Qu'y a-t-il donc de commun entre le pétrolier
Total, les cinémas Gaumont, les Virgin Megastore et Ikea ? Tous sont des restaurateurs.
Même si cette affirmation a de quoi surprendre et si, aujourd'hui encore, tous nient
catégoriquement être "restaurateurs", les faits parlent pour eux.
Total, non content d'avoir développé avec Crocade près de soixante-dix sites de
restauration à table sur le territoire français, s'attache aujourd'hui à multiplier un
autre concept, Café Bonjour, davantage tourné vers la restauration rapide.
Gaumont, à l'heure des multiplex, entend systématiser ses Café Ciné qui proposent à
la fois boissons chaudes, glaces et snacking.
Les Virgin Megastore, après un certain attentisme en matière de restauration, comptent
bien relancer le développement des Virgin Café, à l'image de celui des Champs-Elysées.
Quant au Suédois Ikea, son expérience de restaurateur est sans doute la plus ancienne et
la plus internationale de toutes, avec 140 unités de restauration dans 25 pays pour un
chiffre d'affaires de 1,5 milliard de francs dans le monde.
Et ils sont aujourd'hui suivis par bien d'autres commerces ou prestataires de services qui
se lancent également dans une forme de restauration plus ou moins élaborée.
Il est plus que probable que les professionnels de la restauration commerciale,
chaînes et indépendants, ceux qui se battent au quotidien pour la survie de leur
entreprise ou contre la TVA à 20,6 % ne soient pas prêts pour autant à les voir rentrer
dans leurs rangs. Et sans doute ces nouveaux prestataires de la restauration, désignés
par certains comme les restaurateurs du troisième type, se sentent eux-mêmes trop
différents. Mais ils constituent d'ores et déjà des concurrents avec lesquels il faut
compter.
Après tout, personne n'irait aujourd'hui nier que les boulangeries, à grands coups de
vente à emporter - et parfois sur place - de sandwiches, salades ou plats chauds,
constituent une autre réponse à la demande de restauration hors domicile, au moins à
l'heure du déjeuner. Pourquoi penser différemment à propos des commerces et services
qui se mettent eux aussi à proposer à leurs clients de grignoter sur place, voire d'y
faire un vrai repas ?
Le phénomène est certes récent. Mais son ampleur n'en est que plus impressionnante. Les
spécialistes des mutations du secteur en ont été les premiers surpris. Bernard
Boutboul, directeur associé de Gira Sic Conseil, société d'études et de marketing de
la restauration, avoue lui-même avoir été pris de court par la soudaineté et la
puissance de cette tendance. "Nous avons lancé une étude sur la restauration du
troisième type en 1997 car, à l'époque, ces circuits parallèles étaient en plein
démarrage. Mais aujourd'hui, plus qu'un démarrage, c'est une véritable explosion ! Ce
secteur a connu une croissance supérieure à 60 % entre 1997 et fin 1998. Mais dans 15
jours, trois semaines ou deux mois, elle sera à 80 %. Même sur la livraison de pizzas à
domicile, on n'a jamais vu un tel taux de croissance."
Et, selon lui, cette explosion est loin d'être terminée. "Les sources deviennent
multiples. Mais en fait, la restauration peut s'introduire partout où les clients
stationnent pendant une durée moyenne ou longue." A l'image des Etats-Unis, on
devrait donc bientôt pouvoir s'alimenter un peu partout.
En France les précurseurs en la matière n'ont pas fait parler d'eux comme de nouveaux
restaurateurs. Pour l'essentiel, il s'agissait de magasins et, hormis Ikea qui a installé
un restaurant dans chacun de ses sites, l'idée a généralement été testée, avec plus
ou moins de succès, sur une petite échelle. Ainsi, si "les trois magasins Fnac de
l'époque pionnière (Sébastopol, Montparnasse et Etoile) avaient à l'origine un
comptoir café", comme le rappelle Pierre-Jean Richard, directeur des aménagements
et des concepts à la Fnac, cette idée avait été complètement abandonnée dans les
années quatre-vingt.
Les Virgin Megastore ont suivi une évolution somme toute assez semblable, même si un
emplacement consacré à la restauration faisait pleinement partie du concept de départ.
