Le marché comptant et le second marché sont des tremplins pour les PME à la recherche de capitaux, désireuses d'accroître leur notoriété et d'inscrire dans la durée leur activité, limitant par là même les aléas de la succession. Ce mouvement qui s'est accéléré au milieu de la décennie a trouvé son essence dans la crise du début des années 90, période troublée où les banques françaises secouées par bon nombre de faillites n'étaient guère enclines à prêter et à accompagner les entreprises dans leur développement. Naissance d'un marché financier autonome à laquelle les capitaux risqueurs ont activement participé car il constitue à moyen terme une porte de sortie à tout investissement.
Les nouveaux entrants
1997 a été marquée par l'arrivée en Bourse de sociétés spécialisées de la
restauration et du jeu, PME de taille plus modeste que leurs surs aînées du
règlement mensuel et du marché comptant.
Dans le secteur de la restauration, Léon de Bruxelles a ouvert le bal en mai 1997, au
second marché, suivi quelques mois après par Croq'O'Pain (novembre 1997), le Groupe Flo
(mai 1998), Bernard Loiseau (décembre 1998) et enfin en 1999 par Buffalo Grill. Le point
commun de ces cinq enseignes, (c'est moins le cas pour Bernard Loiseau) est d'avoir basé
leur stratégie sur la déclinaison d'un concept de chaîne de restauration duplicable à
grande échelle.
Plus diversifié que les quatre autres sociétés, le groupe Flo a insufflé croissance et
visibilité à son activité par le développement des chaînes Hippopotamus, Flo Prestige
et plus récemment Petit Bofinger. De son côté, Léon de Bruxelles a misé sur la
déclinaison de ses restaurants de moules/frites : il est venu chercher en Bourse les
moyens de la financer et d'accroître sa notoriété. Quant à Buffalo Grill, leader
français de la grillade, il poursuit son développement à l'échelle nationale et
européenne (Espagne, Belgique et Suisse) de son concept de steak house. Enfin,
Croq'O'Pain, sandwicherie à la française, a levé au marché libre les capitaux
nécessaires à l'ouverture de nouveaux restaurants.
A l'occasion de leur entrée en Bourse, les casinos ont levé le voile sur leur activité
en travaillant à plus de transparence, corollaire d'une communication financière
détaillée. L'élément majeur qui a permis l'émergence de "pures" sociétés
exploitantes de casinos et leur appel au marché est l'avènement, en France, des machines
à sous (MAS), gage de rentabilité et d'un modèle économique générateur d'importants
cash-flows. L'hôtellerie n'est plus systématiquement présente au sein d'un
établissement de jeux à l'inverse des salles de spectacle obligatoires aujourd'hui pour
l'obtention d'une licence de jeux. En revanche, les restaurants y ont fait leur
apparition. Ils constituent, à condition de répondre aux aspirations thématiques du
consommateur, des produits d'appel pour les jeux, et permettent de capter une clientèle
qui ne serait pas venue de son propre chef jouer. Dès lors, l'Européenne de Casinos,
comme Moliflor et le groupe Partouche, rivalise d'initiatives pour proposer plusieurs
concepts de restauration susceptibles de séduire un consommateur très regardant sur le
quatuor qualité/prix/service/thème, dans la lignée du "dépaysement" et de la
déconnexion recherchés lors de la pratique de loisirs ou d'utilisation de son temps
libre.
