m Lisa Casagrande
Des rives méditerranéennes
à l'Amérique du Sud, en passant par l'Afrique et le Cap Vert, la Fiesta des Suds
mélange les genres musicaux. Elle mélange aussi les publics et les ambiances. Depuis
neuf ans, fidèle à elle-même, elle fait ainsi le pari de donner à Marseille une grande
fête à son image : cosmopolite, haute en couleur, ancrée au sud. Le résultat est un
festival déambulatoire et jubilatoire où 5 000 m2 d'entrepôts, situés à proximité
des quais d'Arenc, sont recomposés autour de deux salles de spectacle, de lieux
d'exposition d'arts plastiques et d'une dizaine de bars ou bodegas - du cabanon
marseillais à la rhumerie antillaise, en passant par le cabaret feutré, le cyber- café
branché ou le salon de thé oriental...
Toutes les fins de semaines du mois d'octobre, les Docks des Suds deviennent ainsi le
rendez-vous du Tout-Marseille. Et contribuent à faire de Marseille une ville à la mode,
car les médias couvrent largement la manifestation.
Servir 200 à 250 repas par nuit...
Dans le quartier le plus calme de ce village de fête, à côté du bar VIP, s'ouvre le
Restaurant des Suds, à l'entrée duquel trône un gigantesque Bacchus. Tous les soirs de
spectacle, du jeudi au samedi soir en général, Jacques Pennazo, 35 ans, le patron des
Innocents, un petit restaurant d'une cinquantaine de couverts du centre-ville, est venu
diriger une équipe de dix personnes et servir 220 à 250 repas, de 20 heures à une
heure, deux heures ou trois heures du matin. "On sert tant qu'il y a du monde,
même si c'est seulement pour deux ou trois personnes et même si on a commencé à ranger
la cuisine. Nous faisons en effet partie intégrante de l'ambiance Fiesta et nous jouons
le jeu", commente Jacques.
Pendant toute la durée de la Fiesta, son épouse continuait, elle, de faire tourner les
Innocents. Les organisateurs du festival ont rencontré Jacques Pennazo en 1995, alors
qu'ils dînaient dans son restaurant de la rue Crudère, à côté du Cours Julien, où se
déroulaient régulièrement des soirées flamenco. "Ils ont été surpris par
l'ambiance et par la convivialité de mon établissement, se souvient Jacques. Et
m'ont proposé de m'occuper de la restauration à la Fiesta. J'ai dit oui."
L'expérience le séduit et, après deux ans d'interruption dus à des problèmes
pratiques, il rempile, et vient d'achever avec succès la troisième édition de ce
partenariat original. "Je prends en charge toute l'installation de la cuisine,
loue le matériel et rémunère l'équipe composée d'anciens du métier aujourd'hui
reconvertis, mais qui aiment l'ambiance Fiesta et ont envie de se faire plaisir. Je ne
reverse rien sur ma recette mais je paye une participation aux frais d'aménagement de
l'espace restauration." Le cadre du Restaurant des Suds ne le dépayse pas
vraiment. Ray Lubrano, l'artiste marseillais qui a conçu l'ensemble de la décoration de
la Fiesta, mélange baroque et flamboyant d'influences orientalo-méditerranéennes, a
également décoré les Innocents. Le seul restaurant marseillais à avoir de tels habits
de fête.
