La CGHS, propriétaire du restaurant (ex-Table du
Marché) a investi près de 6 MF dans ce projet, confié et réalisé par Alain Ducasse.
De lourds travaux ont été nécessaires pour réorganiser l'espace avec une cuisine (32
m2) ouverte sur la salle (140 m2) et la création d'une seconde cuisine (38 m2) au
sous-sol. Des cuisines ultra sophistiquées, conçues et réalisées par Soremath, qui
dispose de 9 modes de cuisson différents. Spoon a une capacité de 77 places assises (70
en salle, 7 au bar).
" Notre point mort se situe à 120 couverts/jour, annonce Alain Ducasse. Le
ticket moyen devrait tourner autour de 200/250 F le midi et 250/350 F le soir ". "
Hétéroclite, mixité, cosmopolite, mélange, liberté ", en quelques mots Alain
Ducasse donne la clef de ce nouveau concept.
Loin des décors minimalistes et froids, acclamés par les uns et décriés par les
autres, Spoon mise sur une élégante sobriété réchauffée par des touches de couleurs
tendres. Des matières nobles (bois exotique, porcelaine, lin, cristal...), des choix
originaux (mélange des créateurs et des styles pour les arts de la table), des mariages
audacieux (en cuisine)... des idées intéressantes. Par exemple, comment combiner dans un
seul et même lieu une ambiance déjeuner, lumineuse et dynamique, et une atmosphère cosy
et plus sophistiquée pour le dîner ? Jacqueline et Henri Boifills,
décorateurs-concepteurs, ont relevé le défi. La réponse ? Un décor modulable. Sur les
murs, un capiton couleur lie-de-vin tendu de quelques câbles d'acier, clin d'il au
graphisme contemporain. Ambiance raffinée pour le soir avec lumières tamisées.
Changement radical pour le déjeuner : des stores blancs (de grands pans de tissus)
descendent le long des murs et recouvrent le décor initial. L'éclairage se fait alors
plus lumineux (grâce à un variateur). Une idée simple, pas forcément onéreuse et
l'effet est garanti.
Pour bien marquer l'aspect cosmopolite du lieu, Alain Ducasse a choisi d'exposer des pots
de condiments et des sauces du monde entier. Plus loin, sur un présentoir, ce sont les 47
éditions internationales du magazine féminin Elle. Le clou, c'est sans nul doute le
bar-vitrine où l'on découvre une centaine de bouteilles de vins (les 120 références de
la carte sélectionnées par Gérard Margeon), soit 10 % de vins français, 50 %
américains, 40 % pour le reste du monde.
Diversité aussi dans l'organisation de la salle de restaurant : un mélange de tables
rondes ou carrées avec des fauteuils aux couleurs acidulées, mais aussi des tables
basses près des banquettes. On y trouve également une table d'hôtes pour 10 personnes.
Plus intimes, certaines tables sont nichées dans des stalles de bois. Et pour les clients
pressés, Il y a encore la possibilité de manger au bar, assis sur l'un des hauts
tabourets aux pieds en fer forgé.
Chaque table est unique
Alain Ducasse brise les codes en optant pour des éléments aux styles radicalement
différents. Sur les tables, drapées de lin blanc cassé, serviettes assorties, première
surprise, les assiettes sont toutes différentes les unes des autres. Rondes, ovales,
creuses, plates, unies ou bicolores, du blanc au brun, une déclinaison des couleurs de la
terre avec des reflets plus ou moins irisés. Chaque assiette, en porcelaine, est une
pièce unique réalisée par la société Jaune de Chrome. De chaque côté, sont
disposés des couverts " Baguette " signés Christofle (couteau et fourchette).
Mais, c'est au-dessus de l'assiette que l'on trouve de véritables baguettes de bois de
palmier (réutilisables) déposées sur un socle noir en céramique créés par Gilles
Gaffier. Un photophore cylindrique en fer noir dispense une petite lumière. Le cendrier
en métal argenté (Alessi) permet d'enfermer cendres et mégots. Autre surprise, sur
chaque table les clients découvrent un petit bloc-notes avec un crayon de papier, le tout
siglé Spoon. Une attention qui devrait plaire. Et en guise de panier à pain, un torchon
en lin délicatement plié.
Côté cuisine, Alain Ducasse revendique des influences américaines, anglaises,
asiatiques voire latines. Produits, modes de cuisson, techniques culinaires... le chef a
fait son "marché" dans le monde entier. Mais Alain Ducasse a voulu aller plus
loin : le client compose son plat. Dans une carte (volumineuse), le client choisit sa
viande ou son poisson, puis la sauce ou les condiments, et détermine la garniture. Tout
est permis. Le client est roi. Il peut s'attabler longuement, manger au bar en 20 mn ou
grâce aux Bento box (boîtes à pique-nique japonaises) partir avec son repas. Spoon
répond-il aux attentes de la clientèle ? "C'est un pari, confie Alain
Ducasse. Je pense que le concept va plaire. Si ce n'est pas le cas, on ira ailleurs.
ça voudra dire qu'on est arrivé trop tôt."
Alain Ducasse et Christophe Moret, le chef de Spoon, ancien du Louis XV à
Monte-Carlo.
Les 120 références de la carte des vins en vitrine au bar.
L'HÔTELLERIE n° 2595 Magazine 7 Janvier 1999