Bilan de l'année
L'exercice 99 a confirmé la reprise de la consommation. Le développement des loisirs est
une tendance de fond qui valide cette dynamique. Si la propension des ménages à
consommer des distractions est un élément positif, il n'en demeure pas moins qu'ils ne
sont pas prêts à consommer sans garantie d'un bon rapport qualité/prix/service. Dès
lors, les produits proposés doivent être finement étudiés et répondre à certaines
affinités plus qu'à certaines modes souvent éphémères. Il peut s'agir de formules
qu'affectionnent les Français comme le steak/frites/salade qui selon une étude Sofres
vient en seconde position derrière la quiche lorraine, plébiscite qui justifie dès lors
le succès de Buffalo Grill et d'Hippopotamus. Ajoutons à cette tendance le succès des
sandwicheries à la française, qui tendent aux heures du déjeuner à détrôner le
hamburger par une palette de sandwiches. Le succès du dernier concept du groupe Flo, le
Petit Bofinger, brasserie de proximité développée pour l'heure à Paris et sa proche
banlieue, prouve également les aspirations du consommateur à l'égard de la cuisine
française sans se ruiner (le ticket moyen est de 135 F). Après la grande couronne, ce
modèle devrait être développé dans les grandes villes de province. Quant à Léon de
Bruxelles, le bilan 99 est mitigé et la naissance d'un concept déclinable aujourd'hui
compromise. La présentation des résultats semestriels de la société a été l'occasion
pour les dirigeants de commenter le ralentissement de la croissance du groupe, qui souffre
aujourd'hui d'une détérioration de la qualité de son service, conséquence d'une
croissance certainement mal maîtrisée. Dès lors, le groupe a préféré geler son
programme d'ouvertures à compter de l'année prochaine pour regagner la confiance de sa
clientèle. Le concept lui-même limite le choix du consommateur et la capacité à capter
sur un court laps de temps une même clientèle. L'autre erreur mise en exergue par les
dirigeants de Léon de Bruxelles concerne le surdimensionnement de leurs restaurants de
province.
Quant à Bernard Loiseau, le groupe présente aujourd'hui une structure diversifiée où
le vaisseau amiral de Saulieu a été complété par deux bistrots parisiens dont le
concept pourrait être dupliqué voire franchisé et par la signature de contrats de
consultants auprès de l'agroalimentaire.
Un modèle à part
Pour terminer, Buffalo Grill, jusqu'à cette année exclusivement implanté en banlieue
parisienne et en province, a fait son entrée dans Paris, après le rachat de 10
établissements Batifol, marché nouveau pour le groupe.
La montée en puissance sur le créneau des casinos de la filiale d'Accor, Accor Casinos,
de même que l'OPA lancée sur Moliflor par un fonds de pension britannique prouvent un
intérêt unanime pour le secteur. Quant à l'Européenne de Casinos et le groupe
Partouche - à l'étroit sur le marché français dont les réserves de croissance
reposent aujourd'hui sur l'obtention dans les établissements déjà exploités de MAS
supplémentaires, le rachat de casinotiers indépendants encore nombreux (mais de plus en
plus coûteux : de 1,5 jusqu'à 2 fois le produit brut des jeux contre 1 fois il y a un
an), l'implantation ou la réouverture de casinos dans les grandes villes à ce jour
facilitées par l'assouplissement des lois françaises - ils ont mis le cap sur
l'international.
En termes de valorisation boursière de ces différents groupes cotés, le marché
français ne semble pas avoir, Européenne de Casinos et Buffalo Grill mis à part,
privilégié ces secteurs d'activité ni complètement intégré leur potentiel de
croissance à moyen terme. Dans le même temps, les investisseurs en 1999 ont privilégié
les Blue Chips du règlement mensuel plutôt que les Small Caps, tendance qui ne devrait
toutefois pas perdurer. A cet égard, notons l'intérêt marqué des Anglo-Saxons pour les
groupes français de la restauration et des casinos (prises de participation de Fidelity
dans Léon de Bruxelles et l'Européenne de Casinos, rachat de Moliflor par Prudential et
plus récemment le franchissement de seuil en hausse des 5 % du capital de Buffalo Grill
par le Britannique Henderson). Familiarisés avec les steaks houses et les grands casinos
américains, modèles d'exploitation à succès, les fonds anglo-saxons cherchent
aujourd'hui à investir dans des sociétés susceptibles de connaître à moyen terme une
évolution similaire.
Tendances
L'avènement des MAS pour les casinos a révolutionné leurs modèles d'exploitation. En
restauration, la recherche de la rentabilité a accéléré le développement des
chaînes, qui permettent de réaliser des économies d'échelle, de pérenniser une
marque, un concept, de bénéficier d'une force de négociation indéniable (auprès des
fournisseurs...) et d'être à même de faire de la croissance externe. Sur ce dernier
point, la Bourse permet d'accélérer le mouvement de concentration en facilitant les
opérations en capital et les appels au marché lors d'opérations de croissance externe,
de crédibiliser une société dans le cadre de partenariats et de mieux valoriser un
patrimoine. Parallèlement à la dynamique de rapprochement des sociétés en quête de
taille critique, l'empreinte française dans la restauration tend également à s'imposer,
contrebalançant un marché en évolution, inspiré des influences internationales,
américaines notamment.
Sans oublier le clivage Paris/grandes villes de province/campagnes où les aspirations
culinaires sont elles aussi différentes. Buffalo Grill l'a intégré en différenciant sa
carte (plus large choix de salades, de cocktails à Paris), en conceptualisant la
structure d'accueil autour de la famille notamment (tables en box, espaces de jeux,
parking...) et, comme Hippopotamus et McDonald's, en proposant un ticket moyen inférieur
à 100 F.
Prospective
Dans un environnement porteur, dont la dynamique est le fruit du développement des
loisirs et de la naissance de concepts clairement définis, qui ont accéléré la prise
de repas en dehors du foyer, dans une logique de consommation en toute transparence
(qualité/prix/service), et compte tenu du mouvement anticipé de concentration, le
paysage de la restauration, de l'hôtellerie et des casinotiers devrait évoluer.
L'essoufflement de certains modes de restauration, notamment les pizzerias, et le succès
d'autres types de restauration (les sandwicheries, les grills...) donneront le ton des
éventuels rapprochements à anticiper. De plus, dans une logique de croissance et de
prise rapide de parts de marché, la reprise d'une chaîne (dotée d'une marque et d'un
réseau de restaurants donc d'emplacements) peut constituer un pas décisif, une avance
pour la déclinaison d'un concept, par rapport à la création ex nihilo d'une chaîne
thématique.
Ainsi, le Groupe Flo - aujourd'hui doté de trois chaînes en développement :
Hippopotamus, Petit Bofinger et Café Flo à Londres - ne cache pas son appétit pour une
autre enseigne proposant un ticket moyen de 120 F, européenne ou française. Buffalo
Grill, qui devrait gérer en France plus de 180 restaurants (en propre) d'ici peu, a mis
l'accent sur son développement européen (Espagne,
Belgique et Suisse) et sur la conceptualisation de ses deux autres enseignes, Bistro
d'Augustin et Victoria Pub. Léon de Bruxelles est aujourd'hui bercé par les
spéculations et son rachat par une autre chaîne est envisagé. L'intérêt de cette
opération repose sur la reprise de certains emplacements stratégiques dans Paris.
Rappelons, à cet égard, la naissance du double concept de Le Duff :
sandwicherie/pizzeria, que d'autres intervenants pourraient adopter en diversifiant leur
offre. Dans les grills, Courte-Paille ne constitue pas pour Accor un actif stratégique et
pourrait de ce fait être cédée. Au sein du même groupe, Lenôtre, considérablement
renforcé depuis 2 ans, offre des perspectives prometteuses. Potel & Chabot,
propriété du groupe Bongrain, n'apparaît pas, malgré la qualité de son image, comme
une activité stratégique. S'il ne dispose pas de boutiques, il gère plusieurs salles de
réception à Paris et est doté d'une structure traiteur pour événementiels de grande
qualité.
Autant dire qu'aujourd'hui, tant Lenôtre que Potel et Chabot et Raynier Marchetti n'ont
la taille critique suffisante. On peut prévoir, dans l'avenir, un rapprochement d'au
moins deux de ces marques.
Et les enseignes non cotées ?
