m Lisa Casagrande
Formés dans des écoles de cadres aux Etats-Unis, spécialisés l'un dans le marketing, l'autre dans la communication, Françoise et Jean-Michel Gallon ont, un jour, fait le bilan de leurs compétences réciproques pour savoir dans quel secteur se lancer pour réussir ensemble. Ce fut l'hôtellerie, un monde que Jean-Michel connaissait bien puisque ses parents étaient eux-mêmes hôteliers, mais dans lequel, plus jeune, il n'avait pas voulu faire carrière, préférant le métier d'ingénieur. Réflexion faite, ils décident d'acheter en Avignon l'Auberge de Cassagne et ses 14 chambres. Aujourd'hui, ils sont également propriétaires du Vallon de Valrugues à Saint-Rémy-de-Provence, et viennent de racheter les Bories de Gordes. Au total : 100 chambres 4 étoiles et une vraie petite chaîne de luxe...
Une obligation de résultats
"Nous avions une envie de réussir acharnée et étions animés par l'esprit de
conquête car nous avons toujours eu l'habitude de prendre des risques", estime
Françoise, mince femme blonde et énergique.
Le couple achète donc, au Pontet près d'Avignon, l'Auberge de Cassagne, une
bastide-hôtel de 14 chambres, dans un écrin de verdure, avec un restaurant noté 12 au
Gault et Millau, mais un chiffre d'affaires stagnant autour de 2,20 MF. "Nous
avions une obligation de résultats car pour acheter nous avions fait de gros emprunts et
hypothéqué nos biens. Il fallait que nous augmentions le chiffre de 25 à 30 % en deux
ans."
Deux années plus tard, le restaurant gagne son premier macaron, grâce à Philippe
Boucher, son chef, toujours aux fourneaux aujourd'hui. Du coup, l'établissement gagne
aussi la clientèle supplémentaire indispensable. Mais l'Auberge de Cassagne est bientôt
trop petite pour les ambitions du couple, bien qu'il en double peu à peu le nombre de
chambres. Pour motiver le personnel et dégager des fonds, il cède une partie des actions
à l'équipe d'encadrement et, en 1988, achète à Saint-Rémy-de-Provence un second
établissement 3 étoiles entouré d'un vaste parc et composé de 33 chambres, 50
aujourd'hui, avec un CA de 2,40 MF.
"Nous avons enfin pu vraiment appliquer nos compétences en marketing, estime
Françoise Gallon. Notre objectif, dès le départ, était de nous développer et de
passer à la gamme d'hôtellerie supérieure. Nos deux établissements sont passés en
quatre étoiles au début des années 90. L'hôtellerie haut de gamme rapporte en effet
plus que la restauration, mais celle-ci doit être de qualité car c'est l'image de marque
de l'hôtel."
L'objectif est donc aujourd'hui de décrocher aussi une étoile pour le restaurant du
Moulin de Valrugues, qui compte 90 couverts, et dont le nouveau chef, Laurent Chouviat, a
été pris en mains par son "mentor" de l'Auberge de Cassagne.
Pour avoir une gestion plus efficace, le couple, qui vient de racheter le petit hôtel 4
étoiles des Bories à Gordes (16 chambres), a rapidement créé une holding patrimoniale
chapeautant les différents établissements et en assurant la commercialisation commune
avec une équipe composée d'abord de deux commerciaux, auxquels se sont rajoutés il y a
un an un directeur commercial et, depuis quelques mois, une directrice des relations
publiques. Chaque établissement possède par ailleurs une direction opérationnelle
propre.
Le couple, qui à ses débuts avait une dizaine d'employés, en salarie aujourd'hui plus
de 100 - 40 à l'Auberge de Cassagne, 65 au Vallon de Valrugues, auxquels s'ajoute la
petite équipe des Bories - et réalise un chiffre d'affaires de 40 MF (16 à Cassagne, 24
à Valrugues). Le prix moyen des chambres est de l'ordre de 1 100 F la nuit avec un ticket
moyen de restaurant de 600 F en saison.
