m Brigitte Ducasse
Lorsque le célèbre
détective imaginé par Agatha Christie se lance sur une enquête, il part un peu au
hasard mais développe une logique implacable. Arlette Rousset et Olivier Desmettre sont
un peu à l'image d'Hercule Poireau : d'abord faire le point sur ce que l'on sait faire,
puis se laisser guider... "Après six années passées à Paris, nous avons voulu
revenir en province. Le hasard nous a conduits à Bordeaux et là s'est posée la
question. Que faire ?" Psychologue de formation, mais aussi fille d'un cordon
bleu, Arlette a hérité de sa mère ses talents culinaires et sa passion pour la cuisine.
Son associé, l'époux de sa meilleure amie, étant un ancien libraire au talent de
pâtissier incontesté, le scénario était tout trouvé. D'autant que l'investissement de
départ est raisonnable : 100 000 F avec un droit au bail de 2 000 F par mois. En outre,
le fils d'Arlette, Emmanuel Turiot, styliste en cuisine à Paris, peut apporter son
expérience dans le domaine de la restauration.
D'emblée le ton est donné avec cette porte rouge sang ouverte sur une rue du centre de
Bordeaux, près de la cathédrale Pey-Berland, où les restaurants jouent du coude à
coude. Sur chaque volet, écrit à la craie, d'un côté un extrait choisi de polar, de
l'autre, la carte annonçant les plats. Ici pas de menus. Dans l'entrée, une antique
machine à écrire fait face à une grande armoire où sont rangés méthodiquement les
polars, par collection.
Un espace modulable
Sans rupture, on passe dans la petite salle de restaurant de 30 m2, transformée en salon
de thé l'après-midi. Les huit tables contre les murs sont nappées d'une toile cirée
rouge, les chaises peintes en noir. Contre les murs, offerts à la curiosité, les livres
reposent astucieusement sur de fines baguettes qui font office d'étagères. Les prix sont
indiqués sur des affichettes de boucher. En fond musical, le jazz égrène ses notes. Le
lieu paraît idéal pour partager en solo ou entre amis un moment privilégié. Sans
publicité aucune, faute de moyens financiers, l'établissement draine surtout la
clientèle du quartier, en quête d'un lieu pour se ressourcer avant de reprendre le
travail.
"Même si la dernière édition du Petit Futé nous classe parmi les
librairies bordelaises, les gens viennent d'abord pour se restaurer", indique
Olivier. Il faut dire que la cuisine d'Arlette, mélange de tradition et d'innovation, a
su conquérir les plus fines fourchettes : Daube de canard aux olives, Stockfish de morue,
Congre confit à l'ail et à l'huile d'olive. Pas de frites mais des légumes travaillés
à l'envi, d'une fraîcheur irréprochable... soit environ 4 à 5 entrées, 6 à 7 plats
et desserts proposés. "On ne travaille jamais à l'économie, on fait les choses
telles qu'elles doivent être", annonce Arlette, concluant dans la foulée :
"Quand on ne trompe personne, ça fonctionne."
Le midi, peu de clients achètent des livres, c'est surtout l'après-midi à l'heure du
thé et le soir que les lecteurs se dévoilent, prenant le temps, en attendant leurs
plats, de feuilleter les ouvrages en accès libre. Avec un fonds de 350 livres, ce qui
représente un stock d'environ 20 000 F, le polar génère un chiffre d'affaires de 9 000
F depuis l'ouverture. "Nous sommes un peu timides, admettent Arlette et
Olivier. Jusqu'ici nous nous sommes concentrés sur la cuisine." Toutefois des
soirées sont organisées autour d'un thème développé par un spécialiste. Le succès
est au rendez-vous. Hercule Poireau joue également la carte locale en diffusant des
éditions comme celle de l'éditeur bordelais Pierre Mainard, ou la fanzine L'Ours
Polar édité en Gironde, dont les créateurs ont noué avec Hercule Poireau un
partenariat dédié à la promotion des auteurs.
Une formule bien accueillie
Après une année d'ouverture, malgré un petit chiffre d'affaires mais qui progresse bien
au fil des mois, le bilan reste positif. "Le fait que des gens reviennent jusqu'à
quatre fois dans la semaine prouve que nous sommes sur la bonne voie. Il fallait que nous
nous prouvions que notre formule pouvait être bien accueillie. C'est fait. Il faut que
nous soyons maintenant plus offensifs." 10 couverts sont servis en moyenne par
service ; l'équilibre parfait serait atteint avec 15 personnes. La carte du polar va
être mieux mise en valeur. Et enfin l'ouverture le vendredi soir est envisagée. Le
challenge est engagé avec optimisme. Pour Arlette, sa plus grande satisfaction est
d'avoir pu transmettre à certains de leurs clients une passion réservée jusqu'alors à
la famille et aux amis. "Ceci sans avoir l'impression d'avoir vendu son âme",
enchaîne Olivier, qui se dit heureux lorsque tous les matins il franchit les portes de
l'établissement. Car nos deux comparses n'ont qu'une ambition : trouver un juste
équilibre entre vie professionnelle et vie familiale. Or la formule choisie remplit cet
objectif. n
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L'HÔTELLERIE n° 2638 Magazine 4 Novembre 1999