Baisse de la fréquentation, séjours raccourcis, concurrence exacerbée des "destinations soleil", difficultés de recrutement... Le tourisme de montagne traverse une zone de turbulences, même si quelques stations phares tirent assez bien leur épingle du jeu. Les entreprises hôtelières fondent ainsi comme neige au soleil. Des solutions sont pourtant envisageables. Selon les professionnels concernés, les politiques font malheureusement la sourde oreille.
Claire Cosson zzz22m
La saison hivernale 1999-2000
s'est achevée sur une note optimiste, malgré un début désastreux. "D'une
manière générale, il est vrai que l'hiver s'est mieux fini qu'à l'accoutumée, grâce
à une fréquentation soutenue durant le mois de mars notamment", indique Jacques
Jond, président de la Fédération autonome générale de l'industrie hôtelière
touristique (Fagiht). Et d'ajouter aussitôt : "Ne nous voilons cependant pas la
face ! Cette saison se révèle au final relativement moyenne - une de plus - et varie
très sensiblement suivant les massifs." La montagne couvre, en effet, presque 30
% du territoire français. Mais, qu'y a-t-il de commun entre le Massif central et les
Alpes du Nord, par exemple, qui figurent parmi les territoires les plus entreprenants ?
Pas grand-chose en vérité. D'où d'ailleurs la difficulté de communiquer des résultats
globaux et par-là même, peut-être, d'établir une politique spécifique de la montagne.
"Les stations de haute altitude, sous le feu des projecteurs, bénéficient de
l'assurance d'un enneigement de qualité et aussi d'une notoriété internationale. Elles
attirent ainsi bon nombre de touristes étrangers. C'est, hélas, rarement le cas pour les
sites implantés en basse et moyenne altitude", témoigne Claude Daumas, patron
d'un hôtel 3 étoiles (30 chambres), Le Cheval Noir, à Saint-François-Longchamp (1 650
m), et également président délégué de la CCI Savoie, en charge du tourisme. "Je
dois reconnaître que j'ai beaucoup de chance, par rapport à certains de mes collègues,
de posséder un établissement au pied des pistes, et qui plus est, à Méribel. A
d'autres endroits, c'est très dur", estime parallèlement, avec sincérité,
Claude Chardonnet, propriétaire de L'Orée du Bois, 2 étoiles (35 chambres).
Les vacanciers, en été, dépensent deux fois moins que durant les vacances d'hiver
.
Seulement 7 hôtels à La Plagne
A première vue, le succès des stations d'altitude du type Courchevel, Val-d'Isère ou
bien encore Méribel, semble bel et bien camoufler la situation réelle dans laquelle se
trouve aujourd'hui l'hôtellerie de montagne. Tout comme l'illusion d'un soi-disant
secteur privilégié, engendrée par l'existence de deux saisons : été et hiver. "Ce
sont les arbres qui cachent la forêt ! D'autant qu'en général, les saisons ne sont
guère bien longues : du 20 décembre au 20 mars (20 avril pour les grandes stations) et
du 1er juillet au 1er septembre", rétorque d'un ton sec
Jacques Jond, rappelant pour la énième fois que le tourisme de montagne traverse en
réalité une crise profonde et sévère. A noter à ce sujet qu'en mai 1990, aux
Ménuires, se déroulait un congrès d'ores et déjà intitulé : "1990-2000,
années blanches ou noires pour le ski ?" "En dépit de remontées
passagères, nous observons indéniablement une lente décroissance de la fréquentation
depuis un maximum observé en 1983", confirme du reste pour sa part le directeur
du SEATM (Service d'études et d'aménagement touristique de la montagne), Philippe
Martin. Signe des temps, un peu moins d'1 Français sur 10 se rend dans une station de
sports d'hiver. Quant à la durée moyenne des séjours en hôtellerie de montagne, elle
fond comme neige au soleil pour atteindre seulement 2,9 jours en 1998 (direction du
Tourisme, Insee, partenaires régionaux). Autant d'éléments défavorables aux
exploitations hôtelières des sommets.
D'ailleurs, en moins de 20 ans, l'hôtellerie saisonnière française (montagne,
balnéaire, thermale et climatique) a perdu près de la moitié de ses effectifs (de 6 000
à environ 3 000 actuellement). Pire. "Les hôtels sont devenus epsilon dans
certaines stations. Et la tendance s'accélère", affirme Claude Daumas.
De fait, aussi incroyable que cela puisse paraître, sur 46 000 lits à La Plagne
(Savoie), on dénombre seulement 7 unités hôtelières (source dépliant Ski France
1999-2000). Du côté d'Avoriaz (Haute-Savoie), il y a tout juste 2 hôtels pour un parc
comprenant 16 200 lits. Dans les Hautes-Alpes, à Risoul, pas de quoi être plus satisfait
avec 5 hébergements hôteliers pour un total de 16 700 lits... Même au cur d'une
station aussi renommée que Méribel, deux prestigieuses adresses hôtelières, L'Antarès
et Le Chalet, ont jeté l'éponge passant sous la coupe du Club Méditerranée. Un tableau
sacrément inquiétant. D'autant que le manque d'enneigement ne suffit pas à expliquer
cette fuite en avant. "La neige est, cette année, tombée massivement. Il n'y a
avait pourtant quasiment personne en janvier dans la plupart des station", note
Claude Daumas. Ni même la forte concurrence des destinations soleil.
