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Restauration

Avec un savoir-faire français

Ils réussissent en Allemagne

Jean-Claude Bourgueil, la cinquantaine, est une référence gastronomique à Düsseldorf, sur les bords du Rhin. Son établissement propose deux tables sous le même toit : l'une possède trois macarons et lutte quotidiennement pour les garder, l'autre est un « simple » étoilé d'atmosphère plus germanique. Vincent Moissonnier, plus jeune d'une demi-génération, a réinventé le bistrot de luxe dans le quartier turc de Cologne. Un restaurant très français, mais aussi très attentif à sa clientèle locale. D'un côté l'exigence même, de l'autre l'innovation au pouvoir, montrent un chemin possible à leurs collègues français, dans une région rhénane qui approche les dix millions d'habitants.

Par Alain Simoneau

Le Moissonnier à Cologne, un bistrot
français branché

Ce fut longtemps le quartier des ouvriers étrangers de l'usine Ford de Cologne. Situé à un quart d'heure à pied de la cathédrale, mais pas vraiment au centre-ville, le restaurant ne se trouve pas par un hasard touristique. Plutôt typées classe moyenne aujourd'hui, ces rues du quartier nord, toutes reconstruites après-guerre avec leurs vitrines, restent encore très orientales. La devanture du restaurant Le Moissonnier, elle, est encore plus difficile à classer. Disons un caprice de décorateur plus qu'un style local. A l'intérieur, Liliane et Vincent Moissonnier, repreneurs de cette ancienne brasserie en 1987, ont fait confiance à l'artiste d'origine, un spécialiste de la décoration des lieux de culte. La salle avec ses 55 places assises n'offre rien de luxueux. Sous un plafond assez haut, les murs sur fond ocre-jaune sont peints de fresques assez étonnantes. Les piliers, la séparation d'avec la cuisine, le comptoir rappellent un peu certains endroits des halles d'autrefois. L'ensemble est tout juste confortable - chaises et banquettes comme un bistrot parisien - revu et corrigé par un décorateur de temple païen.
A l'heure du coup de feu de midi, Le Moissonnier est rapidement plein.

Bistrot de charme

La clientèle est discrètement haut de gamme, mais sans ostentation. Pas de chichis entre voisins, même si les hommes d'affaires côtoient célibataires hédonistes, couples de retraités amateurs ou mère et fille en conversation sérieuse. "Nous avons mis en place un concept de bistrot de charme. Pas de grande célébration, on s'assoit l'un à côté de l'autre. Je veux qu'on y vive, qu'on puisse y rigoler et parler", résume le patron, élégant mais non classique dans sa tenue. Il paraît nettement moins que ses 38 ans, a l'air de tout sauf d'un patron compassé, mais ne cesse d'expliquer en souriant. Parce que ses clients sont bon public et en redemandent. "En Allemagne, la gastronomie est en essor permanent. Il faut oublier le mythe de la saucisse et de la bière. Nos clients sont très sensibles à la cuisine, aiment apprendre et sont attentifs aux explications. Nous innovons en permanence, sur une base française mais sans chercher à imiter qui que ce soit", dit cet admirateur de Pierre Gagnaire. Pas de menu au menu, tout est à la carte qui tient sur deux pages. Une carte colorée, épicée, audacieuse. Pour 91 F voici par exemple en hors-d'œuvre des petits Rouleaux de thon au chutney de courge avec un millefeuille d'anchois frais, de poivrons marinés et une mousse de sardines, sur un bouillon de cocos au jus de coque... Les plats de résistance varient de 39 à 43 DM (autour de 140 F). Notons entre autres des Filets de lapin au gras de seiche, sur un lait de poule fumé avec du pied de porc braisé et pommes de terre, rouleaux de feuilles de riz farcis au gingembre et poireaux. Compliqué, du bluff ? Ce n'est pas l'avis des guides : trois toques et 17/20 au Gaut et Millau, restaurant de l'année pour ce guide en Allemagne, et un macaron Michelin reconduit depuis trois ans. Les clients sont d'accord. Le restaurant est plein tous les jours "et doit l'être", affirme Vincent Moissonnier. L'ambiance n'est là que si le restaurant est plein. Question d'atmosphère et d'accueil et de rapport qualité/prix. Au Moissonnier, un couple le soir s'en tire à 850 F, une addition raisonnable pour un bon restaurant outre-Rhin. A midi, Le Moissonnier réalise 25 % de son CA avec des clients un peu plus pressés.

