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Jean-André Charial à L'Oustau de Baumanière
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La modernisation d'un mythe

Jean-André Charial, formé à HEC avant de devenir cuisinier, est aujourd'hui à la tête du groupe de L'Oustau de Baumanière. Un héritage qu'il a réussi, en 5 ans, à moderniser, à développer, tout en préservant son image mythique. Un cas d'école.

m Lisa Casagrande

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Jean-André Charial, cuisinier, membre du conseil d'administration des Relais & Châteaux, et, depuis six mois, président du Syndicat des vignerons des Baux-de-Provence.

Au pied du rocher des Baux-de-Provence, dans le petit paradis du Val d'Enfer qui, dit-on, inspira la Divine Comédie de Dante, L'Oustau de Baumanière, mas du XVIe siècle blotti dans la verdure, est un restaurant deux étoiles Michelin de 90 places et un hôtel classé Relais & Châteaux de 22 chambres 4 étoiles, où flotte l'atmosphère de la Provence inimitable de nos grands-mères. Ces chambres sont réparties dans trois bâtiments - L'Oustau, La Guigou et Le Manoir - qui ont le charme incomparable des vieilles pierres et des maisons d'antan, avec leurs escaliers patinés, leurs couloirs pleins de coins et recoins, leurs terrasses ou petits jardins fleuris...
Un peu plus loin, à côté des potagers et des vergers du domaine, La Cabro d'Or est le second établissement du groupe Baumanière. Classé Relais & Châteaux également, mais au style plus "relax" (et aux prix inférieurs), il compte 30 chambres 4 étoiles, elles aussi réparties dans plusieurs bâtiments à l'ombre des arbres, et un restaurant de 60 places, qui vient de regagner son étoile, perdue 5 ans auparavant.
Au total, le groupe emploie 150 salariés, dont une partie en commun pour réaliser des économies d'échelle (blanchisserie, administration, entretien des 15 ha de terrain environnant) et réalise un chiffre d'affaires d'environ 55 MF, dont 2/3 pour L'Oustau et 1/3 pour La Cabro.
Depuis 1993, Jean-André Charial, né en 1945 en même temps que L'Oustau, formé à HEC avant de devenir cuisinier, est le p.-d.g. des diverses sociétés qui composent ce groupe, succédant à son grand-père, Raymond Thuilier, le fondateur, un brin tyrannique, et dans l'ombre duquel il travailla 25 ans.

Développer l'héritage en le réactualisant
Ses objectifs : d'abord faire en sorte que Baumanière, qui fut un temps aussi célèbre que la Tour d'Argent, reste un endroit mythique, tout en remettant son luxe au goût du jour, avec un peu plus de convivialité et un peu moins d'ostentation mais tout autant de qualité ; développer en parallèle des produits complémentaires, ainsi que l'amorça son grand-père lorsque, en 1963, il créa La Cabro d'Or ; et enfin faire taire les mauvaises lan-
gues, pour qui la personnalité affirmée de l'aïeul faisait craindre que le petit-fils "ne lui arrive pas à la cheville". L'héritier a en effet bien l'intention de montrer que sa différence peut justement permettre d'assurer la continuité d'un concept jadis novateur.
"Lorsqu'en 1947 mon grand-père a acheté le vieux mas délabré qu'était Baumanière, pour en faire un hôtel de charme, il a en fait inventé avant l'heure le concept des Relais & Châteaux, explique-t-il. Il n'existait pas à la campagne d'établissements où l'on puisse à la fois dormir dans de bonnes conditions, bien manger et se livrer à des activités de loisirs dans un cadre agréable. Or, à l'issue de la guerre, le tourisme était en pleine expansion et les Baux étaient à moins d'une heure de voiture de grandes villes comme Arles, Aix, Marseille, Montpellier, Nîmes, Avignon..."
Aujourd'hui, le concept a pris racine mais est confronté à l'évolution des modes de vie. "Le marché évolue rapidement et les Relais & Châteaux doivent absolument s'adapter aux mutations en cours. Les gens riches aujourd'hui aiment la convivialité, ont des codes vestimentaires moins stricts, passent d'un type de restaurant à un autre, veulent avoir un sentiment de liberté... Nos établissements doivent être moins guindés, s'a-
dapter à une nouvelle clientèle beaucoup moins fidèle qu'autrefois et beaucoup plus interna-
tionale, car le pouvoir d'achat des Français a baissé
", estime Jean-André Charial. Et il ajoute : "A L'Oustau, nous avons encore une clientèle d'inconditionnels mais sa part diminue. Par ailleurs, si nous affichons complet de mai à septembre, en hiver le coût d'entretien de notre équipe permanente, base de la qualité d'une maison, est énorme. D'autant plus que la clientèle régionale, qui assurait notre fonds de commerce hors saison, a fondu comme neige au soleil... Mais il n'est pas question que je baisse les prix. Je veux au contraire avoir un hôtel et un restaurant encore plus beaux et de meilleure qualité."