Diversification des produits
La qualité des prestations offertes dans les hôtels de montagne n'est guère, elle non
plus, à mettre en cause. La grande majorité des professionnels ne cessent, en effet,
d'investir dans leur outil de travail pour répondre aux exigences accrues des clients. Le
tout, bien souvent, sans jamais augmenter leurs tarifs. Les exemples en la matière sont
pléthores.
"J'investis entre 300000 et 400000 francs par an dans mon hôtel. Je dispose
désormais de piscines (intérieure et extérieure), d'un grand jardin, d'un terrain de
boules... Je me suis même arrangé avec les gestionnaires de terrains de tennis voisins
afin de proposer des forfaits intéressants à ma clientèle", avoue Raymond
Buisson, aux commandes du Christiana, 3 étoiles (23 chambres) à Villard-de-Lans, en
Isère. "J'ai effectué pour 3 millions de travaux en 1998, créant ainsi une
piscine, un sauna, un cabinet de kinésithérapie et une salle de séminaire",
expose le propriétaire du Cheval Noir.
A Méribel, Claude Chardonnet a lui aussi consacré 10 millions de francs pour rénover de
fond en comble son établissement. "Tout a été refait du sol au plafond l'an
passé, pour un montant de
2 millions de francs", raconte Jean-Pierre Jorcin, au Val-Cenis (1 399 m)...
Alors, la diversification des produits, les hôteliers de montagne la maîtrisent. Sans
oublier que bon nombre de stations ont également changé leur fusil d'épaule, lâchant
du lest côté ski alpin au profit de nouvelles activités. "La clientèle de ski
vieillissant, beaucoup de sites ont développé des animations diverses à la fois
culturelles (écomusées, cinéma...) et sportives (randonnées en raquettes, nouvelles
glisses, ateliers photo...)", indique un directeur d'office de tourisme, dans les
Alpes du Sud.
Périodes de fonctionnement déficitaire
Le vieillissement de la population française, associée à la crise économique, aboutit
évidemment à une baisse sensible des pratiquants. Soit. Mais, il en faut plus cependant
pour expliquer le "tout schuss" de l'hôtellerie de montagne constaté au cours
des dernières années. "Il y a évidemment des raisons d'ordre structurel",
lance le président de la Fagiht. A commencer par le choix politique de la France, à une
certaine époque, qui a consisté à tout miser sur l'immobilier. "On est ainsi
parvenu au début des années 90 à un rythme de création de lits beaucoup trop élevé
(30 000 lits) tandis que la demande régressait", martèle Jacques Jond.
Il semble que les institutionnels aient également fait abstraction des coûts de
construction dans les massifs montagneux. "Qu'on le veuille ou non, bâtir un
hôtel au pied des pistes est plus cher qu'en ville. D'ailleurs, traiter un m3 d'agrégats
à la montagne coûte plus cher en transport qu'en achat marchandises", s'insurge
Claude Daumas. Reste que le problème majeur de l'hôtellerie de montagne découle en fait
du phénomène de saisonnalité. Et sur ce point précis, la profession demeure incomprise
par l'ensemble des politiques. "Il est illusoire de croire que les saisons peuvent
globalement s'allonger sensiblement", dénonce le président de la Fafiht.
Pourtant, les tentatives se sont multipliées afin de faire fonctionner des stations
durant de longues périodes. Mais, la quasi-totalité s'est soldée par des échecs depuis
20 ans. "On a accru les frais généraux supportés par les acteurs des stations
avant et après la saison. Tout cela pour séduire une clientèle peu nombreuse à des
prix réduits. On a finalement créé des périodes de fonctionnement déficitaire",
indique un responsable de la Fédération autonome générale de l'industrie hôtelière
touristique.
Travailler comme des fous
En réalité, pour qu'une exploitation saisonnière tire valablement son épingle du jeu
(les chiffres d'affaires étant assez peu élevés : 1,7 million chez Jean-Pierre Jorcin,
3,2 millions chez Claude Daumas...), il faut tout mettre en branle pour valoriser les
quatre mois de saison possible soit l'été, soit l'hiver. "Durant la haute
saison, on travaille comme des fous car nous savons tous que c'est à cette occasion que
nous réalisons l'essentiel de notre chiffre d'affaires (5 millions de francs à l'année)",
avoue Claude Chardonnet. "L'ouverture saisonnière totale dans l'année est, en
fait, de l'ordre de 6 mois", affirment les organisations syndicales hôtelières.