L'innovation et le vin au verre

Mais réussir les mélanges n'est pas donné à tout le monde. Le chef, Eric Menchon, venu d'Aix-en-Provence voici onze ans, a progressé avec le restaurant pratiquement depuis ses débuts. Un CAP de l'école hôtelière de Nice en poche en 1983, Eric Menchon a tourné à Aix et Marseille sans être vraiment satisfait. Il voulait changer, c'est gagné ! "Ici, c'est excellent pour travailler", commente-t-il. Son épouse Patricia est en cuisine avec lui. La méthode pour progresser ? "Nous ne suivons pas une ligne, une école. Nous essayons d'innover, ce qui donne plaisir à travailler. Nous changeons toutes les trois semaines un à trois plats de la carte. Il faut satisfaire et étonner des clients exigeants, souvent habitués. Innover est délicat. Nous travaillons en équipe avec monsieur Moissonnier." Homme de salle, Vincent Moissonnier est aussi sommelier. Un art qu'il pratique dans l'air du temps et en fonction de la demande de la clientèle. "Au départ je voulais m'inspirer de l'Ecluse, créer une vinothèque, un lieu de dégustation au verre avec la possibilité de manger un plat en plus." Finalement la vraie restauration a tout emporté. Toutefois le thème du vin est resté, doublement cohérent avec le concept d'ensemble : d'une part, le côté découverte et apprentissage, fondamental pour cette clientèle avide de savoir et d'autre part le toujours présent rapport qualité/prix. La maison propose une quarantaine de vins français au verre "que nous importons nous-mêmes au retour des vacances", et une carte des vins d'exception à la bouteille. Une tendance que l'on retrouve à Paris comme à Londres et New York, avec toutefois un côté didactique propre à la volonté allemande d'apprendre. Au total, le concept marche, est rentable, les Moissonnier vont donc l'affiner toujours plus.


Une équipe entièrement française autour de Vincent Moissonnier au centre,
de son épouse Liliane et du chef Eric Menchon.


Au pays des verts,
des couleurs pour les poubelles dans la cour du Moissonnier : une poubelle pour le verre, une pour les cartons et plastiques d'emballage, une pour les biodégradables sans plastique... Attention, l'intercommunale de Cologne ne badine pas.

Les produits : dur ou facile ?

Ici, les avis divergent. Pour Jean-Claude Bourgueil, les bons produits sont importés de France. Non que les terroirs allemands soient si mauvais et les agriculteurs et éleveurs incompétents, mais "lorsque l'un d'eux tente d'élever la qualité de ses produits, la distribution ne peut les payer, et il retourne en arrière". Hors, pour les vins et les spécialités, Vincent Moissonnier parvient à s'approvisionner au marché de Cologne, second en primeurs du pays à condition de s'y rendre dès 5 h 30 du matin. Cela fonctionne à raison de deux gros et deux petits marchés par semaine. Mais les prix à qualité comparable sont élevés, comparés à Rungis. L'un comme l'autre disposent de filières d'approvisionnement en fromages et vins ou produits de la mer qui font d'eux des importateurs compétents. Et des conseillers précieux pour les achats privés de leurs clients en France. Moissonnier est par exemple client chez un maître affineur de fromages strasbourgeois, et reçoit quatre livraisons de poisson chaque semaine par Rungis express. C'est toutefois des Pays-Bas qu'il reçoit le mardi ses soles et ses sandres.


L'HÔTELLERIE n° 2607 Magazine 1er Avril 1999

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