m Guillaume Chastenet de Géry, docteur en droit
Un contrat de gestion
d'hôtel, encore appelé mandat de gestion ou contrat de management, est une convention
par laquelle une société propriétaire (dépendant par exemple d'un fonds
d'investissement1) des murs et de l'équipement d'une entreprise hôtelière,
en confie la gestion à une autre société, appelée "opérateur". Cet
opérateur est le plus souvent une chaîne d'hôtels, qui dispose à cet effet d'un
important savoir-faire. Ainsi, la société propriétaire fait le choix de ne pas assurer
elle-même directement la gestion de son bien. L'opérateur, quant à lui, cherche à ne
pas assumer les charges liées à la propriété, notamment l'investissement initial. Il
vise avant tout à multiplier le nombre d'unités exploitées sous sa marque, ce qui
serait particulièrement lourd s'il le faisait systématiquement en pleine propriété2.
Le principe de fonctionnement du contrat de gestion est simple. Pour gérer
l'établissement, la chaîne hôtelière est investie du pouvoir de prendre la plupart des
décisions d'exploitation, ainsi que celles d'ordre administratif ; seules les lignes
stratégiques doivent être arrêtées chaque année, en concertation avec le
propriétaire. En contrepartie, l'opérateur perçoit une rémunération, appelée
redevance ou honoraires, qui se décompose en deux parties : d'une part, une redevance de
base, fondée sur un pourcentage du chiffre d'affaires et, d'autre part une redevance,
dite "incitative", alignée sur les performances (pourcentage du résultat brut
d'exploitation).
Choisir un responsable d'exploitation
En pratique et afin que l'opérateur puisse exercer au mieux sa fonction de direction, le
contrat prévoit de placer à la tête de l'établissement un responsable d'exploitation.
Choisi d'un commun accord entre la société propriétaire et la société opérateur,
celui-ci ne prend ses instructions qu'auprès de cette dernière, à laquelle il rend
compte de son activité. Le plus souvent d'ailleurs, ce responsable est en réalité un
cadre détaché par l'opérateur auprès de l'hôtel. La Cour de cassation l'a d'ailleurs
relevé dans l'arrêt Cador contre Accor du 19 décembre 1990.
Un montage simple en apparence
Ce montage, en apparence simple, ne soulève a priori aucune difficulté. Des groupes
hôteliers réputés ont en grande partie fondé leur développement sur cette formule.
Pourtant, cette construction est fragile et peut s'avérer dangereuse pour l'opérateur,
dans deux hypothèses. Tout d'abord sa responsabilité est susceptible d'être mise en
cause pour direction de fait, comme l'a d'ailleurs déjà admis la Cour de cassation.
Ensuite, lorsque le contrat de gestion se cumule avec un contrat de franchise signé entre
les deux mêmes parties, le contrat de franchise risque d'être annulé, avec les effets
rétroactifs qui sont attachés à cette annulation c'est-à-dire, notamment, la
restitution des sommes perçues.
Contrat de gestion d'hôtel et direction de fait : pas de
pouvoir sans responsabilité
Le principe du contrat de gestion d'entreprise consiste à réaliser une dissociation
entre le capital et la gestion. La société propriétaire de l'établissement hôtelier
accepte de se dessaisir temporairement - pour la durée du contrat - de ses prérogatives
de propriétaire pour les transférer à un professionnel de la gestion hôtelière, en
l'occurrence l'opérateur. Les contrats mettent ainsi expressément à la charge de la
société propriétaire une obligation de non-immixtion, allant même jusqu'à restreindre
l'accès à l'hôtel des dirigeants de la société propriétaire. On assiste en d'autres
termes à un véritable transfert de pouvoirs, depuis la société propriétaire vers la
société opérateur, cette dernière étant toutefois tenue de présenter des comptes
rendus périodiques de comptabilité et de gestion. Grâce à cette dissociation entre la
détention du capital et sa gestion, l'opérateur élude, quant à lui, les risques et
responsabilités inhérents à la qualité de propriétaire, au premier rang desquels
figure le risque d'exploitation.