"Les Virgin Megastore sont des lieux qui se veulent multiculturels et la gastronomie
appartient à la culture française", souligne Patrick Druart, directeur du Virgin
Café des Champs-Elysées. Il n'en reste pas moins que si les trois premiers Megastore
proposaient à leur clientèle un espace Virgin Café, il n'en existe plus que deux à
l'heure actuelle, à Paris sur les Champs-Elysées et à Marseille.
Aujourd'hui, la tendance s'est inversée. L'heure est à la relance pour les Virgin Café.
Le succès du site parisien, et dans une moindre mesure du petit frère marseillais, fait
fortement songer à redonner vie au Virgin Café de Bordeaux. Plus généralement, Patrick
Druart évoque une volonté de "créer des cafés dans les grands Megastore",
ceux qui jouissent d'une surface d'au moins 1 000 ou 1 200 m2. Et il se prend à rêver
"d'autres Virgin Café, indépendants du Megastore", où le thème central du
magasin serait rappelé par toute une série de clins d'il (écoute de CD, diffusion
des émissions internes Virgin télé, magazines...). Mais ce souhait, étudié
semble-t-il chez Virgin Megastore, ne constitue pas une priorité.
Du côté de la Fnac, la reprise du concept de base a été totalement repensée. En plus
des boissons, les clients peuvent trouver une petite grignoterie dans les nouveaux Fnac
Café. Mais ici, la prudence est de mise. "L'idée de départ, analyse Pierre-Jean
Richard, consiste à proposer un point de rendez-vous, un point de repos. On ne tient pas
du tout à faire de la restauration." Néanmoins, le principe va être généralisé.
Une dizaine de Fnac Café existe aujourd'hui en France et à l'étranger (Espagne et
Portugal), mais ce chiffre va rapidement augmenter en raison du fort programme de
développement des magasins (plus de 30 dans les deux ans à venir), qui seront tous
équipés de leur point café. Il est même envisagé de créer de tels espaces dans une
partie des magasins Fnac existants, du moins lorsque l'architecture des lieux permet de
répondre aux contraintes, en matière d'hygiène notamment.
Seul Ikea a donc toujours maintenu le cap initial concernant ses unités restauration.
Mais là aussi une nouvelle tendance s'est peu à peu dessinée. "Tous les magasins
Ikea ont un site restauration, indique Jean-François Orsini, directeur de la restauration
chez Ikea France. Et l'emplacement du restaurant est toujours conceptualisé. Il doit
être à mi-parcours entre le satellite et l'exposition. Mais il existe aussi des bars,
qui sont des points de restauration rapide près des caisses et, actuellement, on
développe les chariots. On multiplie les points de vente car on est engorgé le
week-end."
Cette remise en place et ce nouvel essor des premières expériences sont bien un signe
des temps. Ils sont d'ailleurs à rapprocher de la reprise de l'idée par de nombreux
autres commerces. Après l'ameublement et les livres/disques, diverses autres activités
du commerce de détail tentent elles aussi l'aventure. Le secteur de l'habillement, en
particulier, a rapidement saisi la perche.
Plusieurs marques, de Celio à Lanvin en passant par Armani, Ventilo et le très branché
Colette, à Paris, ont ouvert leur coin restaurant. Mais dans ce domaine, l'expérience
est plus artisanale. La taille des magasins n'est d'abord pas comparable à celle des
géants Ikea, Fnac ou Virgin. D'autre part, l'image de luxe de certains d'entre eux ou
leur caractère très parisien empêche de reproduire le concept à grande échelle.
Toutefois, la création d'un restaurant n'est pas forcément vécue comme un gadget mais
comme un élément du magasin lui-même et des services et produits offerts à la
clientèle.
Lorsque Giorgio Armani décide de confier le lancement de son premier restaurant parisien,
au sein de son magasin Emporio Armani, à une société d'exploitation extérieure, il
n'en est pas à son coup d'essai. Aux Etats-Unis, à Londres ou en Italie, des restaurants
à son nom existent déjà depuis plusieurs années. Cette fois, il s'agit de faire
naître une synergie entre chacun des établissements en proposant à la clientèle un
service identique à chaque fois. "Il existe un esprit Armani, constate Thierry
Burlot, chef propriétaire associé de l'Emporio Armani Café. Un client Armani reste
client pour cet esprit qu'il retrouve partout. Armani est dans la mode quelque chose
d'identifiable et de reconnaissable. Mais les restaurants étaient un peu disparates. On a
voulu proposer une prestation de service liée à l'art de vivre italien, avec des
produits originaux et originels."
