Georges Dubuf est un des grands noms de la « haute-viticulture » française. Connu et reconnu à l'étranger, décrié en France, (certains milieux élitistes aiment brûler les héros) il a su créer une signature dont le beaujolais aurait aujourd'hui bien du mal à se passer. Face à la mondialisation, il est un des seuls à pouvoir mettre des vins français sur toutes les tables du monde.
Vous avez toujours été l'ami des restaurateurs. On vous a vu à leurs côtés
dans maintes opérations de prestige à l'étranger. Ils sont présents à tous vos
lancements. Quelle place leur attribuez-vous ?
La première. Pour moi, la carte des vins d'un restaurateur reste et restera encore
longtemps la meilleure vitrine d'un vin. C'est grâce aux CHR que nous avons rencontré
nos agents à l'étranger. Tout simplement parce que lorsqu'ils venaient à Paris, ils
découvraient très souvent nos vins dans les restaurants ou les bistrots sympathiques.
J'ai commencé ma carrière avec les plus grands (Bocuse, Haeberlin, Oliver, et bien
d'autres), et je tiens à rester à l'écoute de cette clientèle qui valorise notre
travail. Je viens d'ailleurs de créer une nouvelle gamme de vins pour la restauration, en
prenant bien garde avant tout au contenu des bouteilles qui doit rester irréprochable et
surtout correspondre à l'attente de ces artisans créateurs. Avoir son nom sur les cartes
des restaurants c'est un véritable atout et les places sont très convoitées. Tous ceux
qui tendent vers la qualité ont bien compris que cet outil publicitaire est indispensable
pour conquérir la clientèle des connaisseurs.
Rester parmi les premiers dans le domaine du CHR c'est tenir compte des
tendances, privilégier la présentation, l'étiquette. Mais c'est aussi rester attractif
au niveau du prix, peut-être aux dépens de la qualité ? En un mot, vous sentez-vous
aussi libre et indépendant des modes qu'il y a 40 ans ?
Mon métier premier c'est vigneron. J'aime m'occuper du vin, le déguster, chercher et
extraire le meilleur. Je passe chaque jour, en compagnie de mon fils et de nos deux
nologues, deux heures dans le laboratoire à déguster. Donc pour moi ce qui compte
le plus, c'est le vin. Que les métiers du vin soient dépendants des modes, c'est une
évidence, mais il ne faut jamais oublier que nous appartenons à un secteur de
l'agriculture où le temps est un facteur essentiel. Il faut plusieurs dizaines d'années
pour monter un domaine, pour asseoir sa réputation et surtout pour obtenir un bon
produit. Je ne tiens donc pas à modifier mes vins en fonction de modes fugaces qui
traversent la restauration. J'ai défini une ligne Georges Dubuf : des vins qui
privilégient les arômes, les fruits, sans pour autant délaisser la structure.
Si je vous entends bien, la maison Dubuf est peu sensible aux
phénomènes extérieurs et ne s'intéresse qu'au contenu de la bouteille ?
Je n'ai pas dit cela. Bien entendu, nous modifions notre politique de communication, nous
habillons nos vins différemment. Si vous avez constaté que sur nos plaquettes
publicitaires, nos étiquettes, nous continuons à mettre en valeur l'idée de terroir,
vous avez certainement noté une évolution. Cette notion s'est affinée vers plus de
légèreté, plus de nature, peut-être aussi plus de féminité. Nous travaillons
également le contenant, et ils nous arrivent de créer des bouteilles uniquement pour une
nouvelle gamme de vins. Nous l'avons toujours fait. Un exemple : un jour, je vais voir
Gérard Nandron et je m'étonne auprès de lui de la baisse des ventes de notre
pouilly-fuissé. Il me montre alors une bouteille de rosé de Provence et m'explique
qu'elle fait un tabac auprès de la clientèle. La maison Ott venait de créer sa fameuse
bouteille ! À mon tour, et fort de cet exemple, j'ai créé le pot beaujolais, une
bouteille de 50 cl, qui je l'avoue a bien servi mes efforts de communication.
Vous en serez d'accord, la cuisine évolue, bouge sans cesse. Hier elle était
crémée, au beurre, aujourd'hui l'huile d'olive a pris le dessus. Et puis il y a cette
attirance pour les cuisines du monde qui prennent l'ascendant sur celles du terroir. Au
milieu de ce grand chambardement, la quête de l'accord parfait, du mariage idéal
mets-vin ont-ils encore un sens ?
Vous touchez là à une question tellement subjective. En matière de vin, la France reste
très accrochée à ses terroirs, à ses traditions. Il est encore très difficile pour un
vin de percer dans une autre région viticole que la sienne. L'art d'accorder le verre et
l'assiette est une science fabuleuse porteuse de rêve pour grands enfants. Il suffit
d'écouter pour le comprendre. Je reste cependant persuadé que nous travaillons sur un
produit pour lequel la qualité compte pour 80% et la subjectivité pour 20%. L'accord se
fait avec le plat, mais aussi et surtout dans les têtes. Il arrive très souvent qu'un
vin dégusté dans une cave d'un vigneron, chez un grand restaurateur, ou simplement
devant un repas aux chandelles, vous séduise infiniment. Bu en d'autres circonstances,
vous ne le reconnaissez pas. Pourtant, en dégustation à l'aveugle, c'est exactement le
même...
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L'Hôtellerie n° 2795 La Cave 14 Novembre 2002 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE