"J'ai toujours souhaité conserver l'esprit familial de la maison",
avoue Pierre Wynants.
L'Hôtellerie :
Faut-il, en ce qui vous concerne, parler de vocation ?
Pierre Wynants :
Je crois que oui. Quand on vit dans le commerce de ses parents, on fixe assez rapidement
son choix et en ce qui me concerne, je me suis très vite mis à la cuisine. J'ai toujours
travaillé dans cette ambiance familiale et l'on m'a raconté qu'à trois ans j'aidais
déjà ma grand-mère Héléna à la plonge ! Alors je crois que je n'ai jamais pensé à
faire autre chose que cuisinier.
L'H. :
Existe-t-il dans votre trajectoire une part de hasard, de chance aussi ?
P. W. :
De chance, certainement. La première est de faire un travail qui me plaît, mais je suis
très conscient que même dans notre métier beaucoup de personnes peuvent se dépenser et
ne pas être reconnues comme elles le souhaiteraient parce qu'elles ne rencontrent pas
nécessairement le goût de la clientèle. C'est sans doute là qu'il fallait avoir du
feeling et un brin de réussite.
L'H. :
La chance n'est-elle pas aussi d'avoir votre épouse, Marie-Thérèse, à vos côtés ?
P. W. :
Bien sûr ! C'est ce que je tiens à dire le plus souvent possible : je suis le
porte-parole d'un groupe, mais je n'arriverais à rien si je n'étais pas secondé par une
équipe. Comme j'ai en outre la chance d'avoir une épouse qui est mon parfait complément
et qui a tout pour plaire à la clientèle, je considère comme un atout formidable de
n'avoir à penser qu'à ma cuisine... Dans les grands restaurants d'antan, on voyait peu
ou pas de femmes. Dans les restaurants traditionnels, ce sont elles qui font la
différence. La cuisine peut être au top niveau, mais sans l'accueil, le sourire, la
gentillesse... Et même si la cuisine assure la réputation d'une maison, ces arguments
sont indispensables.
Double succès au Prosper Montagné pour les Wynants : en sommellerie pour Louis
en 1963, en cuisine pour Pierre en 1964.
L'H. :
Votre chance aujourd'hui est aussi d'avoir des enfants, déjà impliqués dans l'affaire.
Cela s'est-il passé sans conflit de... générations ?
P. W. :
C'est vrai qu'il existe cette chance d'avoir une succession familiale qui permettra à
notre petite maison de poursuivre dans la même voie. En 1988, nous avons certes changé
le décor en rendant hommage à Victor Horta, l'un des maîtres de l'Art nouveau, mais
nous avons gardé l'esprit donné par mes grands-parents puis par mes parents. Ici, tout a
toujours semblé couler de source. Sans que nous en ayons parlé, Laurence a voulu faire
l'école hôtelière. Elle y a rencontré son mari, qui a fait quelques stages, avant de
trouver sa place avec moi en cuisine. Lionel a su travailler avec intelligence, passer
tous les stades jusqu'à devenir mon second, sans que cela ne pose de problème.
L'H. :
A l'occasion de l'anniversaire de vos trois étoiles, vous avez convié Michel et
Marie-Pierre Troisgros. Ce n'est pas le fait du hasard puisque votre maison semble très
proche de celle de Roanne...
P. W. :
C'est vrai que les points communs ne manquent pas et que nous sommes liés d'amitié
depuis de longues années. En 1972, Jean et Pierre étaient venus ici faire un repas en
l'honneur du roi Léopold et nous avons de nombreux clients communs. Michel travaillait
ici lorsque nous avons eu la troisième étoile... et le faire revenir était comme un
clin d'il.
Deux salons au charme particulier.
L'H. :
Comment définiriez-vous la philosophie de ce Comme chez Soi créé par votre grand-père
?
