L'Hôtellerie :
Quel regard portez-vous sur les trente dernières années ?
Paul Dubrule et Gérard Pélisson :
«Il s'est passé au cours des trente dernières années une «véritable révolution»
par rapport au métier que l'on pratiquait durant les décennies précédentes. La France
s'est tout au long de ces années intensément développée et de nouveaux besoins sont
naturellement apparus. Le confort que les gens souhaitaient avoir dans leurs déplacements
s'est au fur et à mesure largement modifié. Prenons l'exemple de Lille. Lorsque nous
avons ouvert notre premier Novotel dans l'agglomération lilloise en 1967, nous avons
alors avec nos 60 chambres doublé le nombre de chambres équipées de salle de bains à
Lille. Aujourd'hui, il y en a plus de 3.000 dans cette même ville.
A l'époque en fait, un établissement hôtelier classé deux ou encore trois étoiles
disposant d'une salle de bains était plutôt rare. Les hôtels de cette période
n'offraient pas en effet un grand niveau de confort : mauvais chauffage, pas de salles de
réunion, pas de parking, pas de climatisation... La «révolution technique» a
finalement bouleversé nos professions entraînant dans son sillage une transformation
profonde de la qualité du paysage hôtelier français. Le résultat est que l'ensemble de
l'hôtellerie hexagonale est maintenant aux normes et n'a rien à envier à personne.
Il n'y aura plus guère a priori désormais d'évolution dans ce domaine. A l'exception de
ce que nous réalisons actuellement dans nos établissements, à savoir l'installation des
outils qui permettent de se relier aux systèmes d'information mondiaux.»
L'Hôtellerie :
Vous pensez donc que nous entrons aujourd'hui dans une «révolution des moyens de
communication» ?
P.D. et G.P. :
«Les grandes tendances qui se dessinent pour les trente années à venir sont
indiscutablement liées au développement des réseaux de communication. Il est clair que
l'ère des moyens d'information est en train de modifier nos métiers. L'hôtellerie a
pris cependant un peu retard dans ce domaine comparativement à d'autres types
d'entreprises parce qu'elle vend des produits peu chers. Sur une réservation de billet
aérien qui avoisine 1.000, 2.000 ou 3.000 francs, vous pouvez imputer des coûts de
réservation de l'ordre de 40 à 60 francs. Sur une chambre de Formule 1, il est
impossible de supporter
les mêmes frais. Il a donc fallu attendre que l'informatique baisse pour voir ces
nouvelles technologies pénétrer véritablement nos marchés.
Cette «révolution du soft» va bien entendu s'accompagner d'une globalisation des
marchés. Tout porte à croire que l'on va se diriger, pas uniquement d'ailleurs dans
notre secteur d'activité, vers un phénomène de concentration. En d'autres termes, il y
aura dans l'avenir trois ou quatre très grands groupes mondiaux qui feront office de
locomotives. Dieu merci cependant, il y aura aussi parallèlement à ces gros opérateurs
tous les autres acteurs du marché. Les artisans de qualité conserveront leur place et
nous travaillerons ensemble.
En ce qui concerne plus particulièrement Accor, nous allons tout mettre en oeuvre pour
proposer aux entreprises des offres globales en offrant toute une gamme de services qui
passera de la location de voitures,
à l'hébergement, les salles
de réunion...
L'Hôtellerie :
On dit que l'industrie du tourisme et du voyage est aujourd'hui la première au monde.
Pensez-vous que cette place se consolidera dans l'avenir ?
P.D. et G.P. :
«La civilisation a indiscutablement changé. Nous sommes clairement rentrés dans l'ère
du loisir. Le tourisme moyen et bas de gamme connaît aujourd'hui une véritable explosion
! Ce qui se passe en Europe ou en Amérique du Nord, où les pouvoirs d'achat sont
élevés, se passera d'ici dix ans en Asie du Sud-Est et vraisemblablement dans 25 ans en
Inde et en Chine. Nous allons donc assister au niveau mondial à une montée en puissance
de nos métiers. Le tourisme sera vraiment demain la «toute première industrie» du
monde. Car culturellement et économiquement, les gens dépenseront de plus en plus pour
leurs voyages.»
L'Hôtellerie :
Par rapport à cela, comment peut-on expliquer que sur le plan politique le tourisme
soit toujours si peu reconnu ?
P.D. et G.P. :
«Une première chose est acquise : les politiques ont toujours une guerre de retard !
Nous pensons toutefois sérieusement que le problème provient de l'absence d'indicateurs
fiables dans nos métiers. Notre industrie est effectivement très récente et ses
données demeurent encore assez floues. Il y a dans ce domaine probablement beaucoup
d'actions à mener. Si l'on y parvient, les pouvoirs publics se rendront enfin compte du
poids de notre industrie. Cette dernière, sans en avoir l'air, irrigue en effet une
partie énorme de l'économie. Cela passe par le gadget style Tour Eiffel miniature, les
restaurants parisiens, les voitures de location...
Parallèlement, nous croyons également que pour être pris au sérieux, la profession
doit cesser toute bataille interne et se réconcilier. Accor aujourd'hui a en effet les
mêmes préoccupations qu'un indépendant : remplir ses hôtels et faire des marges
bénéficiaires.»
Paul Dubrule et Gérard Pélisson : «Les grandes tendances qui se dessinent pour
les trente années à venir sont indiscutablement liées au développement des réseaux de
communication.»
Les grandes étapes du groupe Accor1967 : ouverture du premier Novotel dans la banlieue
de Lille |
L'HÔTELLERIE n° 2500 Hebdo 6 Mars 1997