Le résultat a dû séduire à la fois Giorgio Armani et la clientèle puisque le
restaurant parisien, ouvert début 1998, est devenu le site phare de la restauration
Armani. Thierry Burlot et son associé se sont vus confier depuis la gestion du restaurant
de New York et sont chargés de la mise en place de la partie restauration de nouveaux
magasins.
Mais des commerces, on en est rapidement passé aux services. C'est ainsi que les
pétroliers ont eu l'idée de doubler l'offre déjà proposée dans leurs boutiques (vente
de boissons chaudes et froides, de confiseries, biscuits et sandwiches sous vide, à
côté des cartes routières, journaux et autres cassettes de musique d'ambiance) par de
véritables points de restauration, assise et à emporter.
Le principe répond à une certaine logique. Les automobilistes des grands axes routiers
ont depuis longtemps l'habitude de faire une pause repas dans les restaurants
d'autoroutes. Dans ces conditions, pourquoi ne pas leur donner la possibilité, sur un
même site, à la fois de se ravitailler en carburant et de se restaurer ? La tâche
semble d'autant plus facile que, ainsi que le fait remarquer François Lécosse chez
Shell, "on a tous la même cible, que l'on soit pétrolier ou restaurant d'autoroute
: c'est le client sur autoroute. Et nous connaissons bien le profil de ces clients."
Ce qui est beaucoup plus surprenant est de constater que les pétroliers, au lieu de
confier un espace à une marque connue de restauration rapide, ont décidé de prendre
eux-mêmes en charge cette nouvelle activité. Il est vrai que les premières tentatives
d'association mises en place en France, comme celle de Total avec McDo à Versailles,
n'ont pas obtenu les résultats escomptés. La tendance actuelle, qu'il s'agisse de Total
ou de Shell, consiste donc à mettre en place sa propre marque, que ce soit pour des
motifs de rentabilité (Shell) ou pour mieux répondre aux attentes spécifiques de la
clientèle française. C'est ainsi que sont nés Crocade et Café Bonjour chez Total et
Escapade chez Shell.
Là aussi, on ne peut que constater l'importance des efforts mis en uvre pour
réussir ce pari de la restauration. Loin de se contenter d'un vague test, les deux
pétroliers ont décidé d'agir en véritables professionnels et de répondre le mieux
possible à toutes les attentes de leur clientèle.
C'est pourquoi, après avoir lancé il y a huit ans le concept de restauration Crocade,
"pour satisfaire davantage la clientèle de routiers", comme le signale Claude
Léonard, chef de projet au sein du marketing Europe, "Total a fait évoluer ces
restaurants afin de répondre aux demandes des familles "fortement
intéressées". Aujourd'hui, cette même écoute des besoins des consommateurs,
souvent pressés et désireux de multiplier des pauses détente rapides, conduit Total à
développer parallèlement les Café Bonjour, centrés autour du sandwich à la
française, à base de baguettes fabriquées sur place.
Chez Shell, l'offre de restauration est regroupée sous une appellation unique, Escapade,
mais elle n'en est pas moins souple. Les produits vont du simple snack à la cuisine
traditionnelle un peu plus élaborée, sous forme de self ou de bar et l'espace
restauration s'adapte à l'environnement, sur une gamme qui va de quelques tabourets à
plus de 140 places assises. "L'objectif, admet François Lécosse, chef de projet
Escapade, c'est d'avoir une offre complète pour les différentes personnes qui
fréquentent les grands axes routiers." Les 31 unités Escapade sont donc appelées
à se multiplier, en France mais aussi à l'étranger (Portugal, Belgique et Suisse).
Quant au concept lui-même, il est toujours susceptible d'évoluer lorsque le besoin s'en
fait sentir. Pour cela, les enquêtes consommateurs constituent une aide précieuse dont
les pétroliers font un large usage. "C'est une de ces enquêtes qui nous a amenés
à modifier notre offre cette année, notamment pour aller davantage vers les attentes des
familles", constate François Lécosse.
