Déjà au cours des années soixante-dix, la
Société des Eaux d'Evian, propriétaire d'un ancien casino de style mauresque et d'un
superbe terrain de golf de 18 trous de 6 030 m (par 72) sur dix-sept hectares, avait
commencé à moderniser son palace début de siècle qu'elle n'avait pu vendre en
appartements comme tant d'hôtels de la station l'avaient été. Le directeur de
l'époque, Robert Lassalle, avait conçu tout un programme d'animations, de loisirs et de
détente afin d'ouvrir l'établissement dix mois par an au lieu de trois.
Le rachat de l'ensemble par le groupe BSN, aujourd'hui Danone, allait donner une
accélération spectaculaire à l'embellissement de cet hôtel amiral dominant le Léman
et à la diversité des activités dites périphériques.
La "danseuse" d'Antoine
Il est vrai qu'Antoine Riboud s'était pris de passion pour cette "danseuse"
qui le changeait de ses entreprises gigantesques devenues un des principaux groupes
agroalimentaires de l'ouest et de l'est européens. Appliquant avec son équipe des
méthodes de management et de commercialisation qu'ils avaient expérimentées avec
efficacité et succès dans les autres branches de sa multinationale, il n'eut de cesse de
développer ce complexe sans trop en altérer l'image de luxe, d'exception et de
tranquillité cossue.
Ces dernières années, précise Roger Mercier, directeur général de la SEAT, "notre
produit global a évolué sans cesse pour répondre aux attentes de la clientèle et, dans
la mesure du possible, à anticiper ses attentes."
Un chantier permanent
Chaque année, durant la fermeture hivernale, et par tranches successives de dix
millions, des travaux ont permis de refaire complètement le Royal, étage par étage ;
d'agrandir les piscines intérieure et extérieure ; de doter l'institut "Mieux
vivre" d'équipements récents et sophistiqués ; de réaménager complètement le
club-house du golf ; de transformer radicalement les salles de jeux et l'espace congrès ;
de multiplier les activités et les spectacles ; de hisser ses différents restaurants
parmi les meilleures tables de la Haute-Savoie : l'ensemble gastronomique ou diététique,
placé sous la houlette de Michel Lentz.
En 1988, nouvelle accélération : la Société d'exploitation d'activités touristiques
(SEAT) qui coiffe le domaine reprend l'Ermitage - un autre bel hôtel du début du siècle
que la commune avait transformé en hôpital de 1950 à 1987 - qu'elle complète avec un
bâtiment doté de tous les aménagements souhaitables pour des séminaires et des
congrès de cent à six cents personnes : plus de cent millions de travaux. Depuis, ce
"tourisme d'affaires" marche si fort, surtout sur le plan international à cause
de la proximité de Genève et de Cointrin, que la direction a dû instaurer des quotas
pour ne pas importuner les particuliers, explique Alain Spieser, porte-parole du Domaine.
"La Grange au lac"
Par ailleurs, Antoine Riboud, qui s'était littéralement entiché de Mstislav
Rostropovitch, transforma le festival des "Jeunes musiciens sans frontières"
qu'avait créé Serge Zehnacker en festival de stars internationales : "Les
Rencontres musicales d'Evian". Et pour accueillir ces concerts prestigieux, fit
construire un superbe auditorium en bois de 1 200 places dans le style des datchas cher à
Slava, en pleine forêt, à deux pas de l'Ermitage et du Royal : "La Grange au
lac". Afin d'attirer une clientèle encore plus large sans léser les activités haut
de gamme, la SEAT a agrandi le casino que dirige désormais Patrice Caillaux en portant
les bandits manchots à deux cent cinquante ; transformé le cabaret aux spectacles
coûteux en discothèque ; lancé à côté de la prestigieuse Toque Royale (un macaron au
Michelin), le Jardin des Lys et, surtout, Le Liberté, bar-restaurant avec soirées à
thème, retransmissions de matchs, karaoké : onze restaurants au total, de styles
différents. Le tout en reprenant les façades donnant sur la croisette avec force néons,
lasers, murs d'image, etc. Ce n'est pas encore Las Vegas, mais devant cette avancée
moderniste, le Domaine du Royal Club d'Evian rappelle qu'ils ont réalisé une somptueuse
suite baptisée Edouard VII, puisque le prince de Galles fut, dès 1907, un des clients
titrés et attitrés du Royal : un salon, deux chambres, deux salles de bains, une salle
de gym, une terrasse panoramique donnant sur le lac et Lausanne.
Si le Domaine accueille moins de têtes couronnées et de princes qu'avant la grande
guerre, les grands de la finance, de la politique, du jet set et du showbiz ne manquent
pas : "Nous garantissons une totale discrétion à nos clients qui viennent
goûter la tranquillité du Domaine", dit encore Alain Spieser.
Paré pour l'offensive helvétique
Ainsi, le chiffre d'affaires de l'hôtellerie seule dépasse 130 millions avec des taux
d'occupation de 65 à 69 %, de quoi faire pâlir les autres palaces de France : il était
temps. Avec l'ouverture du casino d'Annemasse passé en deux ans de la 117e place à la
13e du classement français, le casino d'Evian a accusé un recul de 9 %, avec près de
200 millions de CA toutefois.
Cela dit, Evian et son Domaine sont parés pour la prochaine offensive : la concurrence de
salles de jeux suisses dont l'ouverture a été décidée par le gouvernement confédéral
mais dont les décrets d'application tardent à paraître.
Pastor
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Cioffi
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L'HÔTELLERIE n° 2599 Magazine 4 Février 1999