Rue de Paris à cinq minutes à pied de la
Grand-Place derrière l'une des jolies façades pas vraiment d'aplomb du vieux Lille,
c'est désormais un hôtel bureau de charme tel que les recherchent les touristes
britanniques.
Derrière une façade datée de 1782, l'entrée est étroite, car un fonds de commerce de
restauration à céder occupe la majeure partie du rez-de-chaussée. L'Hôtel de la Paix,
rénové à de multiples reprises, offre 36 chambres de 350 à 450 F. Classé deux
étoiles NN pour le moment, il est candidat à une troisième, probable à la fin des
travaux de sécurité en cours d'achèvement. C'est un véritable indépendant, qui va
quitter une discrète et inadéquate affiliation à Citôtel, adhérent au Club hôtelier
de Lille.
L'entrée donne le ton. Boiseries généreuses pour la réception, la rampe de l'escalier.
Peintures de murs très simples mais aux couleurs italiennes, jaune au rez-de chaussée,
vieux rose ou vert d'eau dans les étages. Et surtout le thème de la maison, les quelque
250 reproductions de tableaux. A chaque peintre sa chambre, son couloir, son escalier ou
son palier. Ou presque, car les maîtres de maison ont manifestement leurs préférences,
et toutes les oeuvres ne sont pas faciles à trouver en reproduction de qualité à prix
abordables.
Au cours des années 80, Jean-Jacques Trénaux, parisien, quitte une multinationale
américaine une bourse en poche, devient en région parisienne distributeur Hitachi de
conditionnement d'air et fonde une affaire d'installation et maintenance des mêmes
équipements. Il revend l'une des affaires et dispose de capitaux à réinvestir. Pourquoi
l'hôtellerie ? «Nous avions vu des amis rénover de fond en comble un hôtel dans le
1er arrondissement. Cela nous a séduits».
C'est à Lille que l'occasion se trouvera. L'affaire est faite le 1er août 1987 pour 4,6
MF frais compris, financés à 50% par emprunt. Un hôtel rénové en 1969 mais aux normes
de confort dépassées depuis. L'affaire est tout de suite exploitable à petits prix,
l'hôtel affiche complet en semaine. Mais les nouveaux propriétaires ont d'autres idées.
Ils ont vécu aux Etats-Unis, sont bilingues.
Jean-Jacques Trénaux a nommé un directeur à la tête de sa seconde affaire. Jeanne
Trénaux a déjà un passé professionnel et est artiste peintre. Ils se laissent
embarquer par la rénovation et leur nouvelle affaire et avouent y passer à présent tout
leur temps avec bien peu de congés. Ils y habitent. Comme de bons hôteliers
indépendants qui se respectent.
Rénovation et business
En plus de l'investissement de départ, l'affaire a englouti 4,5 MF en travaux de rénovation depuis 1987. Autofinancés en partie, et en emprunts successifs au fur et à mesure des besoins. L'affaire n'a jamais perdu d'argent mais «nous n'aurions pas pu en vivre entièrement sans mon autre affaire à côté», avoue Jean-Jacques Trénaux. L'Hôtel de la Paix est néanmoins pour eux un nouveau métier, une véritable entreprise, non pas un passe-temps. Et sur le plan patrimonial, c'est un investissement auquel ils croient. La mise de fonds totale (un peu plus de 9,5 MF, soit 270.000 F la chambre) représente nettement moins de mille fois le prix moyen vendu (350 F environ pour un taux d'occupation certainement supérieur à 70% en 1998). Mais un lourd emprunt dès les débuts eut été impossible à amortir. A noter que l'addition eut été plus lourde si un homme d'entretien providentiel n'avait réalisé une bonne part des travaux. Elle aurait été moindre si les investisseurs n'avaient eu autant de goût pour la décoration. 250 reproductions n'étaient peut-être pas indispensables. Le confort en salle de bains et chambres se situe clairement aux normes trois étoiles. «Alors qu'une chaîne investit de 5.000 F à 6.000 F en mobilier par chambre, certaines armoires ici valent à elles seules davantage. Nous nous sommes fait un peu plaisir», avoue Jean-Jacques Trénaux.
Hôtel d'affaires
Mais cette générosité fait sans doute aussi plaisir aux clients. La
Paix est comme tout établissement lillois avant tout un hôtel d'affaires, complet du
lundi soir au jeudi. Sans publicité, au bouche à oreille. Les trois quarts sont des
habitués, voyageurs d'entreprise qui aiment qu'on les connaisse par leur nom et qui
payent sans discuter 360 F et 400 F les chambres standard avec douches et bains. Standard
est une manière de parler car la configuration de l'immeuble est telle que chaque chambre
a sa personnalité. Impossible d'aménager deux fois la même chose, même si les tons de
couleurs, les tableaux et les salles de bains carrelées blanc très haut se retrouvent
partout. A 450 F, on a l'équivalent d'une junior suite ou executive room. Il y en aura
six à la fin de l'année.
Depuis le lancement d'Eurostar, apparaissent des clients anglais prévenus par les
équipages anglais du fameux train, venus se former en France. Explications : le rapport
qualité/prix, le thème, le centre-ville, les vieilles pierres. Et l'accueil ? Les
patrons hôteliers disent chercher à agir «comme s'ils étaient les clients.»
Ancien homme d'affaires de multinationale, l'hôtelier a été très souvent client. Mais
il n'envisage en aucun cas la restauration, métier trop spécifique à son avis.
Jean-Jacques et Jeanne Trénaux ont dû s'investir totalement dans ce nouveau
métier.
Vieux rose et reproductions de tableaux en abondance. Une impression cosy et un
thème à un coût supportable.
Un marché porteur«Nous refusions trente à quarante clients par jour de
semaine jusqu'à fin 1993. Le 1er janvier, nous remplissions tout juste. Au printemps
1997, nous avons recommencé à refuser du monde. Depuis juin 1997, la demande est
supérieure à nos trente-six chambres», commente ce propriétaire exploitant. |
L'HÔTELLERIE n° 2578 Magazine 10 Septembre 1998