Ceux qui croient que la
société de consommation de loisirs est pour demain en seront sans doute pour leurs
frais. Beaucoup de spécialistes sont d'avis que la réduction du temps du travail ne
poussera pas les gens à consommer plus de loisirs "achetés". Le loisir se
vivra davantage à domicile ou dans l'environnement proche, au profit du bricolage, du
multimédia, du sport, des activités simples, etc. Par ailleurs, on assiste à une
stabilisation du nombre de repas pris hors foyer, qui semble plafonner durablement. Après
une période de retour vers la cellule familiale comme "valeur refuge" (peur du
futur, chômage, précarité, baisse des revenus disponibles...), on observe la
redécouverte du bonheur du "home, sweet home".
Pour le restaurateur, tout ceci a une conséquence directe. Si dans l'avenir il perd sans
doute des repas pris dans le cadre du travail (réduction du temps du travail, y compris
chez les cadres), il ne pourra toutefois pas espérer compenser cette baisse par les repas
des particuliers. Ils seront plus enclins à rester chez eux ou à recevoir, par goût et
parce que leur pouvoir d'achat sera de plus en plus limité, notamment dans les couches
moyennes. La restauration de loisirs sera obligée de cibler le moyen/haut de gamme de la
clientèle. Parallèlement, les restaurateurs seront de plus en plus concurrencés par les
autres solutions de "fournitures de repas prêts à consommer". En trente ans,
on est passé en France d'une moyenne de 4 repas par jour, à 5 à 7. Cette augmentation
ne profitera pas aux restaurateurs, mais aux autres fournisseurs de coupe-faim. Les
consommateurs feront de plus en plus la loi et profiteront de leur capacité de décision
de vie ou de mort sur les formules de restauration.
Peu de changement dans les concepts
Du côté des concepts, le restaurant que l'on trouvera d'ici dix ans sera un peu comme
celui d'aujourd'hui. Ou plutôt, comme ceux d'aujourd'hui, car la restauration est déjà
polymorphe. Il n'y aura sans doute pas de feu d'artifice d'idées exaltantes ni de
concepts révolutionnaires à attendre par rapport à ce qu'on connaît aujourd'hui. On
peut juste craindre un renforcement de l'uniformisation de la nourriture.
La mobilisation des restaurateurs sur les problèmes de sécurité alimentaire et
d'hygiène, mais aussi de sélection dans les achats, va encore se confirmer.
Dans les années à venir, la première mission des restaurateurs sera surtout de lutter
contre la lassitude de leur clientèle. Aujourd'hui, 42 % des clients de restaurants vont
au restaurant une à plusieurs fois par semaine et 38 % des consommateurs regrettent une
forme de monotonie trop voyante dans la restauration. La réponse à ce mal sera proche de
celle trouvée aujourd'hui : la thématisation, le décor à géométrie variable, les
restaurants animés, des menus qui changent souvent, la promotion, etc. En outre, un
concept devra être revu et même changé partiellement tous les 3 à 4 ans.
Des restaurants très productifs
Mais la modification la plus évidente sera du côté de la gestion des exploitations de
restauration. L'exploitant de demain aura comme souci de bétonner sa profitabilité ; il
n'aura pas d'autre alternative. A la poubelle la gestion dans l'à-peu-près. Le
restaurateur ne pourra plus raisonner qu'en gérant au plus serré et en ne trompant pas
sa clientèle, dans l'idée de la fidéliser au mieux. La profitabilité ne pourra
s'obtenir qu'en réduisant au mieux les charges, car si les prix des additions ont
globalement suivi le niveau de l'inflation depuis 12 ans, ce phénomène devrait encore se
poursuivre. Il est devenu impossible de faire payer le client plus qu'il ne le souhaite.
Parallèlement, il est impossible de croire que le coût de la main-d'uvre baissera
fortement avant longtemps en France et que la législation du travail s'assouplira.
Règne des produits finis et semi-finis ?
La rentabilité des restaurants ne s'obtiendra qu'en utilisant un maximum de produits
semi-finis ou finis et en ne mobilisant du personnel que sur les postes-clés. Il y aura
ainsi deux types de restaurants. D'un côté, des établissements à forte capacité,
souvent de chaînes, associés à des sites attirant beaucoup de monde. Leur taille
permettra d'amortir les frais fixes et d'obtenir un rendement satisfaisant par le volume
d'activité. De l'autre côté, on verra toujours une multitude de petits restaurants,
constamment sur la corde raide, exploités par leur propriétaire. A la différence
d'aujourd'hui, ils seront quasiment sans personnel. Bien qu'en s'efforçant de lutter
contre l'isolement pour s'en sortir, seule une minorité de professionnels réussira à se
regrouper pour mettre en commun moyens et savoir-faire.
