mBrigitte Ducasse
Même sans enseigne,
impossible de le rater. Sur la rive droite, ancré face à la place de la Bourse,
l'Estacade semble flotter sur l'eau bien amarré pourtant sur des pieux à 23 mètres de
profondeur. Les architectes bordelais, Patrick Baggio et Anne Piechaud, ont choisi
naturellement de privilégier la vue, avec, sur trois côtés, de larges baies vitrées
ouvertes sur le fleuve. Simplicité des matériaux, du zinc, du verre et du bois pour le
bâtiment, cordage pour les chaises et un fond musical, du jazz de préférence, pour un
lieu magique qui se veut avant tout convivial et décontracté.
Il y a trois ans déjà que Jean-Marie Esposito, ancien restaurateur bordelais - le Passé
Simple, le Piano en Croûte, Joël D -, rêvait d'un tel site. Il ne fut pas seul mais sa
ténacité et son habilité lui ont permis de franchir les obstacles. Avant de soumettre
son projet au port autonome, le gestionnaire du fleuve, il a demandé à des amis
architectes de dessiner des plans. Mieux que les mots, la maquette a séduit et la
concession de 25 ans renouvelable automatiquement a été donnée en juin 1996. Seconde
étape, le permis de construire, accordé par la mairie dix mois plus tard. Les travaux
ont ensuite réservé quelques surprises et engendré des retards avec notamment la mise
à jour d'épaves de bateaux. Finalement le plus simple fut de réunir les fonds : 3,5
millions de francs (y compris les petites cuillères), dont 2,5 millions pour la seule
construction du bâtiment d'une superficie de 374 m2. Jean-Marie, actionnaire majoritaire
avec 60 % du capital, s'est associé à quatre amis : deux informaticiens, un
expert-comptable et un marchand de vins qui fournit la majorité des boissons de
l'établissement. "Des vins généralement du cru et d'un excellent rapport
qualité/prix, mais aussi des champagnes, des alcools..." L'Estacade possède en
effet une licence IV.
Aujourd'hui, le ciel est bien dégagé. Seule déferlante, la clientèle -180 couverts par
jour - et ce, en limitant volontairement le service le soir. "Au départ, nous
réalisions près de 250 couverts uniquement le soir, c'était ingérable, la qualité du
service s'en ressentait, explique Jean-Marie. Les gens aiment s'attarder, admirer
la vue, d'autant qu'à la tombée de la nuit le pont de Pierre et la place de la Bourse,
grands bénéficiaires du Plan Lumière initié par la Ville, sont superbement éclairés."
D'où l'idée de ne faire qu'un seul service le soir, soit 120 couverts.
Une carte s'inspirant des produits de la mer
Pour assurer la restauration, Jean-Marie Esposito a fait appel à l'un de ses anciens
cuisiniers. Venu avec toute son équipe, dont un excellent pâtissier, Frédéric
Montemont, tout juste 29 ans, a un solide parcours démarré en 1986. Il a travaillé dans
des Relais & Châteaux, auprès de grands chefs étoilés et a conservé de ses
passages en Provence un goût certain pour la cuisine ensoleillée du Sud : pâtes
fraîches, tomates séchées, aïoli, pissaladière... "Je suis venu ici pour
faire une cuisine qui me plaît, sans prétention", annonce-t-il. Le poisson y
tient une bonne place, venu de la côte basque ou d'ailleurs et préparé de multiples
façons. Les viandes jouent les classiques du cru avec l'agneau de Pauillac, le magret de
canard, ou l'incontournable entrecôte... et propose une spécialité maison : steak
tartare "Estacade". Ce jeune chef gère la cuisine de bout en bout, depuis les
commandes et achats jusqu'au personnel en passant par la comptabilité.
"A midi, malgré un menu attrayant à 89 F, les clients choisissent plutôt des
plats à la carte", indique-t-il. Le ticket moyen s'élève à 200 F vin compris
dont 75 à 80 F le midi.
L'Estacade attire le Tout-Bordeaux et plus encore. On ne compte plus les conférences de
presse ou les repas d'affaires qui ont adopté ce lieu, rapidement accessible depuis le
centre-ville. Et ce n'est qu'un début. Dans moins d'un an, dans la gare de Bordeaux
située à quelques mètres, s'ouvrira un multiplexe cinématographique de 17 salles et de
3 000 fauteuils... Seul danger pour l'Estacade : être rapidement débordée. n
Depuis la terrasse, vue sur la Garonne et les bateaux de plaisance amarrés à la
place des Quinconces.
L'Equipe de l'Estacade, avec Jean-Marie Esposito à gauche, aux côtés de
Frédéric Montemont, son jeune chef.
Même au fond de la salle, la vue est magique, face à la place de la Bourse du
XVIIIe siècle.
L'Estacade en chiffresCréation 12 octobre 1998 |
L'HÔTELLERIE n° 2616 Magazine 3 Juin 1999