m Lisa Casagrande
Si Toulon accueille
régulièrement des escales de l'US Navy, dont les marins animent alors les bars de la
ville, cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas bénéficié d'un contrat aux retombées
économiques aussi intéressantes.
L'USS La Salle est arrivé le 18 juin dans le port pour une révision totale de son
carénage et de ses installations haute technologie. Les travaux vont durer jusqu'en
novembre, voire même décembre, car ils ont pris du retard. Pour les commerçants en
général, et le secteur de l'hôtellerie-restauration en particulier qui pâtit de la
médiocre image touristique de la ville, c'est une occasion inespérée.
Les 600 marins ou membres d'équipages, attendus au fil des mois, logent pour partie dans
l'Arsenal (modules regroupés en village), pour partie sur une barge flottante, mais leurs
familles ont déjà commencé à venir leur rendre visite, fréquentant alors
épisodiquement hôtels et restaurants.
Plus intéressant encore : plusieurs centaines d'ingénieurs et de dockers de Norfolk se
relaient pour superviser les travaux et logent, eux, en permanence, dans les 3 et 4
étoiles de la cité et des environs. Leurs proches viennent également passer, ici et
là, quelques jours auprès d'eux.
Le pic de fréquentation le plus important a eu lieu cet été avec la réservation
d'environ 200 chambres dans toute la ville.
Un cahier des charges draconien...
L'US Navy a chargé un agent de voyages américain spécialisé, habitué de l'US Navy
(Roos Unlimited), de négocier l'hébergement de ce personnel qualifié, cahier des
charges draconien à l'appui, tant au niveau de la superficie et du confort des chambres
qu'au niveau de la sécurité. "Nous avons même reçu la visite des
représentants des syndicats de dockers américains !", évoque Stephen Bak,
président du groupement hôtelier de l'aire toulonnaise, qui rassemble aujourd'hui quatre
établissements de 2 et 3 étoiles.
Stephen Bak est également directeur du New Hotel La Tour Blanche, trois étoiles de 91
chambres, bénéficiant d'une vue imprenable sur la rade toulonnaise, et du New Hotel
Amirauté, installé au centre-ville (58 chambres). Ces deux hôtels font partie des
établissements sélectionnés par la délégation américaine qui leur a réservé
plusieurs dizaines de chambres, de juin à novembre.
"Cette opération devrait permettre aux hôteliers retenus de voir leur TO
augmenter de 10 à 15 %, estime Stephen Bak. C'est très important car, en moyenne,
le taux de remplissage annuel des 3 étoiles se situe entre 40 et 55 % et celui des deux
étoiles, qui sont généralement plus petits, entre 45 et 60 %."
Les Américains ont également traité de manière étroite avec le groupe Accor,
remplissant notamment une bonne partie du Mercure (ex-Hôtel du Palais) situé à côté
du palais des congrès de Toulon, avec 80 chambres retenues pendant toute la période,
soit 2 500 nuitées par mois jusqu'en octobre, ainsi que le Novotel de La Seyne-sur-Mer
(une vingtaine de chambres). "Au total, cela représente un contrat de départ
d'environ 12 000 nuitées pour le groupe, estime Jean-François Tardits, chef des
ventes Sud Est. Seuls les trois étoiles du groupe sont concernés, car les Ibis, par
exemple, ne convenaient pas aux critères imposés, sauf en dépannage, ajoute-t-il.
Du coup, faute de place dans les environs immédiats de Toulon, l'US Navy nous a pris des
chambres au Novotel de la Valentine, à Marseille. Le forfait journalier négocié par
l'US Navy tourne autour de 400 à 440 F la chambre."
En fait, tous les trois étoiles de la ville et de sa périphérie sont concernés à des
degrés variables, selon la politique touristique adoptée par l'hôtel.
L'US Navy aurait en effet souhaité réserver, pour des raisons pratiques, un maximum de
chambres dans un minimum d'établissements, quitte à louer la totalité des hôtels, avec
un allotement identique, en été comme en automne. Mais cela ne correspondait pas
forcément à l'intérêt des hôteliers.
Les hôteliers ont su s'adapter à la demande américaine
L'Holiday Inn de Toulon, qui a obtenu son classement en quatre étoiles en juin, a choisi
de ne réserver qu'une vingtaine de chambres, sur les 80 disponibles, aux Américains.
