L'Hôtellerie :
Votre réussite vous a permis de développer avec succès plusieurs affaires mais ne vous
empêche visiblement pas de revendiquer votre statut de restaurateur indépendant ?
Jean Richard :
Nous défendons une autonomie et une indépendance complète entre les affaires :
Chez Francis, Marius et Janette, deux Bistrots de Marius, le Café Indigo, le Bar au Sel
et l'Hôtel Montaigne. Au niveau juridique, chaque société est différente et toutes les
affaires sont séparées les unes des autres. Il faut qu'elles soient autonomes. Nous ne
voulons pas les rattacher et nous les gérons en leur laissant leur autonomie. Nous nous
contentons de faire un contrôle global sur le plan de la gestion. A chaque fois, le
produit est différent, les moyennes de couverts sont différentes. La seule unité est
une unité de lieu : il y a très peu de distance entre mes bureaux et mes différentes
affaires.
L'H. :
Avec un tel succès, vous pouvez apparaître comme un modèle de réussite pour les
restaurateurs indépendants ?
J. R. :
Il ne faut pas avoir la grosse tête avec ce qu'on fait. Cela reste du travail
artisanal, du petit commerce. Mes affaires ne sont pas autres choses : elles sont
entièrement familiales ; je n'ai pas de sponsor derrière moi. Je reste très pragmatique
dans ma manière d'agir. Ce métier est un métier très difficile où il faut rester
vigilant, ne pas dériver et ne pas tout révolutionner. Les principes de base sont très
simples : il s'agit de travailler un produit de qualité, principalement le poisson, sauf
pour le Café Indigo. Il faut un rapport qualité/prix intéressant, un cadre impeccable,
des prestations de qualité.
L'H. :
Envisagez-vous de nouveaux développements dans un avenir proche ?
J. R. :
Beaucoup d'opportunités vont se présenter dans les deux ans à venir. Ça bouge
beaucoup. Dans les affaires que j'ai en vue, je souhaite simplement adapter le concept que
je veux à la clientèle potentielle. Nous pensons également à d'autres hôtels trois ou
quatre étoiles. Quant à savoir si c'est pour bientôt... Je ne suis pas une chaîne avec
des projets de développement à telle ou telle échéance. Je reste très pragmatique
dans ma manière de voir les choses. Je suis heureux car je fais les choses comme je les
sens. Les entreprises qui emploient 2 000 ou 3 000 personnes ne contrôlent plus rien. Ça
ne m'intéresse pas de travailler comme ça. Je n'ai besoin de personne. Je fais ce que je
veux. Je recherche des affaires qui me plaisent, qui sont à mon image, et non pas du
chiffre. Le grand luxe aujourd'hui, ce n'est pas l'argent mais la liberté et
l'indépendance.
L'H. :
Avez-vous le sentiment d'être un restaurateur à la mode ?
J. R. :
Je n'ai pas les qualités nécessaires pour faire travailler des affaires dans
des endroits où il ne se passe rien. Je préfère surpayer des lieux et avoir des
affaires dans des quartiers recherchés. Ceci dit, beaucoup d'établissements marchent
bien un temps parce qu'ils sont à la mode. Moi, je veux aussi faire des affaires qui
restent. La clientèle dite "mode" est assez versatile et va toujours dans le
dernier endroit branché. C'est très dangereux. Cependant dans la restauration, certaines
personnes ont des idées originales mais sont confrontées par la suite à un phénomène
de plagiat ou de copie qui s'exerce à travers des décorateurs qui refont ce qui marche
déjà. Heureusement, récemment sont apparus d'autres décorateurs qui ne sont pas
spécialistes de la restauration et qui ont apporté de nouveaux concepts de restaurants.
Pour le Café Indigo, j'ai fait appel à un décorateur extérieur à la profession mais
c'est moi qui ai décidé de tout, qui ai apporté le concept.
L'H. :
Pensez-vous que la restauration indépendante a encore de l'avenir ?
J R. :
Tout le monde a de l'avenir à l'heure actuelle. A chaque endroit, on peut avoir
de la place pour tout le monde dans la mesure où chacun est devenu très professionnel.
Il y a eu un écrémage. Il faut rester très sérieux et très humble, ne pas croire
qu'on détient la vérité. Nous sommes au service du consommateur, nous sommes là pour
traduire ses aspirations. Les gens qui font leur métier d'une façon honnête et
rigoureuse auront toujours leur place. Aujourd'hui, beaucoup de consommateurs considèrent
le restaurant comme un divertissement, une sortie. Il faut qu'ils puissent avoir un
maximum de satisfaction à partir du moment où ils consacrent un budget à cette sortie.
Notre métier est devenu très complexe. Il faut s'attacher à la qualité du produit et
donc aujourd'hui, à l'origine du produit. Si les gens veulent des produits très
travaillés, ils vont dans des deux ou trois étoiles. Moi, j'essaye simplement de
restituer le produit dans son originalité. Il faut aussi savoir calculer ses ratios, ses
frais de gestion.
L'H. :
Quels sont, selon vous, les principaux problèmes qui vont toucher les restaurateurs
indépendants demain ?
J R. :
En France, le personnel coûte très cher et les prestataires de services sont
super imposés ! Nous avons un taux de TVA prohibitif. Ce n'est pas normal que des
métiers qui emploient une main-d'uvre nombreuse soient aussi imposés ! Dans
l'avenir, les problèmes de recrutement de professionnels compétents vont se faire de
plus en plus sentir. Il faut trouver des gens qui puissent avancer, s'exprimer. Si les
gens sont motivés, un deal peut se faire, malgré des horaires difficiles. Nous avons
peut-être du retard en ce qui concerne les heures de travail, mais cela pose des
problèmes de coût. Si vous voulez trouver des produits de qualité, ne pas tromper le
client et faire face au coût de la main-d'uvre en restauration, votre marge de
manuvre est très limitée. Je ne suis pas contre le fait que les gens travaillent
35 heures, mais si nous sommes obligés de répercuter ce côté supplémentaire de
main-d'uvre, nous n'aurons plus de clients.
L'H :
Et quelles sont les qualités indispensables d'un restaurateur indépendant ?
J. R. :
A l'heure actuelle, c'est difficile de se lancer dans la restauration
indépendante, même si la baisse des taux a facilité les choses. Il faut être très
courageux, très pugnace, très volontaire. Si on a des idées, on peut les mettre en
pratique, à condition de savoir où on s'implante et de faire une petite étude marketing
pour connaître ses chances de succès. Il faut savoir s'adapter. Mais il n'y a pas de
règle, à proprement parler. C'est un métier très artisanal. Si j'avais des conseils à
donner à un jeune, je le ferais tourner un peu partout ; travailler chez les meilleurs et
partir à l'étranger pour voir ce qui se passe ailleurs. Il y a forcément des choses à
ramener, des expériences à avoir. Après, il pourra sentir les choses. Parce que, à mon
avis, les gens vont penser de plus en plus à leurs loisirs, et les vacances et la
restauration en font partie. C'est pour cela que je pense que ce sont des secteurs qui
seront porteurs au début du XXIe siècle.
"Je reste très pragmatique dans ma manière de voir les choses. Je suis
heureux car je fais les choses comme je les sens."
"Je recherche des affaires qui me plaisent, qui sont à mon image, et non
pas du chiffre", avoue le propriétaire de Chez Francis.
L'HÔTELLERIE n° 2607 Magazine 1er Avril 1999