Mais la toute dernière réflexion des pétroliers peut annoncer une véritable inflexion
dans cette démarche de restaurateur. Non contents de multiplier les espaces de
restauration sur les autoroutes ou les grandes nationales, ils envisagent désormais de
s'attaquer à leur clientèle de centre-ville. "On pense proposer un produit en
milieu urbain, explique le responsable d'Escapade, mais on devra repenser le produit,
l'approche. L'avantage c'est qu'on travaille quand même avec toute la machine Shell
derrière." Du côté de Total, le concept existe déjà. Les deux Café Bonjour qui
existent aujourd'hui sur le territoire français devraient très rapidement devenir une
vingtaine. Et ils peuvent tout à fait "être installés en ville quand la clientèle
est adaptée", estime Claude Léonard.
Ce nouvel engouement des pétroliers pour la restauration indique bien la tendance
générale. Il était donc tout naturel que d'autres prestataires de services
s'engouffrent à leur tour dans cette voie. A leur tête, théâtres et cinémas ont
sérieusement commencé à satisfaire une demande déjà ancienne de leur clientèle en
lui offrant de quoi se restaurer, même sommairement.
Cette offre reste cependant très éparse et peu structurée, chacun agissant à sa
guise, en fonction de sa situation ou de sa fréquentation. Et si la formule snack est la
plus répandue, certains théâtres parisiens lui ont préféré une véritable
restauration assise, à l'image du Théâtre du Rond-Point des Champs-Elysées, dont le
restaurant peut accueillir jusqu'à 300 couverts !
Seules quelques chaînes de cinéma ont eu la possibilité d'élaborer un véritable
concept, reproduit en série. C'est notamment le cas de Gaumont qui, en développant ses
gigantesques multiplex (une dizaine en France qui regroupent chacun de 10 à 16 salles et
de 2 000 à 4 000 fauteuils), a voulu y introduire un espace de détente, le Ciné Café.
Celui-ci ne travaille que des produits de petite restauration rapide et affiche une gamme
"volontairement restreinte", selon les dires même de Laurent Allegret, en
charge de ce concept chez Gaumont. Explication : il s'agit de faire face essentiellement
à de la vente d'impulsion, sur un laps de temps très court, essentiellement avant le
début de la séance. Mais ce choix n'est pas incompatible avec la décision de multiplier
les Ciné Café, bien au contraire. "Dans les futurs multiplex, il y en aura de
façon systématique", annonce Laurent Allegret. Or, c'est presque uniquement autour
de tels complexes cinématographiques que va se centrer l'avenir des salles de cinéma.
Les services de loisirs, les pétroliers, les commerces, tous semblent désormais se
lancer parallèlement dans la restauration. Mais aussi longue soit-elle, cette liste n'est
pas exhaustive. Selon Bernard Boutboul, de Gira Sic Conseil, les géants de la grande
distribution comme Carrefour ou Auchan "étudient eux aussi la possibilité de mettre
en place une offre de grignotage" sur leurs sites. Contrairement aux cafétérias des
mêmes enseignes, il s'agirait cette fois de petits kiosques situés à l'intérieur même
des hypermarchés et qui permettraient au consommateur de se nourrir tout en faisant ses
courses. Et bien d'autres encore sont sans doute en train d'étudier des projets du même
type, ce qui rend impossible une analyse complète de cette nouvelle tendance mais en
démontre l'importance.
L'idée a donc fait du chemin ces dernières années. Et si elle est autant reprise
actuellement c'est d'abord parce qu'elle remporte un succès certain. Le concept séduit
sans aucun doute et correspond à une évolution du comportement des consommateurs. Comme
le constate Claude Léonard chez Total, la restauration du troisième type, et, en
l'occurrence celle proposée par les pétroliers, constitue une "réponse sympathique
à une demande de la clientèle. Les gens sont de plus en plus pressés et c'est agréable
de prendre de l'essence, de garer sa voiture sur nos parkings et de s'acheter à manger en
n'ayant que deux pas à faire."
