C'est en plein centre historique de Milan, à deux
pas du Duomo, de la Galleria, de la Scala et du triangle d'or de la mode universelle, dans
la Via San Pietro all'Orto, que Gualtiero Marchesi a choisi de revenir. Un retour qu'il a
annoncé à ses concitoyens dans une de ces formules lyrico-gastronomiques dont il a la
recette : "Via San Pietro all'Orto, nous retaillerons un petit espace ouvert aux
idées, aux échanges, à l'éducation, à la communication, à l'étude, non d'une
culture culinaire mais de ma culture. En ouvrant une boutique d'art et de rencontres, je
voudrais qu'il en émane le principe d'une vie, le style Marchesi. En d'autres termes, je
voudrais offrir à tous, à travers la sélection et la préparation des produits, des
livres, des ustensiles, des conférences et des rencontres, la curiosité, le
savoir-faire, la compétence qui sont les bases de mon travail quotidien."
Même s'il ne tire pas de l'analyse de ce message une vision parfaitement claire du
contenu de la dernière idée du maestro, le lecteur a déjà compris qu'il ne s'agit pas
d'un nouveau restaurant.
Remettre un pied en ville n'empêche pas le plus célèbre des chefs italiens de garder
l'autre à la campagne. Plus précisément sur les collines de Franciacorta, à Erbusco
où les étoiles Michelin de son Alberetta continuent de guider les Rois mages de l'Europe
du Nord et du Japon et les opulents bergers de la région de Brescia.
Dans notre cas, le parallèle rejoint le simultané par la magie de la
vidéocommunication. Car l'écran qui tapisse la boutique milanaise met le client du
negozio Marchesi en contact avec la cucina Marchesi.
Et depuis les fourneaux d'Erbusco, le professeur Marchesi enseigne en direct, aux clients
de Milan, l'art et la manière de faire son métier en livrant une partie de ses secrets.
Un exercice dont l'artiste Marchesi a acquis une vieille habitude à l'occasion des
innombrables émissions télévisées qu'il a eu l'occasion d'animer.
Art de la cuisine et de la table
L'entrée de ses plats dans l'univers de la cuisine virtuelle constitue un effet
spécial qui doit faciliter le grand dessein du philosophe Marchesi : la promotion de la
culture gastronomique qui voit sa concrétisation dans la création du club Gualtiero
Marchesi qui est l'âme de San Pietro all'Orto. Le club est, en effet, une sorte
d'académie dédiée à l'art de la cuisine et de la table. Il est destiné à proposer
des cours de cuisine, des leçons de goût, des conférences, des journées à thème, des
dégustations, des semaines gastronomiques, et d'aller, avec l'explorateur Marchesi, à la
découverte des saveurs perdues.
Mais au siècle de la grande consommation, le commerçant Marchesi ne peut ignorer que la
culture ne suffit pas pour nourrir l'entrepreneur et ses clients. Dans la boutique, sera
mise en vente une gamme limitée d'articles alimentaires produits par l'équipe Marchesi
ou par des artisans du temps jadis à partir de ses propres recettes : sauces, huile,
café, confitures, vins, liqueurs, chocolats, tartes et autres pâtisseries accompagnées
de leur fiche technique.
Quant aux plats de la haute cuisine du chef, préparés dans le laboratoire de la
boutique, ils pourront être emportés vers un destin d'assemblage sur les tables
milanaises qui se consoleront ainsi de l'exil de l'enfant du pays et lui pardonneront la
"trahison" de 1992. D'autant plus que si la distance dissuade les Milanais
d'aller à son restaurant, l'humaniste Marchesi a décidé que son restaurant irait aux
Milanais. La conception du menu se fera chez lui. La préparation et le service chez eux
à condition de ne pas dépasser le cap des 20 couverts. Qualité et style Marchesi
garantis.
Avec sa boutique polyvalente élevée à la gloire des Beaux-Arts culinaires et qui se
veut un salon de goût, l'homme, à tout penser et à beaucoup faire de la restauration
italienne, atteint deux objectifs : la paix avec sa bonne ville de Milan et la
concrétisation des idées du chercheur Marchesi qui sait aussi bien cultiver la cuisine
que cuisiner la culture. "Pour progresser, il faut placer la recherche au centre
de l'univers et donner à la recette la place qui lui revient à côté d'autres
éléments tout aussi importants. Je me réfère à la fonctionnalité de la cuisine, au
mobilier, à la vaisselle, au choix des produits, au service qui doit retrouver ses gestes
d'antan. Je me rends compte qu'avec toutes ces contraintes, la figure traditionnelle du
chef est surpassée par celle d'un artiste de la Renaissance. Même si cela semble
anachronique, c'est l'objectif. Au sommet de la civilisation, science et art se donnent la
main", indique Gualtiero Marchesi.
Cela pourrait ressembler à un testament. Mais à 68 ans, l'inventeur Marchesi a déjà en
tête bien d'autres recettes destinées à conjuguer sa "cuisine globale",
celle qui consiste à donner aux plats "le goût qu'ils ont" avec l'art
et la philosophie.
A une époque où les écoliers de la génération fast-food s'expriment comme des
syndicalistes rassis, la passion d'entreprendre, l'enthousiasme et le lyrisme du grand
chef lombard rassurent. Dans ce petit monde de Don Gualtiero, la restauration a su garder
le plus beau de ses thèmes : la jeunesse.
« Via San Pietro all'Orto, nous retaillerons un petit espace ouvert aux idées »,
annonce Gualtiero Marchesi.
« Je voudrais offrir à tous, à travers la sélection et la préparation des
produits, (...) et des rencontres, la curiosité, le savoir-faire, la compétence qui sont
les bases de mon travail quotidien. »
Gualtiero Marchesi Le plus célèbre des chefs italiensGualtiero Marchesi est né à Milan en 1930. Dès son plus jeune âge, il a
démontré une véritable passion pour la cuisine dans l'hôtel-restaurant familial «
Mercato » de Milan. |
L'HÔTELLERIE n° 2599 Magazine 4 Février 1999