m Georges Garcin
Une enclave peut en cacher
une autre. Vous êtes à Campione d'Italia. Et plus précisément au restaurant Da Candida
de cette superbe cité dont les Romains, il y a 2000 ans, avaient fait une place forte,
protégée de trois côtés par les montagnes et du quatrième par le lac.
Car dans cette enclave territoriale qui donne à la fantaisie italienne une ambiance de
sérénité helvétique, on en découvre une autre : celle, plus surprenante encore, d'un
restaurateur lorrain qui a su tirer le meilleur parti des deux meilleures cuisines du
monde pour s'imposer comme l'une des toques les plus appréciées du Bel Paese.
De la mer au lac
Le chef qui a réussi cet exploit s'appelle Bernard Fournier. Né il y a une quarantaine
d'années à Baccarat, Bernard Fournier est un ancien élève de l'école hôtelière de
Strasbourg. Une formation théorique qui, après sept ans de pratique sur les paquebots de
la compagnie Paquet, lui permit d'accéder à la maîtrise des métiers de la cuisine, de
la salle et de la gestion.
Directeur du restaurant La Louisina chez Hilton et spécialiste de banqueting, c'est au
Sofitel de Roissy qu'il rencontre entre deux avions en retard, Adriana, une Italienne du
Val de Trento, que sa carrière dans l'hôtellerie a conduit de Rome à Londres puis de
Londres à Paris et qui rêve de rentrer au pays.
En 1984, les Fournier arrivent à Trento où ils ouvrent leur premier restaurant : l'Orso
Grigio. L'expérience internationale leur permet d'éviter le péché mortel du
chauvinisme. Bernard Fournier sait qu'il "doit s'habituer à ses clients avant que
ses clients ne s'habituent à lui, en leur proposant une cuisine fraîche, basée sur des
produits locaux et valorisée par des idées empruntées à la culture gastronomique
française".
Consécration
C'est un succès qui mérite l'étoile Michelin. Il la recevra, dix ans après, dans son
deuxième restaurant. Da Candida à Campione d'Italia.
Pour passer des vastes espaces de l'Orso Grigio à l'intimité de bonbonnière de Da
Candida, il fallut une petite annonce dans L'Hôtellerie et un coup de foudre. Mais
celui de Bernard Fournier pour Campione d'Italia ne manque pas de justification.
La beauté du panorama, la douceur de vivre l'Italie à l'heure suisse, la clientèle
internationale, l'attrait du casino voisin valaient le détour d'un chef ambitieux et
raisonnable. Et le privilège de présenter ses additions en francs suisses en
bénéficiant de quelques avantages fiscaux significatifs valait qu'au bout du détour on
décida d'y installer ses fourneaux.
Le restaurant avait une longue histoire commencée en 1886 et un personnage mythique,
Mamma Candida, dont la cuisine provinciale et robuste attirait les grands noms de la
littérature et du spectacle de passage à Campione. Mais la vieille trattoria, fermée au
cours des années 60, s'était endormie sur ses ruines jusqu'au jour où un chef, venu du
froid, décida de la réveiller.
Restructurer cette antique "osteria" qui fut le temple de la cuisine
ticino-lombarde et tirer de ses maigres surfaces les espaces nécessaires pour offrir à
une vingtaine de privilégiés, venus des quatre coins du monde, une grande cuisine
franco-italienne, dans un décor de fresques précieuses semblait un pari impossible. Pari
gagné aujourd'hui avec plus de 11 000 clients servis en 1998 et une abondance de
réservations qui dépassent largement les capacités d'accueil du restaurant.
Foie gras super star
Chef de cuisine, maître d'hôtel, sommelier, formateur (à l'IPCA de Milan) et
gestionnaire, Bernard Fournier a créé une ligne de plats d'inspiration française,
servie dans des assiettes signées Lunéville et adaptée aux goûts d'une clientèle
italo-suisse et internationale.
On vient chez Da Candida pour son Foie gras frais mariné au vin santo de Trento et
accompagné d'une marmelade d'oignons, pour ses Huîtres de Bretagne, pour son Saumon
soufflé. Mais les incontournables Primi piatti prennent sur la carte une place d'honneur.
