Deux études, l'une auprès
des professionnels, l'autre auprès des clients, donnent quelques clefs pour comprendre ce
que sera la restauration de demain. Faut-il se faire du souci ? Non, répondent les
professionnels.
Un bon millier de chefs de toute la France, du petit restaurant à la grande maison, ont
été interrogés sur l'avenir de la gastronomie. Cette enquête menée par le cabinet
Gira Sic Conseil et Ipsos pour le Cedus ne manquera pas de mettre un peu de baume au
cur des professionnels : 63 % des chefs interrogés prévoient l'essor de la cuisine
régionale. Certes avec 52 %, la cuisine rapide et pas chère les talonne, mais leur
conviction d'un retour de la clientèle vers des goûts authentiques et son attachement
grandissant pour les produits vrais aux saveurs du terroir est désormais fortement
ancrée. L'uniformisation du goût, tant décriée et redoutée, ne semble plus une
menace.
Retour à la cuisine traditionnelle
S'ils plébiscitent la cuisine régionale, ils n'en oublient pas moins de régler son
compte à cette cuisine "trop sophistiquée" qui n'hésite pas, par exemple, à
tenter des mariages de saveurs "insolites" pour les uns, "contre
nature" pour les autres. Pour eux, cette cuisine n'a pas d'avenir. C'est une mode qui
va passer et ils ne veulent à aucun prix emprunter cette voie. "Ils estiment que
les plats doivent revenir sur des bases culinaires traditionnelles. Ils sont persuadés
que le consommateur reviendra à des goûts de base et aux saveurs traditionnelles."
Pour Bernard Boutboul (Gira Sic Conseil), l'une des découvertes les plus surprenantes de
cette étude, c'est l'état d'esprit des professionnels : "J'étais persuadé de
rencontrer une population pessimiste pour l'avenir, découragée, très inquiète par le
fast-food. Or, on a trouvé 100 % de chefs satisfaits, sereins, calmes, reconnaissant
l'existence légitime du fast-food. Leur optimisme repose sur la conviction que la
gastronomie ou la nourriture en général est un perpétuel recommencement. Partant de
là, ils disent : "Le fast-food, laissons faire, c'est un phénomène de
société." Quand les gens en auront assez de manger debout et rapidement un truc
d'une qualité moyenne, ils reviendront se faire des petits plaisirs dans nos restaurants.
Les restaurateurs ne sont pas revanchards mais plutôt patients."
Les plats à transmettre
Quelles recettes devraient franchir les décennies ? Quels plats devrait-on transmettre au
IIIe millénaire ? Quelle part du patrimoine culinaire français est la plus emblématique
de notre savoir-faire ? Dans le cadre de cette enquête, les chefs ont eu la rude tâche
de répondre à ces questions. Ils devaient choisir deux entrées, deux plats et deux
desserts, leur décernant ainsi leur passeport pour le prochain siècle au moins. Des
choix que les chargés d'études leur ont bien évidemment demandé de justifier.
Pour l'entrée, c'est le foie gras avec 63 % des suffrages des professionnels (contre 24 %
pour la tête de veau ravigote). Pour les chefs, le choix du foie gras s'explique non
seulement par le fait que ce produit est synonyme de qualité mais aussi parce qu'il
représente la France.
Le foie gras, l'entrée à transmettre au IIIe millénaire.
Au rang des plats, la bataille est plus serrée. Le pot-au-feu (43 %) bat la blanquette de veau (25 %) et la volaille de Bresse (23 %). "Les chefs estiment que celui qui saura faire un pot-au-feu dans 20 ou 30 ans saura cuisiner, parce que c'est l'un des plats les plus difficiles à réaliser. C'est aussi un plat qui fait partie du patrimoine et ils en sont fiers", explique Bernard Boutboul.
Le pot-au-feu remporte tous les suffrages auprès des professionnels.
