Né à Poitiers en 1927, d'un père représentant en vins, Jacques Puisais, docteur ès sciences, s'installe à Tours en 1959. Il dirige alors le laboratoire départemental et régional d'analyse et s'intéresse aussi bien au lait qu'aux pommes et surtout au vin. Ses premiers cours d'éducation du goût ont lieu en 1964 et nombreux sont les restaurateurs qui viennent chercher auprès de ce scientifique-littéraire la confirmation de leur intuition. On citera, entre autres, Pierre Troisgros et Alain Senderens. Membre, expert ou président d'une bonne vingtaine d'organisations influentes, dont l'INAO, Jacques Puisais est très écouté dans le monde du vin et de la gastronomie. Ses interventions font toujours recette et on boit ses paroles.
Le métier
de cuisinier ne consiste-t-il pas d'abord à effectuer des recherches pour créer un plat
et seulement ensuite à le marier avec un vin ?
En préliminaire à votre question, je tiens à préciser, qu'à mon point de vue, celui
qui tient la queue de la poêle doit aimer le vin. S'il n'aime pas le vin, il sera toute
sa vie gêné. Car l'acte de manger, c'est apporter un équilibre entre le sec et
l'humide. Un cuisinier doit comprendre le sens d'un vin, sa fluidité, son fruité, sa
force sa générosité. Alors seulement il essaiera, pour ce vin, de créer un plat.
Tout autre démarche lui fera perdre du temps. Il va « s'esquinter » à imaginer un plat
mais il ne saura pas pourquoi il le fait. Il doit absolument comprendre que si, par
exemple, il a un châteauneuf à servir, il faut qu'il fasse plaisir au châteauneuf. Cela
l'oblige à être ternaire : il y a lui, son plat et le vin. Disons qu'il doit passer à
la dimension du trépied. Alors seulement tout s'éclaircit, tout devient facile.
Vous venez de nous expliquer que l'association d'un vin et d'un plat est importante pour
faire plaisir au client mais également pour faire plaisir au vin. L'environnement, le
décor du lieu ou la personne avec laquelle on mange ont très certainement une influence
sur ce plaisir. Qu'en pensez-vous ?
C'est bien pour cela que j'ai écrit qu'il y a des vins que l'on boit avec sa grand-mère,
d'autres que l'on boit avec sa copine, d'autres encore avec un chef d'entreprise, etc.
Vous ne faites pas le même repas avec votre PDG ou avec votre épouse. Cette simple
constatation permet de comprendre la dimension théâtrale de la salle de restaurant. Vous
savez, les gens la ressentent intuitivement. Ils choisissent très souvent le restaurant
en fonction de l'occasion.
Pour compléter votre question, j'ajouterai que le restaurateur doit être fidèle à son
cadre. S'il vous offre un cadre rustique, ce qu'il sert doit être rustique. S'il vous
reçoit dans un cadre précieux, le repas et les vins doivent être précieux. La
restauration aujourd'hui ne doit pas être précise mais fidèle, et ce qui est navrant
c'est la cacophonie. N'oublions pas qu'un repas est un instant où l'on se ressource
physiquement et spirituellement, ce n'est pas n'importe quoi, un repas !
Pourtant à l'aube de ce troisième millénaire, la notion de repas paraît bien
désacralisée. Le consommateur semble se soucier de moins en moins de l'esprit de la
gastronomie et va de plus en plus en plus à l'essentiel, en prenant des raccourcis. Qu'en
pensez-vous ?
L'homme ne peut pas échapper à ce besoin de ressourcement par l'aliment. Celui-ci nous
permet d'être demain mieux nous-mêmes. Je crois que tout être humain, éprouve la
nécessité d'entrer dans le rythme de la biologie de l'endroit où il se trouve, que
cette biologie soit végétale ou animale. On ne peut pas trahir sa nature indéfiniment.
J'en parlais dernièrement avec un chef à Montréal. Il m'expliquait qu'il avait
véritablement ressenti le besoin de servir des potages aux légumes-racines. Ce fut un
vrai succès. Il est absolument nécessaire que la cuisine suive des points d'équilibre.
Vous ne mangez pas la même chose en hiver, en automne ou en été. Ces points
d'équilibre ne sont pas les mêmes non plus, par exemple, en Suède ou à Alger.
L'alimentation a pour rôle de rééquilibrer l'homme pour qu'il soit actif, sain et
heureux. Tous les cent kilomètres, vous rencontrez une biologie particulière. Il faut
cesser de faire croire que l'on vit partout heureux avec l'huile d'olive ou le régime
crétois. L'essentiel est de trouver son équilibre entre des acteurs humides et des
acteurs secs issus de l'endroit biologique où l'on vit. On peut faire quelques écarts.
