m Nadine Lemoine
Avec beaucoup d'honnêteté et de franchise, Jérôme Durand avoue : "Trop d'embauches, trop d'investissements... j'ai fait des erreurs les premiers mois, parce j'ai cru que ça allait marcher tout de suite. En tout cas, j'ai acquis beaucoup de maturité en un an." Monter sa première affaire, ce n'est jamais simple. Difficile d'imaginer par avance les relations avec les banques, la gestion quotidienne, la constitution des stocks à bon escient, le management du personnel, tout simplement les journées sans fin et pourtant trop courtes avec leurs lots de soucis qui s'accumulent. Et c'est sûrement encore plus difficile pour un jeune de 21 ans qui sort tout juste de l'école et qui n'a pas de professionnel chevronné à ses côtés pour le conseiller.
A 21 ans, Jérôme Durand a tout juste à son actif une belle formation et quelques
stages. Ce jeune homme, originaire de Nanterre en région parisienne, s'est décidé très
tôt pour la restauration. Une vocation, dès l'âge de 12 ans, qui l'a poussé après la
troisième à intégrer une école hôtelière. Il choisit Médéric à Paris où il
enchaîne un BTN et un BTS option B (art culinaire, art de la table et du service).
Jérôme suivra même une année de formation complémentaire d'initiative locale
destinée à inculquer aux jeunes les bases nécessaires pour ouvrir leur propre affaire.
"On nous donne des conseils en matière juridique, sociale, management, gestion.
C'est très utile pour acquérir de l'assurance", dit-il aujourd'hui. Côté
stages, il est passé à La Grande Cascade à Boulogne en cuisine, au Forban à Port
Navalo en Bretagne en salle, ou encore chez Orly Restauration où il a apprécié la
rigueur de la gestion en collectivité.
Il vient de finir ses études et de fêter ses vingt ans lorsque son père lui propose de
l'aider à ouvrir son restaurant. Jérôme, qui ne pensait pas réaliser ce rêve si vite,
ne laisse pas passer l'occasion. Tous deux partent à la recherche d'un établissement à
reprendre. Dans le même temps, ce jeune homme décidé et dynamique peaufine son projet
jusqu'à prévoir sa première carte. Les mois passent et un beau jour, le père et le
fils découvrent l'Auberge du Chou à Pontoise, dans le Val-d'Oise.
Une ancienne guinguette
Ancienne guinguette conçue dans les années 20, l'Auberge du Chou est en piteux état,
mais le site est ravissant avec l'Oise qui coule à deux pas. "Je suis le seul
restaurant au bord de l'eau à 15 km à la ronde", explique le jeune patron.
Jérôme et son père Philippe fondent aussi beaucoup d'espoir sur les alentours : non
seulement, il y a peu de restaurants à proximité, mais en plus, entre Herblay et
Cergy-Pontoise, les sièges de grandes sociétés pullulent et laissent présager un beau
potentiel de clientèle. L'Auberge du Chou se compose de deux bâtiments, le premier
accueillait la guinguette, le second construit dans les premières années de
l'après-guerre faisait hôtel-restaurant jusqu'au début des années 80. Puis
exclusivement restaurant jusqu'à sa fermeture en 1995. Pas d'achat de fonds, seulement
les murs, qui sont rachetés en SCI pour 920 000 F pour une surface de 500 m2. Seuls 215
m2 seront consacrés au restaurant, le reste est transformé en appartements et studios à
louer.
L'Auberge du Chou reprend vie dans les deux bâtiments : l'ancienne guinguette, dont seule
la charpente a été conservée, sert désormais de salle de banquet (80 couverts ; 100
m2). Quant au restaurant proprement dit, il a pris ses quartiers de plain-pied dans le
second bâtiment : les cuisines (25 m2) et la salle de restaurant (40 couverts ; 90 m2).
Ici, les tables de deux à quatre couverts, que l'on peut facilement moduler à la
demande, sont disposées de façon à offrir à la clientèle l'intimité nécessaire aux
repas d'affaires. Cible privilégiée par Jérôme et il ne s'est pas trompé.