Quant au dessert, c'est la tarte aux fruits frais (une bonne partie d'entre eux a cité
la tarte Tatin) qui vole la vedette au gâteau au chocolat et à la crème caramel. "Une
bonne tarte avec de bons fruits frais, les professionnels disent que c'est le meilleur
dessert qui existe, commente le patron de Gira Sic Conseil. De plus, c'est un
dessert typiquement français et traditionnel."
Concernant les évolutions que devrait connaître la restauration pendant le prochain
millénaire, 83 % des professionnels interrogés pensent que les restaurants proposeront
plus de formules. Une tendance qui devrait donc s'accentuer répondant ainsi à la demande
des clients qui plébiscitent de plus en plus les formules tout compris. Connaître à
l'avance le montant exact de l'addition sécurise le client. "Ils ne veulent plus
de surprise au moment de payer. De toute façon, ils ont repéré ceux qui proposent des
formules hors liquide ou hors dessert pour mieux faire grimper la note", indique
Bernard Boutboul. Les chefs misent aussi sur la réduction du temps passé à table. En 25
ans, le temps d'un repas pris hors foyer est passé d'1 h 38 à 38 mn. Va-t-il encore se
réduire ? Culturellement, Bernard Boutboul n'y croit pas. Contrairement aux Américains,
les Français ont le culte du repas.
Les chefs plébiscitent la tarte aux fruits frais.
Quant à la troisième évolution mise en avant par les professionnels, il s'agit de la réduction des plats différents sur les cartes. Pour le patron de Gira Sic Conseil, ce choix stratégique est une erreur : "Aujourd'hui, nous observons une tendance : les gens ne veulent pas être à l'étroit dans une gamme de produits. Ils veulent une certaine liberté sur la carte. L'avenir, ce ne seront pas des cartes proposées sur une longue période mais plutôt bien ouvertes et à forte rotation. Elles doivent changer souvent, suivre les humeurs et envies des clients, les saisons..." Il va même plus loin, prévoyant d'énormes difficultés pour les enseignes spécialisées dans les cartes ultracourtes qui payeront cher ce choix en totale rupture avec les attentes des consommateurs.
Le marché va exploser
Spécialiste du secteur, Bernard Boutboul, au même titre d'ailleurs que les
professionnels qu'il a interrogés, est tout à fait optimiste pour l'avenir de la
profession. Pour lui, le marché va exploser dans les années à venir avec des taux de
croissance que le secteur n'a encore jamais connus. Mieux, la restauration traditionnelle
a, selon lui, toutes les chances de réussir si elle mise sur le respect du client,
condition sine qua non de la fidélisation. "On n'éduque pas le client, on
l'écoute. On ne le prend pas de haut parce qu'il n'est pas un spécialiste de la
gastronomie. C'est lui qui a le pouvoir. Celui qui ne sait pas garder ses clients doit
changer de métier." Fidéliser ses clients, c'est bien, fidéliser son
personnel, cela deviendra une obligation. "Cette profession sera sinistrée dans
moins de deux ans au niveau de l'emploi. Celui qui ne saura pas garder son personnel est
mort demain. Le retenir à coup de salaires et de primes, ce ne sera pas suffisant, il va
falloir inventer en matière de fidélisation du personnel. Ceux qui en sont encore à
s'inquiéter de la qualité de l'assiette ou de l'accueil ont deux métros de retard",
lance Bernard Boutboul en guise d'avertissement.
