m Lisa Casagrande
"Moi je ne
commande rien, c'est "elle" et ce n'est ni un abattoir ni un poulailler,
alors..." D'un geste de la main et du menton, Paul Visciano désigne la mer qui,
de l'autre côté de la rue, déroule sa palette de bleus. "Je ne vends que du
frais et du sauvage, jamais d'élevage ou du congelé, affirme-t-il, alors je ne
sais pas d'avance ce que je vais y mettre dans ma bouillabaisse, ça dépend de la pêche.
Des fois, je n'y mets rien..."
Depuis le décès d'Antoine, son père, il y a deux ans, Paul, 48 ans, tient avec sa
mère, Jeanne, la barre de Chez Michel, connu depuis trois générations pour sa
bouillabaisse et ses poissons grillés.
Des centaines de vedettes, à commencer par Fernandel, Chevalier, Picasso..., ont très
vite fréquenté le restaurant familial, créé en 1946 par le grand-père Visciano, un
pêcheur devenu écailler puis restaurateur, et dont le souvenir est vénéré.
"Ca m'a fait un immense plaisir de retrouver cette étoile, et surtout une grande
émotion car j'ai pensé à mes "fantômes" qui sont toujours auprès de moi, confie
Paul. Ce restaurant, j'y suis né, et j'y travaille depuis l'âge de 16 ans. Ma
sur, Michelle, est là aussi, et tient la comptabilité. C'est notre vie, vous
comprenez ? On est tous des passionnés : on vit pour la bouillabaisse, trop souvent
décriée, et pour Marseille."
Quelques tableaux d'Ambrogianni sur les murs simplement peints, des tables en bois
patinées par le temps... Chez Michel a gardé son look dépouillé de restaurant de
quartier, même si l'on y mange avec des couverts en argent.
"On est resté artisanal et familial. Rien n'a changé depuis mon grand-père, ni
la carte, ni la décoration, et ça ne changera pas ; il n'y aura jamais de chichis, ici."
Le secret : la soupe de poissons que Jeanne prépare tous les matins
En cuisine, c'est Jeanne, 68 ans, qui continue d'officier. "Elle y a passé sa
vie, explique Paul. Elle vient tous les matins préparer pendant quatre heures la
soupe de poissons, c'est la base de la bouillabaisse, le secret du restaurant. Sans elle,
on n'est rien..."
Trois "petits" aident Jeanne en cuisine ; des "petits" qui sont
quadragénaires et travaillent Chez Michel depuis 25 ans. Le maître d'hôtel, lui, est
là depuis 30 ans.
"C'est comme ça chez nous, on est une grande famille et on peut pas s'en passer.
Tiens, demandez à Matelot..."
"Matelot" - qui a oublié son vrai nom - a passé l'âge de la retraite mais
continue d'aller tous les matins acheter 60 kg de poisson sur le Vieux Port, comme le
faisait autrefois son père. "Je suis le premier à monter sur les bateaux et à
choisir", précise-t-il fièrement. Puis, quand les clients arrivent, il leur
présente le panier où saint-pierres, galinettes, vives, rascasses (chapons) etc.
tressautent encore.
Lorsque les clients ont choisi, Paul fait cuire les poissons, les sert avec la
bouillabaisse dans un plat en argent et les découpe, aidé en salle par quatre garçons,
dont, pour la première fois, trois jeunes frais émoulus de l'école hôtelière de
Marseille.
Hormis la bouillabaisse et la bourride provençale, la carte est réduite : quelques
poissons de Méditerranée (sars, loups, dorades, pageots, rougets...) badigeonnés à
l'huile d'olive et grillés sur un lit de fenouil, mais "jamais flambés, surtout",
de la soupe de poissons et des supions persillés, accompagnés surtout de vins de
Provence (cassis, bandol, côtes de provence, coteaux d'aix...), et de quelques outsiders
extra-régionaux.
"Notre secret ? C'est l'amour, la passion et la fraîcheur, c'est tout",
affirme Paul, qui propose les spécialités de la maison sept jours sur sept, midi et
soir, et 365 jours par an, sauf le 24 décembre. Mais si vous voulez manger la
bouillabaisse, n'y allez pas par temps de mistral... n
Chez Michel
Brasserie des Catalans
6 avenue des Catalans
13007 Marseille
Tél. : 04 91 52 64 22
Jeanne Visciano, Michelle, sa fille, Paul et Matelot, posent devant les paniers de
poissons frais, les "vrais vedettes" de la maison, même si en arrière-plan
sont exposées les photos de tous les artistes venus les déguster.
Chez Michel a gardé son look dépouillé de restaurant de quartier.
Parlons chiffresInvestissements Nombre de couverts 50 par service Ticket moyen 370 F Prix menu pas de menu Carte Chiffre d'affaires annuel 5 MF Effectif 10 |
L'HÔTELLERIE n° 2612 Magazine 6 Mai 1999