Quant aux autres chaînes non cotées en Bourse, notamment La Criée, El Rancho et les
enseignes du groupe Le Duff (La Brioche Dorée, Pizza del Arte, Pizza Lucio, Fournil de
Pierre), elles n'excluent pas, à terme, une entrée au second marché, à moins qu'elles
ne soient, pour les deux premières notamment, la cible d'une autre enseigne. Pour Bistro
Romain, dont l'actionnariat est familial, le passage de flambeau de l'actuel propriétaire
pourrait être le théâtre de rapprochements ou d'évolution du tour de table. Concernant
les frères Blanc, ils pourraient racheter une chaîne de restaurants pour compléter leur
offre. Dotés comme le groupe Flo d'un réseau de brasseries et restaurants parisiens, la
croissance des deux groupes passera également par le rachat d'indépendants. Quant à
Pizza Pino, repris par le fonds d'investissement Astorg 2 (Suez Partenaires) qui a
récemment levé 1,2 milliard de francs (9 restaurants dont 2 franchises), il prévoit
d'ouvrir 25 nouveaux établissements et de diversifier son portefeuille par le rachat
d'une autre enseigne.
Dans le secteur des casinos, le rachat d'indépendants voire le rapprochement entre grands
groupes pourraient s'accélérer, la création (exception faite de certaines grandes
villes) de nouveaux casinos étant rares. L'Européenne de Casinos, très endettée,
pourrait être une cible. Moliflor, par le biais de son nouvel actionnaire, a aujourd'hui
les moyens de réaliser des acquisitions notamment à l'étranger (Espagne), ce dont le
groupe ne se cache pas. Quant au groupe Partouche, son gearing lui permettrait de
procéder à d'autres rachats à l'international après celui cet été de la Société
Française de Casinos (propriétaire de trois casinos), dont le financement pourrait être
complété par un appel au marché. Propriétaire d'hôtels au sein de sa holding, le
groupe n'exclut pas de se concentrer uniquement sur l'exploitation de casinos. Ses
derniers partenariats avec Hilton à Bucarest s'inscrivent dans cette logique : le groupe
Partouche est locataire de la chaîne hôtelière et n'a en charge que la partie jeux.
Notons, par ailleurs, que sur la base des dernières transactions réalisées en France,
l'international notamment le Bassin méditerranéen, l'Europe de l'Est et les Etats-Unis
offrent de réelles opportunités.
En Belgique, le lancement d'un appel d'offres pour un casino à Bruxelles devrait susciter
l'intérêt de l'ensemble des exploitants de casinos, français, hollandais et
autrichiens, sachant que le groupe Partouche est déjà présent à Knokke-Le-Zoute et que
l'Européenne de Casinos s'est récemment associée avec le Belge Verdonck.
L'heure des rapprochements
Prédateur ou cible, les chaînes de restaurants et les casinotiers devraient vivre à
l'heure des rapprochements, mouvement qui n'a pas réellement débuté en France. Si
McDonald's et Quick, leaders en France, semblent indétrônables et ont pris le parti de
cultiver leur différence pour séduire le consommateur, les autres chaînes tablent sur
la force de leurs concepts, de leurs marques et sur une bataille pour les emplacements
stratégiques, dont le corollaire est le rachat d'indépendants et d'autres chaînes.
Quant aux casinos, qui ont la spécificité de n'être pas en concurrence frontale les uns
avec les autres, ils devront toutefois dans les années à venir affiner leur concept,
notamment celui des activités annexes (restaurants, spectacles...) pour capter de
nouveaux clients, stratégie indispensable dans les régions balnéaires françaises où
les villes dotées de casinos sont proches les unes des autres - par exemple
l'établissement de Bandol géré par l'Européenne de Casinos et celui de Cassis
exploité par Accor - le consommateur étant de plus en plus enclin à faire quelques
kilomètres pour bénéficier d'une prestation qui le satisfait.
m Delphine Henriet
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L'HÔTELLERIE n° 2648 Magazine 13 Janvier 2000