On ne trouvera les "produits de qualité" (les produits industrialisés seront
sans doute plus sécurisés qu'aujourd'hui pourtant) et cette "cuisine
classique" que dans les grandes maisons, aux additions élevées, qui ne seront
accessibles qu'à un nombre restreint de consommateurs. Cette disparition se justifiera
par le manque de cuisiniers habitués aux méthodes de travail traditionnelles, par le
coût prohibitif de la main-d'uvre et par le prix élevé des produits de terroir.
Place aux mégachaînes
D'une manière générale, les grandes chaînes de restaurants, surtout intégrées, mais
aussi des systèmes d'affermage, vont de plus en plus se répandre. Ces groupes
continueront à construire de nouveaux restaurants en périphérie de zones urbaines de
plus en plus petites, et à s'installer dans les grands lieux de passage et de
concentration de populations (aéroports, gares, axes routiers, centres de loisirs,
centres d'affaires...). Les chaînes et groupes de restauration devraient représenter
près de la moitié du chiffre d'affaires de la restauration commerciale sous 6 à 7 ans.
Ils seront la force vive du secteur et seront majoritairement inscrits en Bourse pour
lever les moyens financiers dont ils auront besoin afin d'assurer leur développement.
Les fonds de pension ne devraient pas s'intéresser d'aussi près à la restauration de
chaînes qu'ils ne le font pour d'autres secteurs d'activité où les possibilités de
rendement sont meilleures. Le retour sur investissement de 12 à 15 % qu'ils somment
d'obtenir est pour l'instant difficile à promettre par un opérateur de la restauration,
même gros. Le fait que le patrimoine immobilier d'un restaurant reste limité en valeur
fait également que ce secteur ne donne pas beaucoup d'appétit aux gestionnaires des
fonds de placement. Seuls quelques très grands groupes de restauration, aux activités
diversifiées, vont continuer à intéresser ces investisseurs extrêmement méfiants et
exigeants en profitabilité.
La Bourse
La Bourse sera la solution la plus commune pour les gestionnaires de la restauration ayant
un peu l'esprit aventurier ou joueur. Mais elle impliquera que l'opérateur ait le souci
constant de la productivité, et surtout que son parc croisse sans cesse. La Bourse
produira des prédateurs redoutables, dirigeants non restaurateurs très affairistes, aux
méthodes de production très mécanisées. D'ici quelques années, la restauration
commerciale en France ne devrait plus connaître qu'un leader par segment de produits,
suivi d'un challenger. Ils disposeront d'un monopole et feront la pluie et le beau temps
dans la profession. Ils imposeront leur politique de gestion du personnel, leurs
politiques tarifaires, leurs concepts, leurs méthodes d'achats... et seront souvent
suivis en cela par leurs concurrents. Les années à venir seront encore marquées par
d'innombrables séries de fusions-absorptions de chaînes de restaurants, éliminant les
microchaînes peu rentables et à faible notoriété, créant ainsi des immenses réseaux
très centralisés. Chez ces opérateurs, l'association de la restauration à des
activités complémentaires (cinéma, loisirs, spectacles, voyage, magasins, etc.) sera
une règle.
Restauration rapide
Quant aux fast-foods, les craintes de leur explosion sur le marché ne devraient pas
trouver d'écho dans les prochaines années. La restauration rapide a du mal à se
renouveler dans ses formules. On lui accorde plus d'importance qu'elle n'en mérite, sans
doute parce qu'elle représente plus un symbole qu'une réalité.
La seule incertitude réside encore dans la capacité de la restauration à pouvoir
recruter du personnel. Les jeunes de la génération actuelle sont définitivement
fâchés avec la profession et les plus anciens sont parfois déçus. La restauration
deviendra "un métier de passage" où l'on ne fera plus carrière.
m Mark Watkins
Chaînes et groupes représenteront près de la moitié du CA de la restauration.
Demainl Une gestion serrée
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L'HÔTELLERIE n° 2648 Magazine 13 Janvier 2000