L'Hôtellerie : En quoi consiste exactement la gestion du patrimoine immobilier dans un hôtel-restaurant ?
Patrick Le Magnen : «Gérer son patrimoine, c'est avant tout conserver et entretenir son outil de travail. Pour cela, il faut avoir une vue globale de l'exploitation et connaître parfaitement son état physique. Il est alors nécessaire de mettre en place des outils permettant un suivi évocateur des différents éléments constituant l'établissement. Et qu'il s'agisse d'un petit hôtel ou d'un gros porteur, les moyens à instaurer sont les mêmes. Gérer son patrimoine revient à suivre de près cinq indices : la maintenance, les contrats d'entretien, les énergies, les travaux et la sécurité. L'étude des dépenses réalisées dans chacun de ces domaines permet de cerner assez précisément l'état du bâtiment tant dans sa partie visible que dans ses «tripes».
Le meilleur moyen de s'y retrouver est d'instaurer des documents simples à mettre en oeuvre, permettant de suivre aisément l'évolution de chaque domaine. Ces instruments de mesure permettront non seulement de suivre l'état de santé du bâtiment mais ils seront également de véritables outils d'aide à la décision, notamment pour engager des travaux, renégocier des contrats ou remplacer des équipements».
Patrick Le Magnen, conseiller général de l'ARTH : «Gérer son patrimoine,
c'est avant tout avoir une vue globale de son exploitation».
L'Hôtellerie : Les dépenses liées à la maintenance représentent un critère important de la gestion du patrimoine. Comment, concrètement, peut-on s'y prendre pour suivre efficacement ce poste ?
Patrick Le Magnen : «Effectivement, les dépenses liées à la maintenance sont un bon critère d'observation. Les divers services d'un hôtel (accueil, hébergement, restauration, room-service, etc.) sont générateurs de chiffres d'affaires, mais aussi de dépenses liées à leur entretien. Enregistrer ces charges tout au long de l'année représente une première étape à réaliser pour pouvoir prétendre suivre son exploitation. Et pour avoir une vue plus précise de ce qui se passe, ces dépenses doivent être étudiées de plusieurs façons : par service, par corps de métier et par équipement.
Pour cela, il suffit d'établir plusieurs tableaux. Le premier fait apparaître dans la colonne de gauche les services et dans les autres colonnes la répartition mensuelle des dépenses liées à la maintenance. Simple à mettre en oeuvre, ce document permet d'avoir une vue annuelle des dépenses engagées par service. Consignées sur plusieurs années, ces informations permettent de créer un historique et un comparatif pluriannuel (tableau 2). Il est alors facile de se faire une idée sur les besoins en maintenance des divers services. Cela permet d'établir une politique préventive pour le suivi des équipements et des installations et éventuellement d'envisager une formation du personnel.
Suivre les dépenses par service est nécessaire mais insuffisant. Il est également intéressant d'étudier les dépenses par corps de métiers : électricité, plomberie, menuiserie, serrurerie, sécurité, etc. Une fois ces activités identifiées, on réalise une répartition mensuelle des dépenses engagées par corps de métier (tableau 3), puis un comparatif pluriannuel de ces dépenses (tableau 4). En observant très simplement cette analyse sur plusieurs années, il est aisé de déterminer les points faibles du bâtiment et éventuellement d'engager une action.
Enfin, dans le département maintenance, il est également important de suivre les dépenses engendrées par les équipements eux-mêmes. La façon la plus simple d'y parvenir est d'établir une fiche comprenant : l'identification de l'équipement, son année d'installation, les dates des diverses interventions et leurs coûts (tableau 5). Ce suivi permet, là encore, d'établir une politique préventive efficace pour l'entretien et le remplacement du matériel».
L'Hôtellerie : La gestion du patrimoine passe également par la signature de contrats de maintenance pour les installations et équipements. Les contrats existants sont-ils adaptés aux CHR ?
Patrick Le Magnen : «Effectivement, la maintenance passe aussi par la signature de contrats. Actuellement, il en existe deux types : les contrats de moyens et les contrats de résultats.
Les premiers, les plus courants, garantissent seulement que la prestation sera réalisée selon les règles de l'art. Le prestataire n'est pas tenu d'assurer un résultat et sa responsabilité ne peut être mise en jeu que si l'on peut prouver qu'il a commis une faute et n'a pas utilisé tous les moyens promis. Au contraire, dans un contrat de résultat, le prestataire est tenu d'assurer un résultat précis, conformément aux règles de l'art. Le client peut mettre en jeu sa responsabilité sur simple constatation d'un défaut de résultat, sans avoir à prouver la faute. Rarement utilisé, ce deuxième contrat est très onéreux.
Si bien que, pour notre secteur d'activité, aucun des deux n'est bien adapté : l'un est abordable mais inadapté puisque ne garantissant pas de résultat, l'autre assurant un réel service est à un coût beaucoup trop élevé. Devant ce vide, l'ARTH préconise l'établissement d'un nouveau contrat baptisé «contrat technique hôtelier», beaucoup mieux adapté aux contraintes et aux diverses prestations de l'hôtellerie-restauration».
L'Hôtellerie : En quoi consiste exactement le contrat «technique hôtelier» ? Quels sont ses avantages et comment faut-il l'établir ?