Quant aux viandes et aux poissons préparés à la commande, le choix est à la fois
classique et raffiné, mais garde de modestes proportions pour respecter le principe selon
lequel, écrit Bernard Fournier : "La diversité ne sert pas la qualité."
Principe d'un perfectionniste de la cuisine qui fait à la maison son pain et ses
desserts, avec l'aide d'une mini-brigade jeune et internationale qui voit dans l'étoile
du patron la promesse d'une belle carrière.
Une cave cosmopolite
En revanche, la cave est opulente. Champagnes et vins français de haute cuvée ;
excellents vins italiens du Trentino, de Vénétie, de Toscane, de Sicile, de Franciacorta
et bien entendu, les meilleurs merlots des collines du Tessin. Sans oublier quelques clins
d'il vers la Californie, l'Australie et le Liban pour proposer une alternative
exotique de qualité.
Pour les visiteurs de Campione d'Italia, la modération des prix affichés par le
restaurant est une bonne surprise compte tenu du niveau élevé de ceux pratiqués en
Suisse et particulièrement dans la région de Lugano.
Pour éviter cet écueil, Bernard Fournier propose deux menus très attractifs : le
menu-dégustation composé de six plats disposés autour d'un Magret d'oie rôtie (320 F)
et le menu-surprise "poisson-viande-dessert" à 200 F. Quant au foie gras frais
traité de diverses et délectables manières, il se déguste au restaurant (120 F) ou
chez soi en terrine, arrosé de vin santo.
Pour la clientèle italienne qui, depuis les vicissitudes de l'opération Mains Propres, a
appris à compter et recompter les additions, un tel rapport qualité/prix constitue une
forte motivation pour ajouter au casino et au paysage une autre bonne raison de visiter
Campione d'Italia.
De cette visite, le voyageur français retiendra que l'expatriation de la gastronomie
française n'est pas seulement possible dans les pays sans tradition, ouverts aux quatre
vents des goûts venus d'ailleurs. Elle l'est aussi dans ceux dont la culture et le
savoir-faire sont équivalents aux nôtres.
A Campione d'Italia, Bernard Fournier prouve que le client de Lugano ou de Milan accepte
bien volontiers de manger sur ses terres les plats dont il est friand de l'autre côté
des Alpes. Il ne lui manque que l'occasion de le faire. Le marché, lui, ne manque pas. A
bon restaurateur, salut ! n
Toute l'équipe de Da Candida.
Les merlots du TicinoSur les collines du Tessin et sur les rives du lac de Lugano, on est en pays de
vignobles. Ici, après les ravages du phylloxéra, s'est imposé le merlot. Sa
conservation et son affinement se font dans des celliers creusés dans le roc qui
bénéficient de courants d'air créés sous les rochers par des éboulements. Toute
l'année y règne une température constante située entre 10 et 12°. |
Campione d'Italia et son casinoC'est en l'an 777 que commence l'étrange histoire de Campione d'Italia. Au moment
où un riche propriétaire du nom de Totone fit don de tous ses biens à l'église
Sant'Ambrogio de Milan. Ce don allait faire de cette petite localité au bord du lac de
Lugano un morceau d'Italie enclavé dans la Confédération helvétique. Une ville de 2
500 habitants où les institutions sont italiennes mais où les salaires, les bilans et
les voitures sont suisses. L'attrait de Campione d'Italia est lié à la beauté de ses
paysages, à la richesse de ses ressources artistiques et à la popularité de son casino.
Le casino de Campione d'Italia, l'un des quatre casinos italiens (avec Saint-Vincent,
Venise et San Remo) a été créé en 1917. On peut y jouer à la roulette, au chemin de
fer, au 30/40, au black jack et sa batterie de slot machines est impressionnante. Il
emploie 18 % de la population locale et organise, toute l'année, des manifestations de
niveau international (prix littéraires, conventions, congrès, expositions, défilés de
mode...). |
L'HÔTELLERIE n° 2620 Magazine 1er Juillet 1999