Plus de 20 MF d'investissements en cinq ans
Pour relever le défi, l'homme a investi plus de 18 MF entre 1994 et 1998, notamment pour moderniser la décoration de L'Oustau, jugée trop chargée, sur les conseils de Geneviève, son épouse. Et il investira 4 à 5 MF cette année pour créer de nouvelles chambres dans le petit manoir du XVIIIe.
Autre objectif : accentuer la complémentarité de style entre L'Oustau et La Cabro d'Or. "A sa création, La Cabro devait être un restaurant de grillades et un hébergement sympathique à destination des cavaliers du club hippique voisin. Mais mon grand-père aimait trop le faste pour en rester là et l'établissement s'est très vite embourgeoisé, devenant à son tour Relais & Châteaux tandis que le restaurant gagnait une étoile. Par ailleurs, La Cabro a toujours été animée par des collaborateurs formés à Baumanière qui ne pouvaient s'empêcher de refaire ce qu'ils avaient l'habitude de faire, mais à des prix inférieurs et donc avec des produits de moindre qualité. Du sous-Baumanière, en quelque sorte", analyse encore Jean-André Charial. "Et lorsque, en 1990, nous avons perdu une de nos trois étoiles à L'Oustau, la diffé-
rence avec La Cabro s'est encore amenuisée...
"
Pour renverser la tendance, Jean-André Charial vient d'embaucher pour La Cabro un chef totalement extérieur au sérail. Sa mission : proposer une cuisine totalement différente, plus simple, permettant de conserver l'étoile reconquise mais pas plus. Avec un ticket moyen de 400 F au lieu de 850 F à L'Oustau. Quant aux chambres, elles sont vendues, en haute saison, entre 650 et 1 200 F, au lieu de 1 300 à 2 100 F chez la grande sœur.
La cuisine de L'Oustau a elle aussi évolué. Vers plus de légèreté. "Le luxe aujourd'hui, ce n'est plus comme après guerre, lorsque l'on sortait d'années de privations, d'avoir des mets riches et surabondants. Mais, par exemple, des produits d'une extrême fraîcheur, comme les petits pois cueillis le matin même dans notre potager, dont la saveur, rare aujourd'hui, sera valorisée", explique cet amateur de simplicité raffinée, qui "déteste le rococo".

