assez.
Vous êtes, cela se sent, très attaché à votre terroir. N'êtes-vous pas
parfois agacé, voire inquiet de cette mode qui tend à uniformiser le goût du vin pour
plaire au plus grand nombre ?
Je suis effectivement très impressionné par le nombre de débats qui fleurissent autour
des vins que nous devons produire en France. Je suis également très inquiet de ce souci
permanent de plaire au plus grand nombre. Je veux, avant toute chose, produire un vin qui
ressemble à ma région, et surtout à mon terroir. Lorsque vous vous promenez dans les
Alpilles, vous voyez les oliviers, la garrigue et j'ai besoin que mon vin exprime tous ces
paysages.
Très souvent, lorsque je déguste des vins à l'aveugle, je suis perdu. On à beau
m'expliquer que le chardonnay est sublime en Ardèche, en Espagne ou ailleurs, pour moi,
ce ne sont que des vins technologiques. Ici, nous sommes dans le Midi de la France, il y
fait plus chaud qu'en Bourgogne, il y pleut moins que dans le Bordelais. On doit cultiver
des cépages méditerranéens.
Le restaurateur dispense un plaisir à court terme, le viticulteur voit
nécessairement à long terme. N'est-il pas difficile parfois de passer d'une activité à
l'autre ?
Vous avez raison, et la notion de temps est fondamentalement différente pour le cuisinier
et le vigneron. Aujourd'hui, je crée un plat, demain il ne me plaît plus, il disparaît
de ma carte. Par contre, le métier de viticulteur comporte d'autres exigences et d'autres
contraintes. Le climat, la plante, le soin à porter au vin font partie des
impondérables. Il n'est plus question de se tromper, car une fois le vin mis en
bouteilles, il va falloir le vendre et surtout l'aimer pendant plusieurs années. Lorsque
vous prenez une décision dans un domaine viticole, il vous faut beaucoup de temps pour en
évaluer les conséquences, positives ou négatives. C'est effectivement très difficile
pour moi d'endosser tour à tour ces deux personnalités.
Autant il m'est facile de comprendre les assemblages et de savoir quel goût va avoir mon
vin, car ici je suis alors très proche de l'alchimie de la cuisine, autant j'éprouve de
difficultés à sentir ce que le millésime 99 donnera dans
deux ans, cinq ans, voire plus.
Une chose est certaine, je vous le disais au début de notre entretien, cette profession
me rend plus humble, car je suis dépendant du sol, du climat, mais aussi et surtout des
hommes qui m'entourent. Je ne cherche pas à être le Chef, mais j'ai besoin d'être à
l'écoute de toutes les personnes qui m'entourent, mon chef de culture, Jean-Louis
Andrieux, et ma chef de cave Laurence Arnault. La viticulture est en quelque sorte un
travail de tribu, à laquelle viennent se joindre tous ceux qui goûtent mon vin.
Depuis dix ans, mon implication dans le domaine est totale. Je pense d'ailleurs que je
suis plus impliqué que d'autres cuisiniers qui vivent la même expérience que moi.
Quels sont les circuits de vente de Romanin. Le fait de posséder Beaumanière,
favorise t-il la vente de votre vin ?
Je vends 30 % de mon vin aux restaurants, 30 % en direct, à la cave, et le reste à
l'exportation. Bien entendu, nombre de mes amis cuisiniers ont inscrit Château Romanin à
leur carte. Je n'ai jamais insisté sur le lien Beaumanière-Romanin. Le domaine a son
identité propre.
Le fait de produire un vin très marqué par son terroir me permet de faire encore mieux
découvrir notre pays aux clients. Je suis heureux de ne pas proposer de vins étrangers
sur ma carte, car je pense, contrairement à d'autres collègues, que nous sommes là pour
vendre un grand savoir-faire français. Bien sûr, il existe des vins sublimes dans
d'autres pays, bien sûr ils sont parfois moins chers que les nôtres, mais n'est-il pas
plus important pour nous de faire vivre nos régions ?
Il y fait plus chaud qu'en Bourgogne, il y pleut moins que
dans le Bordelais. On doit cultiver des cépages méditerranéens.
Je veux, avant toute chose, produire un vin qui ressemble à
ma région, et surtout à mon terroir. Lorsque vous vous promenez dans les Alpilles, vous
voyez les oliviers, la garrigue et j'ai besoin que mon vin exprime tous ces paysages.
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L'HÔTELLERIE n° 2664 La Cave 4 Mai 2000