Il ne faut pas craindre les chaînes
Pour Bernard Boutboul, les indépendants ne doivent pas craindre les chaînes. Son constat
: Ils représentent 98 % des restaurants en France contre 2 % pour les chaînes. Or, si
ces 2 % font 20 % du chiffre d'affaires de la restauration en France, cela s'explique
simplement parce que les chaînes ont largement mieux marketé leur produit que les
indépendants. Les indépendants doivent s'y mettre à leur tour et marketer beaucoup plus
leur concept. Il rappelle que chez certains indépendants, la qualité de l'accueil, la
propreté, la régularité du produit, le bon état du mobilier, la décoration...
laissent à désirer. "Dans une chaîne, vous avez toujours l'impression d'arriver
dans un établissement neuf parce que tous les deux ans, ils réinvestissent très
fortement dans l'unité, souligne Bernard Boutboul. Chez un indépendant, le taux
de réinvestissement est très faible. On ne réinvestit pas parce qu'on n'a pas de
chiffre d'affaires et on ne fait pas de chiffre d'affaires parce qu'on ne réinvestit pas.
C'est une spirale dangereuse et il faut bien commencer par quelque chose."
"Les indépendants ont la puissance pour limiter la progression des chaînes, insiste
Bernard Boutboul. Les chaînes se lèvent tous les matins en priant pour que les
indépendants ne bougent pas. La restauration de chaînes ne représente que 3 000
restaurants sur 160 000 en France. McDo c'est 800 restaurants. Je rencontre beaucoup
d'indépendants qui sont effrayés par les chaînes et je leur explique qu'il ne faut pas."
La fidélisation par l'éthique
Dans le cadre de la bataille de la fidélisation par les prix, les indépendants n'ont pas
toujours toutes les armes pour rivaliser avec les grosses structures malgré tous les
efforts fournis. La fidélisation par la qualité de service et des relations comme le
préconise Bernard Boutboul, c'est le combat d'aujourd'hui. Pour le IIIe
millénaire, c'est l'éthique qui devrait devenir un atout maître pour les entreprises
qui en auront saisi les vertus avant les autres.
Au Gira Sic Conseil, les dernières études indiquent que cette tendance sera très forte
dans les années à venir. Déjà, certaines entreprises hors restauration ont pris le
train en marche. Elles communiquent, par exemple, sur le fait que ses produits n'ont pas
été fabriqués grâce au travail des enfants, qu'ils sont made in France (et non pas le
résultat d'une délocalisation), que les matières premières sont bio... McDonald's avec
ses maisons Ronald's McDonald's, construites à côté des hôpitaux pour héberger les
parents d'enfants malades, entre dans ce créneau éthique qui plaît à la clientèle.
"Fidéliser un client par l'affectif, le commerce devra s'y mettre, déclare
Bernard Boutboul. De plus, derrière l'éthique en restauration, il y a aussi, par
exemple, la traçabilité du produit. Il va falloir avoir une philosophie à annoncer aux
clients pour instaurer une relation de confiance profonde."
m Nadine Lemoine
Dans la liste suivante, s'il ne devait rester, dans une centaine d'années, que deux entrées (froides ou chaudes) du patrimoine culinaire français, quelles seraient-elles selon vous ?
Dans la liste suivante, s'il ne devait rester, dans une centaine d'années, que deux plats traditionnels du patrimoine culinaire français, quels seraient-ils selon vous ?
Dans la liste suivante, s'il ne devait rester, dans une centaine d'années, que deux desserts (froids ou chauds) du patrimoine culinaire français, quels seraient-ils selon vous ?
Le menu du IIIe millénaireFoie gras |
Parmi les affirmations suivantes que l'on peut entendre à propos de l'avenir et de la gastronomie française à l'aube du IIIe millénaire, dites si vous êtes d'accord ou pas avec chacune d'entre elles
Parmi les différentes catégories de plats suivants, lesquels selon vous ont le plus de chances de perdurer au IIIe millénaire ?
Parmi les types de cuisines suivants, selon vous, lequel sera le plus développé dans 20 ans ?
Dans la cuisine du III millénaire, que faut-il selon vous privilégier ?
Les chefs et l'an 2000m Ce sont les plats de
famille et de grands-mères qui resteront et non les plats d'auteur. |
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L'HÔTELLERIE n° 2648 Magazine 13 Janvier 2000