Pour assurer la pérennité des entreprises saisonnières de montagne, plusieurs solutions
évidentes sautent donc aux yeux. A commencer par une fiscalité adaptée à la
saisonnalité. "Malgré certains dégrèvements obtenus par nos syndicats
professionnels, il n'y a pas, aujourd'hui encore, de véritable statut de saisonnier en
France", avance Jean-Pierre Jorcin. "En refusant de réduire les charges
sociales des entreprises, les gouvernements successifs ont tout simplement nié les
évidences et précipité les PME dans de profonds abîmes", lance Jacques Jond.
Et de surenchérir : "Que l'Etat ne vienne pas se plaindre. Il récolte ce qu'il a
semé ! A l'évidence, la fiscalité doit être en effet proportionnelle à la durée
d'ouverture. Tout comme la durée des prêts et leurs taux. Les politiques l'ont compris
en Autriche, en Italie ou bien encore en Suisse. Ce n'est pas le cas chez nous."
Démotivation
Des doléances que les professionnels de l'hôtellerie de montagne jugent tous
indispensables à leur survie pour leur secteur. D'autant que la loi Aubry sur la
réduction du temps de travail (RTT) n'arrange guère leurs affaires. "Ces
dispositions vont être fatales à notre branche d'activité. Elles démotivent autant les
travailleurs saisonniers que les patrons, qui, eux, cherchent désormais à garantir leur
patrimoine plutôt qu'à pérenniser leur entreprise", annonce Claude Daumas, qui
avoue lui-même songer à transformer son établissement en appartements.
Confrontée à d'énormes problèmes de recrutement, l'hôtellerie de montagne va de fait
rencontrer davantage de difficultés pour constituer ses équipes de saisonniers. D'abord
parce qu'en appliquant la RTT, elle va devoir embaucher et donc augmenter son parc de
logement pour le personnel. "Or, quand on connaît les prix des studios en
montagne, aux environs de 4 000 francs par mois à Méribel, je vois assez mal comment
nous allons pouvoir nous en tirer", argumente Claude Chardonnet. "Sans
compter qu'en limitant leur temps de travail, les saisonniers n'auront plus les moyens de
se constituer de vérita-
bles petits pécules", ajoute Claude Daumas.
A ce rythme-là, les hôtels de montagne, élément de richesse incontestable du maillage
national, ne seront plus guère nombreux dans les années à venir. Il n'empêche que les
professionnels poursuivent leurs efforts de promotion à travers notamment l'association
PAM. Pour la première fois en l'an 2000, une campagne d'été a d'ailleurs vu le jour
pour mieux promouvoir les sommets de juin à septembre. Passionnés par leur métier, les
hôteliers ne veulent pas effectivement avoir à entendre prochainement : "Pourtant
que la montagne était belle..."
Jacques Jond,
président de la Fagiht :
"La montagne n'a pas pu gagner sa place dans
le pays parce que 80 % des électeurs français ne vivent pas dans les
sommets."
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Hôtellerie en Rhône-Alpes | ||||||
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(saison hiver 98/99) | ||||||
Départements | Taux | Nuitées | Durée de séjours | |||
d'occupation | totales | en jours | ||||
Ain | 40,1 % | 282000 | 1,6 | |||
Ardèche | 29,9 % | 97000 | 1,5 | |||
Drôme | 42,6 % | 293000 | 1,4 | |||
Isère | 49,8 % | 946000 | 2,3 | |||
Loire | 44,2 % | 181000 | 1,5 | |||
Rhône | 53,9 % | 1157000 | 1,6 | |||
Savoie | 61,0 % | 2256000 | 3,4 | |||
Haute-Savoie | 54,4 % | 2001000 | 3,0 | |||
Rhône-Alpes | 52,5 % | 7214000 | 2,4 | |||
* Source : Insee/Ministère du Tourisme |
Claude Chardonnet et son épouse avouent avoir de la chance d'être installés
dans une station à forte réputation (Méribel, L'Orée du Bois).
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Situation en montagne | ||||||||||||||
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Lits de la zone montagne | Alpes du Nord | Alpes du Sud | Pyrénées | Jura | Massif central | Vosges | Total | |||||||
Résidences secondaires | 799 540 | 594 997 | 347 683 | 107 711 | 1 026 086 | 99 683 | 2 973 700 | |||||||
Logements locatifs | 392 022 | 139 392 | 130 297 | 21 633 | 82 297 | 12 566 | 778 207 | |||||||
Hôtels | 85 960 | 38 874 | 52 658 | 10 478 | 62 298 | 15 676 | 265 944 | |||||||
Hébergements collectifs | 109 978 | 47 525 | 51 968 | 15 783 | 64 369 | 14 710 | 304 333 | |||||||
Divers | 127 684 | 151 903 | 128 988 | 22 812 | 231 611 | 36 745 | 699 743 | |||||||
Total lits marchands | 715 644 | 377 694 | 363 911 | 70 706 | 440 575 | 79 697 | 2 048 227 |
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L'HÔTELLERIE n° 2673 Magazine 6 juillet 2000