"Pour l'instant, explique Françoise Gallon, notre clientèle est avant
tout française, avec, en outre, des Belges en Avignon, des Suisses et des Allemands à
Saint-Rémy. Elle est composée d'hommes d'affaires dans les trois quarts des cas en basse
saison, et de touristes exclusivement individuels en haute saison, avec 50 % d'étrangers
à cette période. Notre objectif est d'accroître notre clientèle en moyenne et basse
saison en développant notre activité séminaires et le tourisme d'incentive."
Devenir une petite chaîne de luxe
Mais le couple d'hôteliers souhaite passer encore à la vitesse supérieure. Il compte
pour cela sur son directeur commercial, Patrice Landrein, qui a fait toute sa carrière
dans les palaces parisiens ou étrangers, du Ritz au Plaza Athénée de New York, en
passant par le Crillon ou le Savoy à Londres.
"Ma priorité en arrivant a été d'améliorer encore l'accueil au Moulin de
Valrugues, dont nous comptons faire le bateau-amiral d'une véritable petite chaîne de
luxe, dont Cassagne sera le refuge provençal de luxe et Gordes le petit joyau de la
flotte. Les clients, que d'ici nous inviterons à aller y faire étape en montant des
produits spécifiques (golf en Provence, découverte de la gastronomie...) leur faisant
visiter la région, doivent être "ébahis" en arrivant à Valrugues. Nous avons
donc réorganisé tous les services, du voiturage aux étages en passant par la réception
et allons créer, en plus de nos trois voituriers, un poste de "guest relation
manager" (concierge). Nous avons également créé un service de réservations avec
une personne à temps plein afin de développer le yield management et optimiser nos
ventes et notre prix moyen."
Objectif : conquérir une nouvelle clientèle et séduire davantage la clientèle
étrangère, particulièrement américaine, en travaillant sur la clientèle de groupe,
grâce à une collaboration accrue avec les agents de voyages et les tour-opérateurs, ce
qui se faisait peu jusque-là.
"Nous voulons en particulier attirer des séminaires d'entreprises étrangères
car ils produisent ensuite des retombées individuelles fortes. Nous avons désormais deux
clientèles prioritaires, toutes deux exigeantes mais toutes deux très fidèles
lorsqu'elles sont contentes : les Français et les Américains. Nous souhaitons que ces
derniers constituent 30 % de notre clientèle au lieu de 5 % actuellement, car ils ont un
fort pouvoir d'achat et adorent la Provence. Notre objectif est de faire en sorte que
Saint-Rémy soit l'étape incontournable sur la route de la Côte d'Azur",
explique Patrice Landrein.
Doubler la capacité d'hébergement
Mais tout cela passe aussi par des investissements importants. Cette année, la moitié
des chambres du Moulin de Valrugues ont été refaites - dont une suite avec piscine
privée - et le parc a été embelli, soit un investissement de 3 à 3,50 MF. L'hiver
prochain, les chambres restantes et les huit appartements seront à leur tour relookées,
soit encore 2,50 MF d'investissements.
Mais le grand chantier est celui de l'extension de l'établissement, avec un doublement
des capacités d'hébergement afin de disposer à Saint-Rémy-de-Provence de 110 chambres,
l'ajout d'une nouvelle salle de séminaires de 200 places et d'un restaurant de
séminaires, dissocié du restaurant habituel afin de ne pas dévaloriser l'image de ce
dernier. Le budget consacré à ce projet est de 40 MF. Françoise et Jean-Michel Gallon
espèrent aussi agrandir les Bories à Gordes.
Quand des indépendants français ambitieux pratiquent un marketing à l'américaine
efficace, ça marche... *
Chambre bleue au Vallon de Valrugues.
Dans son écrin de verdure, la terrasse de l'Auberge de Cassagne, à l'ombre des
platanes séculaires.
Patrice Landrein, directeur commercial du Moulin de Valrugues, de l'Auberge de
Cassagne, et des Bories.
L'HÔTELLERIE n° 2620 Magazine 1er Juillet 1999