Le succès est donc bien au rendez-vous. Sur ce point, tout le monde est d'accord. Chez
Gira Sic Conseil, on évalue ainsi le chiffre d'affaires total de ce circuit parallèle à
40 milliards de francs. A titre d'exemple, le chiffre d'affaires global des différents
sites Escapade se monte aujourd'hui à 45 millions de francs, celui des unités
françaises de restauration chez Ikea avoisine les 200 millions de francs pour 1998, quant
à celui de l'Emporio Armani Café, il atteint désormais les 550 000 francs par mois.
De plus, ces restaurants parvenant dans certains cas à se trouver leur clientèle propre
sont parfois générateurs d'une nouvelle clientèle pour le magasin auquel ils sont
liés. "Il existe des sites, comme à Bordeaux, où, en semaine, 70 % des clients du
restaurant Ikea viennent de l'extérieur et non pas du magasin", indique le directeur
de la restauration d'Ikea.
L'ampleur de ce succès a parfois surpris ces nouveaux restaurateurs. Ainsi, au
départ, la plupart d'entre eux ont imaginé de tels concepts dans le but essentiel de
satisfaire, voire de devancer, les attentes de leur clientèle. Aujourd'hui, forts de
leurs premiers résultats plus que satisfaisants, ils affichent également des objectifs
de rentabilité plus ou moins précis.
Jean-François Orsini bénéficie, grâce à l'ancienneté et à la solidité du secteur
restauration d'Ikea, du recul suffisant pour analyser cette évolution. "Si vous
dites - ce qui était notre cas - que nos restaurants sont là pour souligner l'aspect
suédois du magasin et pour éviter que les gens nous quittent parce qu'ils ont faim et
soif, il est possible d'arriver à mettre en place une forme de restauration, mais avec
des moyens considérables. C'est le tort dans lequel tout le monde tombe. Aujourd'hui, on
veut aussi une certaine rentabilité. C'est nécessaire pour éviter la gabegie. Mais ça
ne doit pas être le but unique car la rentabilité ne se compare pas à celle du magasin.
Il faut avoir les deux objectifs en tête sinon, soit on oublie le client, soit on oublie
la rentabilité."
L'attitude des pétroliers est très proche. L'idée de départ consistait sans nul doute
à proposer le maximum de services aux clients sur un même point de vente. Mais, comme
l'avoue avec réalisme François Lécosse "aujourd'hui on travaille également dans
une deuxième démarche. L'activité carburant pure est peu rentable et la restauration
apparaît comme un bon moyen d'améliorer la productivité de nos sites."
Même dans le domaine du luxe, la notion de rentabilité n'est pas totalement absente de
la mise en place d'un restaurant. "A la base, Armani a créé son propre service de
restauration, rappelle Thierry Burlot. La retombée financière de service n'était ni
immédiate ni cruciale. Mais aujourd'hui il donne à des spécialistes l'exploitation de
ses restaurants. Cela conduit à deux choses : Armani doit contenter sa clientèle mais
nous, nous sommes obligés de gagner de l'argent puisque nous avons simplement la
société d'exploitation."
Les seuls à se détacher complètement de cette notion de rentabilité sont justement
ceux qui proposent l'offre à la fois la plus limitée et la plus récente. Ainsi, les
Fnac Café comme les Ciné Café de Gaumont semblent encore éloignés de cette
motivation. "Le concept de Ciné Café apporte un plus en matière de services à la
clientèle, mais pas vraiment en matière de chiffre d'affaires, avoue Laurent Allegret.
Si on ne pensait qu'à la rentabilité, on resterait au pop-corn au lieu de proposer des
sandwiches ou des panini." Le discours de Pierre-Jean Richard est très proche et met
lui aussi en avant un "service pour les clients", sans "rentabilité
attendue".
Quelle que soit la motivation à l'origine de la mise en place du concept, sa réussite
vient également du grand professionnalisme de tous ces nouveaux prestataires. Si la
restauration n'est pas leur métier d'origine, ils se sont tous lancés dans l'expérience
avec le plus grand soin.
Dans certains cas, le développement de ce concept a même été confié à des
spécialistes de la restauration. Patrick Druart, chez Virgin, est directeur du Virgin
Café au même titre que n'importe quel autre directeur de restaurant. Thierry Burlot
s'est vu confier l'exploitation de l'Emporio Armani Café en partie sur la base de son
expérience de cuisine française gastronomique et de son passage au Crillon, chez Maxim's
ou chez Potel et Chabot. Et chez Total, c'est à une ancienne restauratrice, Claude
Léonard, que la responsabilité des projets Crocade ou Café Bonjour a été accordée.
