La terrasse de la maison, nichée sous deux pins centenaires, est un hâvre de paix, accueillant, simple, esthétique, méditerranéen. La rue qui conduit à l'étang de Thau, situé à 100 mètres, passe devant, assoupie, à l'écart des autres rues. Les voitures se garent à proximité, il n'y a pas de chichi. Les tables, en métal bleu, n'ont pas de nappe, les assiettes sont posées sur des sets en matière naturelle. Seule concession au luxe : de grandes serviettes blanches, en tissu de qualité. On est Chez Philippe, loin de Paris, loin de la ville, à Marseillan dans l'Hérault, au pays du vin. Quand Philippe Marquet, Sébastien Demeulle, Alain Dumergue et Claude Udron sont arrivés de la capitale pour ouvrir ce restaurant en juin 1998, en face de la maison de vacances d'Alain Dumergue, on les a traités de fous. "Les gens du village ont pensé que nous repartirions dès les premières vendanges." Cependant, Marseillan ignorait qu'ils étaient des professionnels aguerris ayant créé le Pile ou Face en 1979 à Paris (1 étoile Michelin en 1989, ticket moyen de 400 F), établissement qu'ils ont vendu fin 1995 pour s'extraire de la grisaille parisienne.
Coup de cur et étude de marché
L'étude de marché a duré six mois, et les a décidés à se positionner sur du bon, du
simple, du vrai, du nature, de l'économique (100 F maxi), du terroir. A bannir : le
guindé, place à la simplicité conviviale. Une constante : chercher à séduire les
femmes (accueil personnalisé, décor identitaire soigné), surtout pas les touristes. La
prise en compte de l'environnement a été maximale. D'abord pour les moyens techniques,
déterminés avant travaux avec l'assentiment des autorités sanitaires et administratives
départementales, "ce qui n'a pas engendré de surcoût", affirme Alain
Dumergue. Deux : la carte des vins, exceptionnelle, exclusivement consacrée aux trésors
cachés du Languedoc (60 références), rend hommage au talent des vignerons de la
région, au demeurant clients et prescripteurs du restaurant. Trois : les 50 000 F prévus
pour le lancement de l'établissement ont été dépensés non en publicité, mais pour la
soirée inaugurale à laquelle une grande partie du village était invitée, en plus des
amis de Paris. "L'impact a été fabuleux. On a eu 500 personnes, la rue était
bloquée." Depuis ce jour-là, le restaurant affiche complet. Il y a huit jours
d'attente. L'investissement réalisé a été de 1,20 MF TTC : 240 000 F pour l'achat du
bâtiment (c'était un taudis), 400 kF en travaux de gros uvre, 250 kF d'équipement
professionnel, 150 kF en mobilier et matériel divers, 150 kF de frais de premier
établissement. Aux 70 couverts de la terrasse s'ajoutent 36 couverts en rez-de-chaussée
à l'intérieur et jusqu'à 18 couverts supplémentaires au premier étage, dans un
élégant salon particulier, où la cuisine est plus sophistiquée.
Les clients empochent l'exonération
Une astuce, fort appréciée des clients, a consisté à répercuter sur la carte-menu
unique (choix de 5 entrées, 5 plats, 5 desserts) à 100 F, ainsi ramenée à 85 F,
l'exonération de charges salariales et sociales dont a bénéficié le restaurant pendant
un an, et d'annoncer que le menu remonterait à 100 F à l'issue de la période
d'exonération, ce qui a été fait. Autre déclic : les réseaux d'amitié noués de
longue date à Paris ont permis au restaurant de bénéficier d'un formidable coup de
pouce médiatique (Le Figaro, Le Monde, Elle à Table...). "On
s'est rendu compte qu'il y avait des gens qui nous aimaient bien, et qui viennent nous
voir depuis Paris", explique Alain Dumergue.
Le chiffre d'affaires prévisionnel sur un an (1,50 MF) a été explosé, avec 1,70 MF au
bout de sept mois, pour un ticket moyen de 147 F. Lequel a encore progressé, à 173 F, de
janvier à août 1999, pour un nombre moyen de couverts de 65 par jour en mars, 72 en
avril, 78 en mai, 87 en juin, 105 en juillet, 112 en août.
Une gestion au cordeau
L'établissement emploie 8 personnes (4 en cuisine, 4 au service), et gère ses dépenses
au cordeau : portions pesées, poisson surtout acheté chez Métro, carte élaborée sur
la base de 5 F l'entrée, 5 F le dessert, 10 F le plat. Ce souci d'économie se retrouve
dans les salaires : le gérant, Philippe Marquet, est encore salarié à 8 000 F bruts, le
chef de cuisine, Sébastien Demeulle, à 7 500 F. Parmi les plats, tous sous-titrés en
occitan sur la carte, à base de cuisine de terroir inspirée des valeurs traditionnelles
méditerranéennes : Beignets de foie de lotte, mousseline au citron vert ; Aubergines
marinées au fromage de chèvre ; Potage glacé de concombre au curry (ce qui donne
Potatge glaçat de cogombre al "curry") ; Brandade de poisson au citron servie
froid ; Cabillaud rôti au four ; Pommes de terre écrasées à l'huile d'olive... n
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L'HÔTELLERIE n° 2638 Magazine 4 Novembre 1999