P. W. :
Au départ, c'était un restaurant de fritures, très démocratique (sic) dont nous
fêterons les 75 ans en 2001. Même si la clientèle a évolué, nous avons voulu garder
l'esprit familial qui avait été donné. Nous avons un jour envisagé de changer
d'endroit et de quitter la place Rouppe. Nous avions trouvé un bel établissement avec
vue sur l'abbaye de la Cambre où nous aurions pu faire une sorte de Tour d'Argent
bruxelloise... mais nous avons finalement préféré rester ici. Nous avons eu la chance
de pouvoir acheter quelques maisons voisines, mais l'esprit reste identique : nous voulons
une maison où nos clients se sentent bien, comme chez soi en fait !
L'H. :
En sa Villa Lorraine, Marcel Kreusch avait montré la voie. En ce qui vous concerne,
comment avez-vous reçu les trois étoiles Michelin ?
P. W. :
Comme une consécration ! Le plus grand événement gastronomique en Belgique, ce sont ces
trois étoiles sorties de France pour venir dans notre pays. Sans doute la décision
n'était-elle pas facile pour Michelin, mais son choix a rejailli sur tout le métier et
l'on a commencé à parler de la Belgique. La Villa Lorraine était une maison de grand
standing, avec un grand service et un emplacement exceptionnel. Marcel Kreusch était un
homme considérable qui a su montrer la voie. Il y a désormais en Belgique de bons
restaurants, dont les trois étoiles (NDLR : Comme chez Soi, Bruneau, De Karmeliet) qui
portent haut la gastronomie. Mais il n'y a plus de grandes maisons comme l'était Villa
Lorraine. Ce restaurant reste une référence et il est vraiment dommage que la deuxième
étoile soit tombée. Ce serait une bonne chose qu'elle revienne.
Pierre Wynants et Michel Troisgros.
L'H. :
Il semble qu'il existe une permanence dans votre cuisine. Est-ce à dire que la world
cuisine n'a pas encore atteint la Belgique ?
P. W. :
Il existe, c'est vrai, une certaine tradition dans laquelle nous nous situons.
Nous n'avons jamais épousé le courant de la Nouvelle Cuisine des années 70, ce qui ne
veut pas dire qu'il y ait immobilisme. J'ai appris le métier dans la tradition (NDLR :
entre autres au Grand Vefour et à la Tour d'Argent en France) et j'ai travaillé avec mes
parents qui concevaient leur cuisine comme une cuisine de ménagère, très sobre et avec
une mise en valeur des produits régionaux. J'ai toujours souhaité travailler ainsi, sans
tomber dans l'exagération. Je pense pouvoir dire qu'il y a chez nous quatre générations
de tradition et d'évolution. Classique en fait, c'est quoi ? Un plat qui a fait ses
preuves ! Nous changeons de carte six fois par an, au rythme des saisons (truffe noire,
houblon, morilles, asperges de Malines, primeurs, gibiers) avec toujours sept ou huit
plats nouveaux.
L'H. :
Vous évoquez quatre générations et nous avons parlé de la présence de vos enfants
dans l'affaire. Est-ce qu'à l'orée de la soixantaine vous pensez déjà à la retraite ?
P. W. :
Pas encore, mais de temps en temps nous pouvons nous offrir un bon week-end avec
Marie-Thérèse, en sachant que la maison est en de bonnes mains. Léguer est très
important. Il faut parfois savoir lâcher certaines rênes pour faire sentir aux enfants
que l'on a confiance en eux, et leur donner ainsi la possibilité de prouver que nous
avons raison de le faire. Laurence est ici. Véronique, mon autre fille, est à l'école
hôtelière de Lausanne. Un jour, peut-être, serai-je consultant avec elle, dans une
autre formule... n
Le professeur Tournesol en témoigne : Hergé appréciait l'ambiance particulière
du Comme chez Soi.
Parlons chiffresMalgré l'acquisition au fil des années de plusieurs maisons voisines, la capacité
du restaurant n'a pas été multipliée. On préfère chez les Wynants se limiter à une
quarantaine de places réparties dans les deux salons et à la table d'hôte placée en
cuisine.
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L'HÔTELLERIE n° 2642 Magazine 2 Décembre 1999