Je vais commencer par une
anecdote. Quand j'ai commencé mon apprentissage fin 41, les gens me disaient : mais
pourquoi veux-tu faire cuisinier ? Les cuisiniers ne serviront plus rien en l'an 2000. On
aura des cachets, des pastilles, des pilules et plus de cuisine. Je m'aperçois que
bientôt 60 ans ont passé et que jamais la cuisine n'a été aussi formidable, qu'on a su
conserver de bons produits comme la volaille de Bresse ou le beaufort.
m Si on se base sur les
Etats-Unis, qui sont toujours en avance d'une vingtaine d'années sur nous, on a tout lieu
d'être optimiste puisque la cuisine n'a jamais aussi bien marché chez eux. On
s'aperçoit qu'aujourd'hui, là-bas, de plus en plus de gens apprennent et font la
cuisine. A New York, on trouve même l'une des meilleures écoles de cuisine du monde, The
Culinary Institute. Aussi, je pense que dans une vingtaine d'années, on vivra en France
le même phénomène.
m La chose la plus
difficile, ce sera de trouver un bon jardinier pour avoir de bons légumes, trouver un bon
éleveur pour avoir de bonnes volailles de Bresse, etc. Ma conviction : bon produit, bonne
cuisine. La France, c'est le paradis de Dieu pour le bon produit. Aucun pays au monde n'a
autant de fromages, de beurres, de crèmes, de vins. Avec trois mers, nous avons des
poissons exceptionnels...
m La cuisine fusion (un
peu de japonais, de chinois, de français et de californien mélangés) est pour moi une
cuisine de confusion.
m Il faut revenir à
une cuisine identifiable avec des os et des arêtes. Quand le maître d'hôtel vous amène
un plat sur la table, vous ne devez pas avoir besoin qu'il vous dise pendant cinq minutes
ce que vous avez dans l'assiette. Ce qui a sûrement fait perdre du poids à la cuisine
française dans le monde - mais ça revient actuellement - ce sont justement ces cuisines
non identifiables et trop chères. D'ailleurs, certains cuisiniers qui ont senti le vent
reviennent à une cuisine conviviale en ouvrant des brasseries où l'on peut manger du
buf bourguignon ou de la blanquette de veau.
m Quand on me parle
d'une nouvelle idée ou d'une nouvelle cuisine, je demande si l'établissement est plein.
Si c'est le cas, c'est lui qui a raison, quelle que soit la cuisine qu'il fasse. Pourquoi
on critique McDonald's, nous, alors qu'on n'a pas été fichu de trouver un concept de
cuisine française pour rivaliser. Quand on va chez McDo, qu'est-ce qu'on trouve ? Un
endroit bien placé, un personnel souriant, vous êtes vite servi, ce qu'on mange n'est
pas plus mauvais qu'un sandwich rassis avec 5 g de beurre et de jambon. Et en plus les
toilettes sont propres.
m On a les meilleurs
chefs et les meilleurs produits du monde. Il n'y a pas de souci à se faire. En 1965, il y
avait 10 trois étoiles et je suis devenu le onzième. Aujourd'hui, on est plus de 20, ce
qui prouve que la cuisine a bien progressé.
m Ce que je souhaite,
c'est qu'il y ait de plus en plus de femmes en cuisine. La cuisine, c'est quand même un
métier de femme, or il n'y en a pas tellement. Je serais heureux de voir en cuisine,
comme aux Etats-Unis, entre 40 et 50 % de femmes.
m Propos recueillis par Nadine Lemoine
Le profil du cuisinier de demainLe profil du chef de demain, c'est le profil d'aujourd'hui. Il faut de l'honnêteté, l'amour du travail bien fait et l'envie de transmettre à son prochain. |
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L'HÔTELLERIE n° 2648 Magazine 13 Janvier 2000