On peut aimer ces écarts, mais vous savez, rares sont ceux qui trouvent leur bonheur en
mangeant de la cuisine vietnamienne tous les jours en habitant... Montréal !
Certains repas sont selon vous, vulgaires. Constitués de succédanés, d'éléments
non-structurés, qui ne sont pas à leur place. Pour revenir à l'acteur liquide, n'existe
t-il pas aussi des breuvage sans structure. Le chardonnay n'est-il pas devenu le soda
d'une certaine restauration ?
En ce monde, voyez-vous, il y deux commerces. Le commerce dans le sens persan, qui essaie
d'apporter à celui qui manque l'élément qui lui donnera le plus de bonheur, et puis il
y a le commerce vulgaire qui oublie à qui il vend et qui oublie tout simplement le rôle
du commerce. Alors oui, le fait que les hommes ne soient pas construits, je veux dire ne
soient pas adultes, laisse la porte ouverte à toute une bande de voyous. Sur un tissu
économique incertain et malsain on peut faire n'importe quoi.
L'idée générale qu'un vin se marie plus facilement avec un produit de la même origine
est-elle pertinente à vos yeux ?
Un restaurateur, selon qu'il est installé dans le Nord, dans l'Est ou en Provence, ne va
pas choisir les mêmes acteurs- vins. Le milieu (au sens biotope) dans lequel il évolue
va lui imposer une troupe particulière d'acteurs liquides. Il y a des vins qui ne peuvent
pas être mis en scène dans certains théâtres de région.
Mais alors, y a t-il un intérêt à proposer une carte regroupant toutes les régions de
France ou même du monde ?
On peut avoir tous les vins du monde à condition qu'ils servent la lumière de l'endroit.
Les cuisiniers sentent si tel ou tel vin est à l'aise dans leur région. Quand un
chef-cuisinier a trouvé, si l'on peut dire, son acteur humide, il va lui donner la
réplique par le solide. Il serait stupide dans un climat sec de vouloir présenter par
exemple un vin plus sec. C'est ce qui explique toute la place des grandes liqueurs. Les
vins les plus liquoreux sont sous les climats les plus secs. Mais nous touchons là à la
dimension artistique la plus folle. Il n'y a pas de dimension artistique plus folle que la
table.
Un restaurateur qui aurait découvert les mariages parfaits entre sa carte des menus et sa
carte des vins, connaîtrait-il la joie de voir ses clients apprécier pleinement sa
démarche ?
Oui, parce qu'il aura parfaitement répondu à l'attente psycho-sensorielle de ceux qu'il
reçoit à sa table. Si vous voulez,, j'utiliserai la métaphore de la serrure et de la
clé : celui qui s'assoit à table est la serrure. Le chef de cuisine possède les clés.
Soit il donne une clé qui va faire jouer tous les mécanismes de la serrure, et là il y
a véritablement jouissance, soit il va donner un vulgaire passe-partout. La porte
s'ouvrira sans effort, mais sans bonheur. C'est une trahison.
Vous intervenez très souvent auprès des restaurateurs pour leur apprendre que le premier
rôle doit être joué par le vin. Pensez-vous qu'ils entendent votre approche ?
Oui, parce qu'en France, nous avons la chance d'avoir des cuisiniers qui « servent » le
vin, ce qui, selon moi, est la démarche primordiale. Si, tous les cuisiniers faisaient la
cuisine pour le vin, on serait dans une dimension gastronomique qui approcherait la
perfection.
Avez-vous l'impression que dans les écoles hôtelières, la formation soit suffisamment
pointue pour permettre aux élèves d'accéder à votre vision de la gastronomie ?
Toutes les formations, quelles qu'elles soient, donnent accès à un niveau minimal qui
permet de s'exprimer. Ensuite, c'est toute la dimension artistique qui est en vous qui
doit se libérer. On ne vaut pas « un clou » en sortant d'une école. C'est la vie qui
permet de démontrer si l'on a appris quelque chose. L'apprentissage se poursuit bien
après les études et les rencontres dans les mondes professionnels et
extra-professionnels donnent à l'homme de l'art toute son épaisseur. zzz46f
On peut avoir tous les vins du monde à condition qu'ils
servent la lumière de l'endroit. Les cuisiniers sentent si tel ou tel vin est à l'aise
dans leur région.
Vous ne faites pas le même repas avec votre PDG ou avec
votre épouse. Cette simple constatation permet de comprendre la dimension théâtrale de
la salle de restaurant.
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L'HÔTELLERIE n° 2717 La Cave 10 Mai 2001