Patrick Le Magnen : «Ce contrat prend en considération les contraintes inhérentes aux activités d'hébergement et de restauration. C'est pour cette raison qu'il est important de bien y définir l'environnement dans lequel l'entreprise intervenante devra évoluer. Par ailleurs, il faut préciser la qualité du travail fourni par le prestataire. Elle doit être équivalente à la prestation de l'établissement. Un point qui n'est jamais pris en considération dans les autres types de contrats et pourtant qui a une importance fondamentale. Le niveau de finition n'est pas le même dans un hôtel économique et dans un 4 étoiles. De plus, ce contrat technique hôtelier doit détailler très précisément les dispositions générales, la liste des prestations, les modalités d'exécution, les responsabilités, les prix, les modalités de résiliation, l'attribution des compétences et les annexes. Pour ceux qui le souhaiteraient, nous disposons d'un modèle au sein de notre bureau.
Dans notre secteur, il est important d'essayer d'amener les prestataires à signer ce genre de contrat. Les responsables de l'ARTH préconisent de ne travailler qu'avec ceux qui l'acceptent.
Quoi qu'il en soit, et quel que soit le type de contrat signé, il est impératif de les suivre au plus près. Le tableau 6 en autorise une vision globale simplifiée. Les points à mentionner pour un bon suivi sont : les entreprises intervenantes, les différents repères administratifs, les montants initiaux, les montants de l'année précédente, le suivi des factures mois par mois et le coût réel de l'année écoulée».
L'Hôtellerie : Toujours dans le cadre de la gestion du patrimoine, que peut apporter le suivi des consommations d'énergies ?
Patrick Le Magnen : «Etablir un suivi et un historique des consommations pour chaque type d'énergie, permet tout d'abord de maîtriser les dépenses et deuxièmement de posséder des arguments pour certains choix techniques en matière d'énergie. Bien sûr, l'analyse des consommations des différentes sources énergétiques doit prendre en considération divers paramètres influents comme la température extérieure, le taux d'occupation, le nombre de nuitées et le nombre de couverts. Pour un suivi analytique pointu, il est impératif de relever les consommations et les facturations afin de pouvoir connaître non seulement les coûts globaux par type d'énergie, mais également le coût unitaire et son évolution.
Pour le suivi des consommations énergétiques, deux documents doivent être établis : l'un (tableau 7) pour le suivi mensuel, l'autre (tableau 8) pour un comparatif pluriannuel».
L'Hôtellerie : La conservation du patrimoine passe forcément par la rénovation des locaux et des équipements. A partir de quels paramètres pouvez-vous étayer vos choix dans les décisions et justifier la mise en oeuvre de travaux ?
Patrick Le Magnen : «Généralement, les travaux sont entrepris soit pour moderniser l'outil de travail, soit le remettre aux normes, soit encore pour améliorer des objectifs commerciaux et la qualité du service. Pour décider de tels ou tels travaux à mettre en oeuvre, l'analyse des dépenses par service, par activité et par équipement devient un très précieux outil d'aide à la décision puisqu'elle est le reflet de l'état général de l'exploitation. Les différents tableaux pluriannuels permettent de bien mettre en évidence les points faibles et les points forts du bâtiment et de ses installations.
Une fois les motivations de l'investissement bien définies, il ne reste plus qu'à mettre en place le projet (préparation, choix des intervenants, etc.), à suivre la réalisation et enfin à réceptionner les travaux, selon les règles de l'art.
Ajoutons encore un paramètre : que serait la gestion du patrimoine sans une gestion rigoureuse de la sécurité ? Cela sous-entend le strict respect des normes et consignes, la formation du personnel et l'information de tous, les visites des commissions de sécurité et l'appui des organismes de contrôle. Car n'oublions jamais que l'hôtellerie est un métier d'accueil. Et pour que ce métier s'exerce dans de bonnes conditions, il est impératif d'organiser un suivi efficace des divers services afin d'assurer une qualité de service irréprochable, une sécurité optimum et d'anticiper tous travaux nécessaires à la bonne marche de l'établissement.»
Patrick Le Magnen et Salvatore Legato, président de l'ARTH.
L'ARTH : pour qui, pour quoi ?Réunis en une association de loi 1901, les responsables techniques hôteliers de l'ARTH ont pour objectif de promouvoir la profession des techniques du bâtiment à travers le développement de l'information et de la formation. Représentant 1.500 hôtels en France et à l'étranger au travers de ses 150 adhérents, L'ARTH souhaite faire profiter de son expérience à tous ceux qui ont la responsabilité technique d'un établissement, petit ou grand. «L'expérience de chacun au bénéfice de tous» est leur devise. Afin de rester en contact avec les nouvelles technologies, l'ARTH organise annuellement quatre réunions à thème, au cours desquelles interviennent des spécialistes de la question abordée. Au terme de ces rencontres, un document fort détaillé est remis aux participants. Par ailleurs, soucieuse de son avenir, l'association, en collaboration avec des
partenaires de l'éducation, a mis en place des formations : formation technique des
futurs dirigeants d'exploitation, formation de responsables et directeurs techniques
adjoints, et formation d'agents techniques polyvalents spécialisés dans le secteur de
l'hôtellerie et de la restauration. De plus, afin de conserver et d'améliorer le niveau
technique de chaque adhérent, l'ARTH offre des stages gratuits. Mais former, c'est
également informer, aussi l'association édite-t-elle «ArthInfo», un trimestriel
bourré d'informations pratiques sur de nombreux sujets. Enfin, l'ARTH dispose d'un pool
de conseillers susceptibles de répondre à tous vos problèmes techniques. N'hésitez pas
à les contacter : |
L'HÔTELLERIE n° 2555 Magazine 2 Avril 1998