m Propos recueillis parJean-François Mesplède
L'Hôtellerie : Vos amis Olivier Rllinger et
Michel Bras éprouvent le besoin de souffler durant l'hiver. N'avez-vous pas été tenté
de faire de même ?
Marc Veyrat : Souffler ? Non, pour une bonne et simple
raison : la montagne me manque de plus en plus. Il est important de faire les deux saisons
et, de toute façon, les nouvelles mesures sociales vont nous l'imposer. C'est vrai
pourtant qu'avec mon équipe nous n'avons pas beaucoup soufflé puisque à peine
étions-nous partis de l'Eridan que nous étions déjà à Megève.
L'H. : On a vraiment le sentiment qu'ici vous êtes
dans votre élément. On sent une sorte d'exaltation...
M. V. : C'est vrai qu'au bord du lac je n'étais pas
tout à fait en paix avec moi-même. Megève représente une sorte de passage obligé, de
reconnaissance vis-à-vis de mon père, de la philosophie que l'on me prête. Là, avec
mon chapeau et mes brodequins, j'ai vraiment retrouvé mes racines paysannes avec une
ferme telle que je l'ai connue dans mon enfance.
L'H. : Il y a un brin de nostalgie dans tout cela...
M. V. : De la nostalgie ? Sans doute, mais sans
conservatisme. J'ai besoin de mes racines, de rendre hommage à ceux qui ont vécu avant
nous. Ici, au-delà d'un chalet de montagne tel qu'on en trouve dans la chaîne des
Aravis, j'ai voulu faire un lieu de culture populaire avec les chambres de devant que l'on
réservait au curé ou au patriarche de la famille, les chambres de derrière ; la
"séchée" où l'on fabriquait le reblochon ; la bourne, cette gigantesque
cheminée froide où l'on fume le jambon et les cochonnailles ; l'étable avec les vaches
et les chèvres ; le sous-sol avec la cave à cidre et la resserre des fruits et des
légumes ; le four à pain et aussi le grenier où l'on gardait les papiers de famille et
la ligne du dimanche pour les mettre à l'abri, au cas où la maison avec sa grange
brûlerait. Pour ne rien cacher aux clients, nous avons imaginé de placer au sol du
restaurant des vitres qui permettent de tout voir...
L'H. : Votre père s'inquiétait un jour de savoir si
vous pourriez profiter de tout ça. Y a-t-il du changement ?
M. V. : C'est vrai que lui, qui n'a profité de rien,
avait cette réaction. Né pauvre, il est resté paysan, n'a pris sa retraite qu'à 80
ans... mais a travaillé pour donner le maximum à ses enfants et leur léguer un peu de
ce patrimoine et de cet amour du travail.
L'H. : Revenons à la Ferme de mon Père. N'est-ce
qu'un clin d'il au paternel ou une nécessité économique ?
M. V. : Je crois que c'est avant tout une envie folle
de créer ce patrimoine, en pensant aussi un peu à mes enfants. Je ne crois pas qu'il y
ait d'impératif économique, mais davantage un retour à mes terres d'alpage. Lorsqu'il y
a une dizaine d'années, j'ai construit Veyrier-du-Lac je pensais qu'en homme de la
montagne, j'y retournerais un jour. Au bord du lac, je reste un expatrié alors que là je
suis chez moi, en face du mont Charvin. A Manigod, c'est l'autre côté et il n'y a que
ça qui nous sépare.
L'H. : Comment vous et votre équipe partagez-vous votre temps entre Veyrier-du-Lac et Megève ?
M. V. : Avant tout, la notion d'équipe est très importante. Sans elle, je ne me serais pas engagé dans cette... folie. Nous sommes à Megève depuis le 15 décembre jusqu'au 12 mars. Nous serons à Veyrier du 15 avril au 15 novembre avec des équipes sensiblement identiques de 55 personnes. Pour la saison 2000, j'envisage de créer une dizaine de suites. Je déposerai le permis de construire dès que j'aurai terminé d'étudier le dossier.
L'H. : Visez-vous la même clientèle qu'à l'Auberge
de l'Eridan ?
M. V. : Oui et, comme à Veyrier l'été, nous avons
un carnet de réservations de deux mois... ce qui est assez extraordinaire. Je mise entre
100 et 120 clients par jour, avec un ticket moyen oscillant entre 1 000 et 1 800 francs.
En fait, la seule inconnue ici était pour le déjeuner : s'il fait beau, les clients
auront-ils envie de venir ou préféreront-ils le ski ? J'ai eu la réponse avec une
saison formidable, un taux de remplissage total.
Mais je constate un comportement un peu différent. Ici, c'est plus convivial et l'on sent
tout le monde heureux de vivre dans cette maison. Je n'ai jamais connu un tel climat de
sérénité, un peu comme si le chalet existait depuis un siècle. Je crois que le plus
bel hommage qui m'ait été rendu est celui des Megévans qui m'ont adopté et m'ont
permis de m'intégrer.
L'H. : C'était un sacré pari. Au terme de ce premier
hiver, pensez-vous l'avoir gagné ?
M. V. : Je sais simplement que mon équipe a trouvé
ses marques et que nous avons fait la même cuisine. C'est vrai pourtant que j'ai toujours
peur... mais je suis un angoissé perpétuel. On n'est jamais sûr de rien et surtout pas
d'une réussite définitive ici. Il peut y avoir des chutes de neige nous coupant du monde
et nous faisant rater une partie de la saison. Je n'ai pas de souci de viabilité sur les
quatre mois d'ouverture et je fais le maximum pour mes clients. Le reste...
L'H. : On imagine facilement qu'avec la même équipe
et des prestations identiques, une idée germe dans votre esprit. Espérez-vous retrouver
ici les trois étoiles du bord du lac ?
M. V. : Alain Ducasse a gagné deux fois trois
étoiles et je ne peux pas croire qu'il pourrait en être autrement pour nous. Le Michelin
est d'une très grande crédibilité, c'est à lui qu'il appartient de juger et de nous
attribuer les étoiles qu'il veut. Je sais que Pierre Gagnaire à Paris ou Alain Ducasse
à Monte-Carlo avaient dû patienter un an. Avec la même équipe et en ayant fermé
l'Auberge de l'Eridan pour me concentrer sur Megève, j'ai tout misé pour avoir trois
étoiles, même si je sais que notre ouverture très fraîche (sic) peut-être un
handicap. Si ce n'est pas en l'an 2000, j'ose croire que ce sera pour 2001 ou je serais
très déçu. n
© Della
Corte/Gambero Rosso |
|
|
|
© Della
Corte/Gambero Rosso |
Veyrat et les banquiersVaste sujet abordé sans pratique de la langue de bois. |
Une équipe solideC'est la même équipe de 35 personnes qu'à Veyrier-du-Lac qui s'est transportée
à Megève et qui a participé au déménagement et à l'installation : autour d'Hervé
Audibert, directeur de salle, et Bruno Bosser le sommelier, Vincent Labarsouque, Pascal
Drouet et Mathieu Fortin (maîtres d'hôtel) ; Stéphane Froidevaux et Arnaud Quemeneur
(cuisine) mais aussi Carine Veyrat, fille de son père et chef-pâtissière depuis 1997.
|
Vu de l'intérieur...Il est arrivé chez Marc Veyrat le 6 mars 1993, le même jour qu'Hervé Audibert, le
directeur de salle. Bruno Bosser, le sommelier, est un témoin privilégié de cette
nouvelle aventure Veyrat.
|
Vos commentaires : cliquez sur le Forum des Blogs des Experts
L'HÔTELLERIE n° 2655 Magazine 2 Mars 2000