Diversifier les activités
Entré en cuisine à l'âge de 13 ans, puis formé au lycée hôtelier de
Marseille-Bonneveine, Jacques, après avoir officié devant des fourneaux en tous genres,
du snack au restaurant deux étoiles, a repris les Innocents en 1988. "C'était
alors une sorte de grosse cantine qui tournait bien à midi car beaucoup de petites
entreprises étaient installées dans le quartier. Je l'ai d'abord pris en gérance pour
voir si j'étais capable d'être patron. Puis j'ai acheté le fonds et j'ai réaménagé
l'ensemble", raconte-t-il. Au total, un investissement de l'ordre de 2 MF,
réparti sur plusieurs années. Pour faire tourner son restaurant le soir, Jacques
organise rapidement soirées à thème et petits spectacles-cabaret. Mais en 1995, les
conséquences de la crise due notamment à la guerre du Golfe se font cruellement sentir :
les petites entreprises disparaissent du quartier. De 60 couverts à midi, les Innocents
passent à une vingtaine, pour un ticket moyen de 60 F. Le soir, la salle est encore plus
vide. Jacques doit trouver une solution. Désormais, les Innocents ne seront ouverts que
du jeudi au samedi soir, sauf sur réservations. Quatre personnes, dont le patron et son
épouse, suffisent à faire tourner l'établissement. L'équipe propose une cuisine
traditionnelle, composée de plats marseillais et de créations maison, pour un
ticket moyen de 140 à 160 F. Parallèlement, Jacques ouvre, dans l'immeuble mitoyen, un
bar à tapas, ouvert cinq jours par semaine, de 19 heures à 2 heures du matin. Sa cible :
une clientèle plus jeune et aux moyens plus modestes. Au menu : tapas, petits plats
conviviaux, style chili, paella, et bientôt grillades de viandes exotiques, de l'autruche
au kangourou pour un ticket moyen de 60 à 80 F.
Toujours se remettre en cause
Le reste du temps, Jacques "se vend à l'extérieur", développant un service
traiteur pour banquets, soirées de gala, et événements divers. C'est d'ailleurs cette
partie de son travail qui, aujourd'hui, lui plaît le plus. "Après douze ans
passés à faire tourner le même restaurant, j'avais du coup l'impression de tourner en
rond. Maintenant, je rencontre du monde ; je me mets en cause ; ça me fait avancer. C'est
d'ailleurs pour cette raison que j'ai dit oui à la Fiesta. C'est un challenge motivant,
même si financièrement ce n'est pas toujours très rentable. Le niveau d'affluence du
restaurant dépend en effet beaucoup de la programmation. Lorsqu'il y a des têtes
d'affiches grand public comme Luz Casal ou Cesaria Evora, je fais un malheur. Mais lorsque
la programmation s'adresse à un public plus jeune, je ne tourne pas très bien. Mais cela
ne fait rien ; il faut jouer le jeu ! Y compris en proposant, outre quelques plats de base
qui peuvent être réchauffés sans pâtir, tels les pieds-paquets, de la paella ou des
grillades de viande, des recettes adaptées à la soirée, du tajine pour la soirée
marocaine, du yassa pour la soirée africaine, par exemple. Le tout, en restant dans une
fourchette de prix raisonnable, puisque le ticket moyen est de l'ordre de 120 F par
personne, vin compris."
Et il conclut dans un grand sourire : "Sortir de ses habits professionnels
habituels et prendre des risques, c'est un grand bol d'air. Et être en mouvement, c'est
tout simplement la vie !" L'an prochain, il sera à nouveau partant ! n
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Des bars à thèmeEn contrepartie, leurs boissons sont mises en valeur dans des bars à thème. La Fiesta a par exemple créé cette année, pour valoriser le rhum Saint-James, une Rhumerie avec musique zouk et ambiance antillaise (400 bouteilles vendues) ; un bar-club à ambiance feutrée, tout de rouge vêtu, où l'on pouvait déguster du champagne (600 bouteilles vendues) en fumant de gros cigares ; un Bar des givrés dans la salle discothèque où Orangina, qui aimerait conquérir une clientèle de nuit, faisait justement la promotion de ses "givrés", la gamme de ses nouveaux produits. La boisson la plus vendue reste cependant la bière avec 10 000 litres écoulés. "Pour toutes ces marques, la Fiesta est une sorte de laboratoire, car nous avons un public très large et très diversifié, des jeunes "relax" aux quinquagénaires chic, en passant par les Marseillais branchés, les employés et les cadres moyens. Chaque soir, nous savons ce que chaque comptoir a vendu et nous pouvons donc savoir quels sont les produits qui marchent", estime Florence Chastanier, l'une des responsables de la Fiesta. |
Bilan du festivalL'édition 1999 de la Fiesta des Suds a drainé 50 000 spectateurs, au cours de 13
soirées rassemblant 250 artistes à l'occasion de 35 concerts différents (deux à trois
groupes différents par soir), têtes d'affiches connues et reconnues ou jeunes groupes à
découvrir. |
L'HÔTELLERIE n° 2642 Magazine 2 Décembre 1999