Regagner la troisième étoile de L'Oustau
Objectif affiché : regagner la troisième étoile. "C'est pour cela que j'ai embauché l'an dernier, aux côtés de mon chef Alain Burnel, qui reste le grand organisateur, un jeune chef, plus créatif, Marc Tison."
Mais Jean-André Charial veut aller plus loin pour imprimer sa marque dans son affaire. Passionné de vins - la cave de L'Oustau abrite 100 000 bouteilles et la carte des vins a 2 500 lignes -, il a ajouté une activité au groupe : Château Romanin, 52 hectares de vigne travaillés depuis 1989, qui produisent aujourd'hui 180 000 bouteilles d'AOC baux-de-provence ; soit encore un chiffre d'affaires complémentaire de 6 MF.
Il a également pris en location-gérance, en 1995, la Brasserie du Nord Pinus, à Arles, restaurant de centre-ville prisé des amateurs de corridas. "J'aime la place du forum où il est installé et j'avais envie de faire de la cuisine moins chère, avec des menus de 150 à 180 F", explique-t-il.
Autre voie de progression possible : le développement de la marque Baumanière, créée par le grand-père, mais reprise, après quelques vicissitudes et péripéties financières, par des investisseurs qui veulent aujourd'hui la développer en implantant aux Etats-Unis des Cafés Baumanière. Le groupe Baumanière lui-même n'a plus de capital dans cette affaire et ne possède plus que la boutique accolée à L'Oustau (2,50 MF de CA) mais son p.-d.g. a un contrat d'assistance technique et de contrôle qualité.
En attendant que naisse le premier Café Baumanière, prévu en Californie, il prépare son quatrième livre de cuisine, où ne figureront que des recettes de légumes, qu'il adore, au point de proposer à ses clients un menu composé exclusivement de ces derniers... n

 


Le Manoir : le charme d'une demeure de villégiature cossue, plantée dans un petit jardin à la française.


Jean-André Charial a recruté Marc Tison aux côtés de son chef Alain Burnel.


Côté jardin.


Côté terrasse.

 

Têtes couronnées, hommes d'Etat et artistes célèbres accompagnèrent son histoire...

Raymond Thuilier, élevé entre les tables et les fourneaux du buffet de la gare de Privas tenu par sa mère, puis devenu après la Première Guerre mondiale un spécialiste recherché de l'assurance vie, a été pendant vingt ans l'ami des meilleurs chefs du moment. Ses périples l'amenèrent fréquemment chez Dumaine à Saulieu, Point à Vienne, la Mère Guy ou la Mère Brazier à Lyon.
Et en privé, il adorait régaler ses convives de recettes personnelles.

La découverte, pendant la Deuxième Guerre, du Mas de Baumanière le fait passer de l'autre côté de la barrière. Il l'achète, et crée, en pleine nature,
une auberge gastronomique doublée d'un hôtel de charme de 5 chambres qui se multiplieront
au fil des ans.

Ce concept connaît très vite autant de succès que la cuisine du nouveau chef. En 1949, celui-ci gagne une étoile au Michelin, une seconde en 1952 et une troisième en 1954. Il les gardera pendant 40 ans... Et les personnalités du monde entier font étape dans son établissement, d'Edouard Herriot ou Charles de Gaulle à Deng Xiaoping, en passant par Picasso, Cocteau, Humphrey Bogart, ou la reine d'Angleterre.
1954, c'est aussi la date où sont lancés les Relais de Campagne, label dont L'Oustau ne peut bénéficier car le nombre en est limité. Aussi Raymond Thuilier crée-t-il le concept concurrent de Château-Hôtel.
Les deux chaînes fusionneront d'ailleurs en 1974 pour devenir les Relais & Châteaux.

En 1969, Raymond Thuilier, âgé de 72 ans, commence à penser à sa succession et appelle auprès de lui le fils aîné de sa fille unique, Jean-André, frais émoulu d'HEC.
Amateur de bonne chair comme son grand-père, le jeune homme s'occupe de la comptabilité et de l'aspect commercial, fait quelques apparitions en salle comme maître d'hôtel, mais est à son tour gagné par le virus de la cuisine qui lui fait découvrir son côté créatif.
L'hiver, quand L'Oustau et La Cabro tournent au ralenti, il fait donc ses classes chez quelques grands comme Troisgros, Bocuse, Haeberlin, Chapel.
L'été, il travaille sept jours sur sept, aux côtés d'un grand-père exigeant, voire tyrannique, doublé d'un travailleur forcené qui lui apprend la rigueur et la discipline.

En 1994, l'aïeul s'éteint, à 97 ans. Son dauphin
peut alors véritablement tracer son propre chemin, au grand jour.


La Guigou : la poésie d'une petite bastide provençale adossée à la colline...


L'HÔTELLERIE n° 2616 Magazine 3 Juin 1999

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