Situé au bord de l'eau, le restaurant se devait de jouer la touche marine. Tableaux
marins peints par un ami artiste, aquarium, rideaux bleu et jaune, vaisselle et couverts
bleus toujours... "La décoration se fait petit à petit. Tout le mobilier et
l'équipement d'ailleurs sont d'occasion. J'ai fait de bonnes affaires, il fallait bien,
après les coûts plus élevés que prévu des travaux", dit Jérôme. En effet,
avant d'ouvrir, l'Auberge du Chou a subi près de cinq mois de travaux et le budget était
nettement sous-évalué car une vieille maison réserve souvent quelques mauvaises
surprises. Que ce soit l'électricité ou la plomberie, rien dans l'établissement
n'était aux normes. Maçonnerie et chauffage inclus, les travaux ont nécessité 650 000
F d'investissements. La décoration, le mobilier, la vaisselle... la facture se monte
encore à 250 000 F. Soit un prêt supplémentaire avec caution parentale.
Cuisine française traditionnelle
Ouvert tous les midis, fermé le soir du dimanche au mardi inclus, l'Auberge du Chou mise
sur une cuisine française traditionnelle que l'on doit à François Boudier, jeune chef
de 32 ans, présent dès l'ouverture. Les plats en vedette ? Carpaccio de saint-jacques
aux truffes, Ravioles de crabe au chèvre frais et Tronçon de turbot rôti au jus de
veau. Le poisson marche fort au bord de l'eau. Mais la carte comporte aussi de la Tête de
veau façon gribiche ou du Jarret d'agneau confit maison. Les clients ont le choix entre
quatre formules : 85 F le midi (entrée + plat ou plat + dessert, vin, café), tradition
à 125 F, poisson à 165 F et prestige à 220 F. Les trois derniers menus comprennent
apéritif, entrée + plat + dessert et café. Un an après l'ouverture, l'établissement
tourne avec une moyenne de 35 couverts/jour pour un ticket moyen de 200 F.
"J'ai fait beaucoup d'erreurs les cinq premiers mois. Par exemple, j'avais
embauché trois personnes de trop au départ. Au bout de trois mois, j'ai fini par
licencier. En tout, j'ai licencié 10 personnes en un an, dont 6 en salle. Ça a
inquiété les clients. Mais je suis tombé aussi sur des jeunes qui ne voulaient pas
comprendre que nous sommes en période d'ouverture et qu'il faut faire des efforts. Ils ne
voulaient pas faire d'heures supplémentaires", dit Jérôme. Aujourd'hui, les
effectifs se montent à 4 personnes, Jérôme compris : un chef, un commis et une
serveuse. "J'ai aussi construit la terrasse trop tôt. Un investissement trop
rapide alors qu'on ne s'en est pas servi cette année. J'avais fait aussi trop de stocks.
En fait, je ne suis devenu patron qu'au bout de cinq mois quand j'ai eu de gros
problèmes. En janvier, je me suis retrouvé au pied du mur avec les banques, les
fournisseurs et les huissiers. Il a fallu trouver des solutions pour remonter la pente :
licencier, demander un nouveau prêt à titre personnel. Maintenant, je sens que c'est
reparti et puis je connais ma clientèle, je sais comment faire mes commandes, tenir mon
budget. J'ai vraiment les pieds sur terre", confie-t-il.
Des projets plein la tête
En septembre, il a fêté le premier anniversaire de l'établissement avec une quarantaine
d'habitués qui le soutiennent ardemment. "Je suis fier qu'on me reconnaisse comme
le patron de l'Auberge du Chou." De septembre 1998 à septembre 1999,
l'établissement a réalisé un chiffre d'affaires de 1,70 MF. Jérôme table sur 2,70 MF
pour l'an 2000. "On sera rentable d'ici 18 mois à 2 ans", prédit le
jeune patron qui compte atteindre les 4 MF de chiffre d'affaires dans quatre ans.
Jérôme Durand a d'autres projets. Il aimerait monter un club privé à l'anglaise (avec
adhésion) dans la région. Il a également l'intention d'ici dix ans de mettre sur pied
son projet de restaurant dont les plans sont déjà conçus. "C'est un concept
novateur et je compte déposer le brevet", dit le jeune homme qui souhaite rester
discret sur la question. Un autre souhait, celui d'enseigner un jour en école
hôtelière. Pour finir, après cette année très prenante aux journées sans fin et
pourtant trop courtes pendant laquelle il a tiré un trait sur sa vie personnelle : "J'espère
un jour pouvoir profiter de la vie et voir grandir mes enfants." n
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Parlons chiffresInauguration 17 septembre 1998 |
L'HÔTELLERIE n° 2638 Magazine 4 Novembre 1999