Que les opérations aient été pilotées par des professionnels de la restauration ou
non, elles ont, en tout cas, toujours été menées dans le plus grand respect de la
clientèle. Tous affirment leur attachement à la qualité et au rapport qualité prix.
Que l'objectif soit d'offrir un simple sandwich ou une cuisine plus élaborée, la
volonté de satisfaire cette demande de la clientèle est constante. Pour Thierry Burlot,
il s'agit même de l'une des motivations de départ dans sa participation au restaurant
parisien d'Armani. "Le challenge m'intéressait car c'était une démarche
gastronomique : travailler le plus élégamment possible le meilleur produit." Et il
ajoute : "Si un restaurant dans une boutique n'a pas une démarche qualitative, ça
ne peut pas marcher et ça ne dure pas."
Ce souci de la qualité revient ainsi dans toutes les bouches, depuis Laurent Allegret,
chez Gaumont, qui l'érige en "priorité" à François Lécosse chez Shell qui
s'efforce de faire passer le message de la qualité à travers la mise en avant de
l'origine des produits ou de leurs marques (la viande française, l'andouillette de
Troyes, le café Segaffredo...).
Cette notion de qualité est d'autant plus importante dans une activité parallèle
qu'elle est susceptible de jouer sur l'image que le client peut avoir du produit de base
lui-même. C'est d'ailleurs ce qui peut pousser certains à accentuer la cohérence entre
l'activité principale et cette prestation annexe à travers une restauration à thème.
Si Armani propose de la cuisine italienne, c'est dans le but avoué de renforcer l'idée
d'un "esprit Armani". De même, Ikea doit une part de son succès à l'image
suédoise de l'enseigne, "très positive en Europe", selon Jean-François
Orsini. Le choix d'une restauration aux tonalités scandinaves ne pouvait donc que
contribuer à asseoir cette image et à garantir un certain succès aux unités de
restauration. La démarche entreprise par Décathlon est assez similaire : en mettant en
place des points de petite restauration diététique, la chaîne de magasins d'équipement
de sport accentue le slogan du magasin "A fond la forme".
En travaillant dans le respect des règles de professionnalisme, en recherchant en
permanence la satisfaction de la clientèle, ces restaurateurs du troisième type se
préparent très probablement à un très bel avenir dans le secteur. Parce que, une fois
surmontées les difficultés de départ, ils bénéficient de tout un contexte qui ferait
rêver nombre de professionnels du secteur : énormes machines de communication et
marketing, rayonnement sur l'ensemble du territoire national, voire international, assise
financière solide. Comme le fait remarquer non sans bon sens Thierry Burlot : "Le
seul risque financier pour Armani en ouvrant un Emporio Armani Café, c'est de sacrifier
170 m2 de sa boutique pour la restauration." Une telle concurrence a donc non
seulement de quoi troubler les restaurateurs d'aujourd'hui, mais aussi de quoi les rendre
jaloux !
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En plus des traditionnels restaurants, Ikea multiplie les points de vente de
restauration pour satisfaire la clientèle à chaque moment de sa visite du magasin : bar
à proximité des caisses et chariots mobiles.
"Nos Ciné Café ne veulent pas se substituer aux bars ou aux restaurants, affirme
Laurent Allegret chez Gaumont. Au contraire, sur plusieurs de nos sites, on encourage
l'installation à proximité de restaurants ou de fast-foods."
Avec seulement deux sites Café Bonjour en France aujourd'hui, Total prévoit un
développement rapide de ce deuxième concept de restauration, pour atteindre très
bientôt la vingtaine de points de vente. Des installations au cur des villes sont
loin d'être exclues.
Les principaux acteurs des circuits parallèlesUne liste exhaustive des "restaurateurs du troisième type" est encore impossible à établir. Il est néanmoins possible d'énumérer les principales catégories de circuits parallèles. n Les métiers de bouche n Les magasins n Les pétroliers n Les cinémas n Les théâtres n Les musées n La grande distribution n Les autres services |
L'HÔTELLERIE n° 2599 Magazine 4 Février 1999