"Lorsque nous avons été contactés, nous étions déjà très chargés en
juillet-août. Or les Américains voulaient un engagement identique sur toute la période,
été et automne. Nous avons donc choisi de ne pas négliger notre clientèle habituelle, explique
Florence Schaefer, la directrice. Cette opération avec l'US Navy est bien sûr
intéressante. Mais, que se passera-t-il après ? Je reste inquiète en ce qui concerne
l'activité de la ville car plusieurs manifestations culturelles (Fête du livre, Festival
de Chateauvallon) qui attiraient du monde, ont périclité, voire disparu..."
L'hôtel indépendant Val'Hôtel, situé à la Valette, n'a également accepté de louer
que la moitié de ses 42 chambres. Quant à La Corniche (24 chambres), il a quant à lui
préféré, vue sa fréquentation, n'accueillir les Américains qu'occasionnellement -
famille de passage, personnel en visite - ce qui constitue tout de même un complément
appréciable. Tous sont cependant unanimes : "Il faut savoir jouer le jeu et
s'adapter à cette clientèle inhabituelle, mais avec laquelle nous avons souvent des
contacts chaleureux."
Au menu de cet accueil sur mesure : affichage des prix et prestations en anglais, geste de
bienvenue à l'arrivée, élaboration de petits menus spéciaux avec cuisine américaine
et... prix serrés, adaptation des horaires des petits-déjeuners (les Américains faisant
les trois-huit, six jours sur sept), mise à disposition d'une salle équipée de
micro-ondes, d'un barbecue en libre-service...
Les hôteliers se mettent également en quatre pour conserver sur place le soir cette
clientèle, qui consomme cependant très peu en restauration, en organisant petites
soirées à thème, mise en place de "happy hours" au bar, réductions sur les
menus habituels...
"Nous leur apprenons même quelques mots de français et leur avons remis des
petits textes avec la prononciation phonétique", sourit, en conclusion, Lydia
Dugast, propriétaire du Val'Hôtel. n
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Une satisfaction en demi-teintes...
Si les établissements trois étoiles et les hôtels de chaînes affichent leur
contentement, il n'en est pas de même pour tous. "La réparation de ce bateau est
pour toute l'économie de la ville une affaire bienvenue", reconnaît ainsi
Michèle Stropoli, présidente du Syndicat de l'hôtellerie toulonnaise qui regroupe une
quinzaine d'hôtels indépendants, et propriétaire du Grand Hôtel du Dauphiné, deux
étoiles de 55 chambres.
"Mais l'US Navy a privilégié l'hôtellerie de chaînes, particulièrement le
groupe Accor, et a complètement négligé l'hôtellerie indépendante, qui, pour une
bonne partie, fait de gros efforts d'investissements. Certains d'entre nous n'ont pas à
rougir face aux prestations des chaînes. Mais l'équilibre n'a pas été respecté. Et
les indépendants ont très peu bénéficié de contrats de réservations fermes. Nous ne
bénéficions que de la venue des familles des marins, qui sont, eux, hébergés dans
l'Arsenal ou sur la barge. Pour mon hôtel par exemple, cela a représenté sur les quinze
premiers jours de juillet environ 50 nuitées, ce qui, certes, est bon à prendre, mais
représente fort peu par rapport aux 25 000 nuitées réparties entre les hôtels de
chaînes."
Pour effectuer le grand carénage de l'USS La Salle, l'Arsenal de Toulon a été choisi
devant Barcelone et Gênes. Face à cet événement économique sans précédent pour la
ville, la CCI de Toulon s'est mobilisée pour que les Américains se sentent
chaleureusement accueillis, et a fédéré les énergies (Syndicat hôtelier, Fnaim,
transporteurs aériens ou ferrés, office de tourisme, CDT, association France/Etats-Unis,
etc.) autour de l'opération "Welcome to Toulon", du nom d'un guide spécifique
édité à 2 000 exemplaires. Les partenaires et commerçants ont signé une charte
d'engagement (respect des prix affichés, taux de change au jour le jour, accueil
personnalisé, réductions, cadeaux...). L'office de tourisme et la CCI ont également mis
un numéro vert à disposition des commerçants qui auraient des problèmes d'interprète.
Parmi les retombées économiques importantes répertoriées : l'achat de vélos, les
Américains ayant été séduits par ce mode de transport...
L'hôtellerie indépendante deux étoiles, ici le Grand Hôtel du Dauphiné, a
assez peu bénéficié des retombées de la présence américaine.
Le Bibby Progress : un trois étoiles flottant220 membres de l'équipage du navire-amiral de la 6e flotte américaine logent sur
le Bibby Progress, une barge hôtel climatisée, transportée par bateau d'Australie, via
Singapour et le canal de Suez. |
L'HÔTELLERIE n° 2638 Magazine 4 Novembre 1999