J.J. Ott, un esprit de famille au service du vin.
Jean-Jacques Ott évoque l'histoire d'une exceptionnelle lignée de vignerons. L'aventure débute en 1896 quand Marcel, son grand-père, quitte l'Alsace pour la Provence. En consacrant toute son énergie à la création de grands vins, la famille Ott dirige aujourd'hui trois domaines parmi les plus prestigieux de Provence.
Votre grand-père était à bien des égards un homme exceptionnel. Pourquoi a
t-il choisi la Provence ?
On peut dire tout d'abord, que mon grand-père avait l'esprit d'aventure.
N'oubliez pas qu'il n'était pas issu d'une famille de viticulteurs. Sa démarche était
déjà originale, la démarche d'un pionnier. Après des études d'agronomie à Paris, il
entame un tour des régions viticoles avant de prendre sa décision. La Provence le
séduit pour deux raisons : le prix, bien sûr -- la région n'avait aucune notoriété,
les terrains étaient très abordables --, et le soleil !
Quand votre grand-père s'installe en Provence, on y produit des vins tout à
fait ordinaires. Comment expliquez-vous qu'il décide, lui, de se lancer dans une
viticulture de qualité ?
Au début de son installation, il louait un domaine situé à Cavalaire et
parallèlement il gérait d'autres domaines. Les vignes étaient alors plantées de
cépages produisant des vins de tout-venant. En 1905 et 1907, il subit les grosses crises
de surproduction. Ce sont certainement ces deux crises qui l'ont décidé à se lancer
dans le vin de qualité. Il a également compris que les négociants n'étaient pas
capables de vendre des vins chers. Vous pourrez d'ailleurs noter que le grand négoce, tel
qu'on l'entend par exemple en Bourgogne, n'existe toujours pas en Provence. Peut-être
est-ce parce que le mouvement coopératif y est très fort ? Il décide donc de
commercialiser lui-même ses vins. Il installe un dépôt-vente à Antibes et en confie la
direction à son fils René. Le choix d'Antibes était tout à fait raisonné. Ce
département a toujours bénéficié d'un belle clientèle qui venaient y passer l'hiver.
L'essor du domaine s'accélère t-il après la guerre ?
Déjà avant la guerre, les affaires sont florissantes. Clos Mireille a été
exploité dès 1920 et mon grand-père l'a acheté en 36. Le château de Selles a été
acheté en 1912. Au clos Mireille, mon grand-père se lance dans de nombreux essais. Il
plante un ou deux hectares de tous les cépages. À force de tâtonnements, il découvre
que le domaine est excellent pour le blanc. La première bouteille sort en 1938. Mais avec
la guerre, tout s'écroule. Cependant le travail de la famille Ott permet de redémarrer
très vite : dix ans plus tard, nous achetions Château Romassan.
En vous écoutant, on comprend l'importance de la cohésion familiale dans
l'histoire des Ott. Cet esprit de famille est-il toujours aussi puissant et n'êtes-vous
pas tenté d'ouvrir l'entreprise à des investisseurs ?
Vous avez raison, l'esprit de famille est pour beaucoup dans notre réussite. Il
faut avant tout comprendre que nous sommes
protestants. C'est-à-dire que nous appartenons à une minorité. On se sert les coudes.
La rigueur protestante n'est pas un vain mot et notre père était quelqu'un pour qui le
mot diriger voulait dire quelque chose. Aujourd'hui, les choses ont changé. La famille
s'est considérablement agrandie. L'ouverture de l'entreprise n'est pas une tentation,
mais une obligation. La génération à venir compte seize personnes et il n'y a pas seize
places dans l'entreprise. Il faudrait donc racheter des parts et cela représente un
capital considérable. C'est pour cela que je vous dis que l'ouverture est une obligation.
Parmi la gamme des vins Ott, le blanc jouit d'un prestige particulier. Comment
l'expliquez-vous ?
Notre blanc a bénéficié d'un succès énorme sur la Côte d'Azur parce qu'il
n'y avait pas de blanc avant lui. De plus, il s'accorde spécialement bien avec la cuisine
d'ici. Les sommeliers et les restaurateurs de la région en sont d'ailleurs les meilleurs
ambassadeurs. Des artistes comme Jean Cocteau, Charlie Chaplin l'ont adoré et fait
connaître. Nous avons récemment décidé de modifier la fameuse bouteille de ce vin. À
l'origine, le choix s'était porté sur une bouteille champenoise, car le vin était
souvent pétillant. Cela n'a plus de raison d'être, d'autant que le bouchage n'a jamais
été satisfaisant et que, plus ennuyeux, l'actuelle génération de consommateurs
l'assimile à un vin effervescent.
Aujourd'hui, une entreprise qui stagne est une entreprise qui meurt. Quels sont
les projets des domaines Ott ?
Acheter d'autres vignes est dans nos projets et peut-être investir à
l'étranger dans les cinq ou six années à venir. Le seul vrai problème c'est qu'il faut
du temps pour faire un domaine. Tout à l'heure nous évoquions l'idée de faire rentrer
un partenaire : ce serait justement pour développer la production.
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L'HÔTELLERIE n° 2664 La Cave 4 Mai 2000