Mais d'un point de vue juridique, un principe constant veut qu'on ne puisse exercer des
pouvoirs indépendamment de toute responsabilité. Le contrat de gestion d'hôtel tend à
s'affranchir de ce principe. En effet, lorsqu'il administre et exploite l'établissement,
l'opérateur entend agir au nom et pour le compte du seul propriétaire. Les contrats
insistent sur ce point en précisant que l'opérateur ne saurait être en aucun cas "tenu
à l'égard des tiers de réparer les dommages survenus à la suite d'une décision ou
d'un acte exécutés par la société opérateur, au nom et pour le compte de la société
propriétaire". A cet égard, il n'est pas surprenant que la plupart des contrats
de gestion stipulent que les polices d'assurance de la société propriétaire seront
négociées par, ou avec, l'assistance de l'opérateur : ce dernier peut ainsi s'assurer
que les risques seront bien supportés par la société propriétaire...
Le risque d'être qualifié de "dirigeant de fait"
En droit des sociétés, ce principe selon lequel il ne peut y avoir de pouvoir sans
responsabilité s'exprime à travers la notion de dirigeant de fait. Est dirigeant de
fait, la personne, physique ou morale qui n'est ni gérant, ni président de la société,
mais qui, en réalité, exerce la fonction de direction. La révélation d'une telle
situation entraîne des conséquences graves : le dirigeant de fait subira la même
responsabilité (pénale, civile, fiscale...) que le dirigeant de droit, sans pouvoir se
prévaloir des prérogatives de ce dernier.
Ce raisonnement a déjà été tenu par la Cour de cassation, aux dépens d'un groupe
hôtelier, dans une décision du 19 décembre 1995 - Accor contre Mahieux et Mouradeau.
Les juges ont considéré que la gestion de fait était caractérisée puisque
l'opérateur se réservait le domaine des embauches et des licenciements, la mise en place
de l'organisation administrative et financière de l'hôtel, la définition de la
politique des prix, la négociation des contrats et la conduite de la politique
commerciale. Pour la Cour de cassation, "en réalité la direction effective de
l'hôtel était assurée sans partage par [l'opérateur], le propriétaire des lieux
n'ayant le rôle que d'un simple bailleur de fonds". L'opérateur, c'est-à-dire
le groupe hôtelier, a par conséquent été condamné à payer les deux tiers du passif -
soit environ 12,5 millions de francs - de la société propriétaire mise en redressement
judiciaire. La direction de fait constitue donc aujourd'hui une menace grave pour
l'opérateur, alors que, paradoxalement, ce montage tendait précisément à l'exonérer
de responsabilité !
Autre fragilité du contrat de gestion d'hôtel : l'existence d'un contrat de franchise
conclu entre les mêmes parties.
Contrat de gestion d'hôtel et contrat de franchise : un cumul
dangereux
Fréquemment, un contrat de franchise est superposé au contrat de gestion d'entreprise.
Cet ajout d'un contrat de franchise permet de faire entrer l'hôtel dans la chaîne
proprement dite en lui attribuant ses signes de ralliement : marque, enseigne... Bien
entendu, le caractère rémunérateur de ce montage n'est pas négligeable. En effet, la
société opérateur peut alors cumuler d'une part ses honoraires au titre du contrat de
gestion et, d'autre part, en sa qualité de franchiseur de la société propriétaire, une
redevance qui aura été précédée, le cas échéant, d'un droit d'entrée dans le
réseau. Il est vrai que parfois, les contrats ne prévoient pas une rémunération
spécifique pour la franchise : ils la prennent en compte en stipulant des redevances de
gestion accrues.
