Dès le siècle
dernier, éclatait sur les costumes des Provençales de toutes conditions sociales la
nouvelle science des teinturiers, tisseurs et indienneurs, qui surent avec talent
s'approprier des techniques venues de fort loin. Les jupons rayés se portaient avec des
caracos et des fichus fleuris, les siamoises se mêlaient aux indiennes. Le nom même de
ces étoffes renvoyait à leurs lointaines origines : les siamoises au Siam, les indiennes
aux Indes, les mousselines à Mossoul.
De tout temps, la Méditerranée a autorisé les échanges entre l'Europe, l'Afrique et
l'Asie. Et dès le XVIe siècle, Marseille s'est imposée comme une porte ouverte sur le
monde. De solides échanges commerciaux existaient avec les ports d'Orient et notamment
avec Alep (Syrie), qui était alors un gigantesque bazar à la croisée de toutes les
routes. Des marchands indiens, persans, arméniens et tartares y rencontraient des
négociants vénitiens, hollandais, anglais et marseillais. Et pendant près de trois
siècles, ceux-ci achetèrent ou troquèrent contre bonnets, papiers, étoffes de laine et
quincaillerie française une incroyable diversité de toiles de coton blanches, colorées
ou imprimées des Indes et du Levant.
Ces tissus de coton fleuris et colorés où se mêlaient les bleus de l'indigo, les
violets, les rouges et les roses de la garance, les noirs et les bruns de la noix de galle
et les jaunes du curcuma allaient devenir si caractéristiques de la Provence que,
quelques siècles plus tard, on ne les connaîtra plus que sous le nom de tissus
provençaux. Et pourtant, les techniques employées pour réaliser ces étoffes
dépassaient largement les compétences des teinturiers marseillais de l'époque.
Pour tenter d'arrêter cette mode, la prohibition fut déclarée
Il leur fallut beaucoup de temps pour arracher aux indienneurs levantins et arméniens
leurs secrets de teintures. Ils furent d'ailleurs aidés dans leur démarche par une autre
industrie fructueuse qui se développait à Marseille, celle des cartes à jouer. En
effet, ils avaient observé que les planches de bois gravées servant à imprimer les
cartes étaient comparables à celles utilisées en Orient pour les tissus. Ainsi,
maîtres graveurs et teinturiers mirent en commun leurs savoirs et leurs talents pour
fabriquer des étoffes imprimées de bonne qualité.
C'était important d'y parvenir car l'Europe entière s'était mise à raffoler de ces
légères cotonnades imprimées aux si jolis décors de fleurs, fruits et oiseaux
exotiques. Nobles et bourgeois s'en habillaient, en recouvraient leurs murs, en tendaient
leurs lits et leurs meubles. A tel point que les industries traditionnelles de la laine et
de la soie s'en trouvèrent en péril et protestèrent. Le ministre Louvois tenta donc
d'arrêter cette mode et proclama en 1686 la prohibition des indiennes et des toiles
peintes. Cependant, Marseille qui était port franc poursuivit sa production destinée à
la consommation locale et aux colonies.
La prohibition dura jusqu'en 1759, sans avoir découragé les amateurs qui
s'approvisionnaient par le biais de la contrebande, malgré les sévères risques
encourus. Mais dès lors, de nouvelles manufactures purent se créer officiellement, comme
celle de Jouy-en-Josas qui, en compagnie de quelques manufacturiers alsaciens, devint le
principal fournisseur des Provençaux. Alors, tous les ans, à la foire de Beaucaire
(près de Nîmes), parvenaient d'énormes quantités d'indien-
nes destinées tout spécialement au marché provençal.
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L'HÔTELLERIE n° 2603 Magazine 4 Mars 1999