Roger se lève chaque jour à six heures. Après un petit-déjeuner copieux, il prend sa douche. Ce matin-là, ô surprise, il constate en s'essuyant les avant-bras quelques rougeurs inhabituelles et persistantes. Sans doute la fatigue, se dit-il. On verra demain. A huit heures tapantes, il arrive pour prendre son service au café Chez Paulette, devant la gare centrale. La journée se passe comme d'habitude depuis trente ans qu'il tient le comptoir dans ce respectable café de quartier. Son collègue, Paul, un jeune, l'aide efficacement. Tout le monde est heureux. Dans les jours qui suivent cependant, les bras, les épaules puis le visage de Roger se couvrent à leur tour de ces étranges plaques rouges. Là, ce n'est pas normal. Et puis, cela devient gênant. Que va penser la clientèle ? Roger décide donc d'aller consulter un médecin. Le praticien, un spécialiste de la peau, sourit : "Rien de grave, Monsieur Roger. C'est une allergie. On appelle ça la maladie du laiton. Vous êtes tout simplement allergique à ce métal. Eviter d'en toucher et ça partira tout seul..." Roger travaille dans un bar, mais quel rapport avec le laiton ? Il en parle à Paul. Celui-ci travaille dans les mêmes conditions mais ne souffre d'aucune allergie. En outre, les dessus de comptoir et la barre d'appui en laiton ont disparu depuis belle lurette. D'où cela peut-il provenir ? Le lendemain, comme chaque soir à la fermeture, Roger s'emploie à compter ses pourboires. L'opération est fastidieuse : il y a un tas impressionnant de pièces jaunes à trier, pour un résultat souvent médiocre. Paul, qui l'observe dans sa tâche, s'ex-clame : "Mais dis donc Roger, ce laiton qui te file des allergies, ce ne serait pas ces tas de pièces que tu manipules tous les soirs ?" Roger en convient après un temps de réflexion, l'allergie est bien due aux pourboires. Mais comment y échapper ? Il se tourne vers Paul : "Je ne peux tout de même pas demander aux clients de laisser uniquement des pièces de 1 F... enfin des pièces qui ne soient pas en laiton." "Non, admet Paul, mais tu devrais prendre modèle sur moi. Je n'ai quasiment que des pièces blanches comme pourboire." Roger fronce les sourcils : "Comment fais-tu ? Moi j'ai l'habitude de rendre des pièces jaunes aux clients pour que, justement, ils les laissent dans la soucoupe..." Gros soupire de Paul : "Oublie ça mon vieux, c'est ringard ! Fais-leur plutôt des sourires aux clients. Et tu verras que ton allergie va disparaître..." De cause à effet. *
L'HÔTELLERIE n° 2595 Magazine 7 Janvier 1999
Podcasts