Le contrat de franchise est une convention par laquelle le franchiseur, en contrepartie
d'une redevance de franchise, met à la disposition d'un commerçant indépendant trois
éléments essentiels : son savoir-faire, sa marque et ses autres signes de ralliement,
ainsi que son assistance commerciale. Dans cette logique, on comprend que si l'un de ces
trois éléments est absent dès le jour de la signature du contrat de franchise, le
contrat n'a plus aucune contrepartie. Il est alors susceptible d'être annulé par les
juges qui exercent, sur ce point, un contrôle très sévère.
Or, lorsque l'opérateur et le franchiseur ne font qu'un, comme c'est le cas dans le
contrat de gestion d'hôtel combiné à un contrat de franchise, la coexistence d'un
contrat de gestion d'entreprise et d'un contrat de franchise aboutit à la création
d'obligations qui font double emploi, voire se contredisent.
La double utilisation du savoir-faire
Concrètement, l'opérateur est, conformément au contrat de gestion d'hôtel, supposé
appliquer lui-même à l'exploitation hôtelière son savoir-faire en matière de gestion
hôtelière. Il met ainsi ce savoir-faire à la disposition du propriétaire. En échange
de quoi une rémunération lui est versée. Or, ce qu'on lui demande au titre du contrat
de franchise, c'est de mettre, une seconde fois, ce savoir-faire à la disposition de son
cocontractant. Il perçoit pour cela une seconde rémunération.
Dans la mesure où le savoir-faire, élément essentiel du contrat de franchise, fait
déjà l'objet du contrat de gestion d'hôtel, on voit mal quelle est l'utilité du
contrat de franchise sur ce point ! En termes juridiques, on dit que le cumul prive de
contrepartie le contrat de franchise. Finalement, seule la mise à disposition des marques
de ralliement (marque et enseigne) et l'assistance commerciale constituent des prestations
que le contrat de gestion n'assure pas déjà : dans ces conditions, les parties auraient
pu se contenter de conclure des concessions de licence de marque, de location d'enseigne,
voire d'assistance commerciale, plutôt qu'un contrat de franchise. Mais, bien entendu,
l'opérateur n'aurait alors pas bénéficié d'une rémunération aussi élevée que celle
prévue par la franchise...
Conséquences de la nullité absolue
Il est donc légitime de craindre que des sociétés propriétaires ne soient tentées de
demander la nullité du contrat de franchise conclu avec l'opérateur. Or, puisqu'il
s'agit d'une nullité absolue, cette décision produirait alors de graves effets :
restitution du droit d'entrée dans le réseau et restitution des redevances versées
depuis l'origine du contrat. Plutôt que de prononcer la nullité, le juge pourrait, et ce
serait un moindre mal, requalifier le franchisage en concession de licence de marque et en
location d'enseigne. Mais, en toute hypothèse, le franchiseur serait dans l'obligation de
restituer le droit d'entrée payé par le franchisé.
Si l'on en juge par le nombre élevé de nouveaux contrats de gestion d'hôtels signés
chaque année, les chaînes hôtelières n'ont peut-être pas suffisamment mesuré
l'ampleur de ce risque ? Cela étant, l'analyse juridique des contrats de gestion d'hôtel
devrait davantage conduire les dirigeants de chaînes hôtelières à s'interroger sur les
moyens de sécuriser leurs accords. Car le principe de dissociation du capital et de la
gestion n'est pas illégitime en soi et différentes voies contractuelles peuvent être
mises en uvre pour parvenir à un contrat équilibré. n
1. Par exemple les fonds Colony ou Blackstone (L'Hôtellerie n° 2616 du 3 juin 1999).
2. Cf. L'Hôtellerie du 3 juillet 1997 : "Accor cède des murs de Motel 6 pour 2,7
milliards"
Cet article expose certaines conclusions de la thèse de doctorat en droit soutenue par l'auteur : La nature juridique du contrat de gestion d'entreprise hôtelière - Contribution à une étude de la dissociation du capital et de la gestion, Paris, décembre 1998.
L'HÔTELLERIE n° 2642 Magazine 2 Décembre 1999