Avec ses soufflés chauds, ses sauces sucrées et salées, ses mélanges de saveurs, le beau Michel a séduit tous les Anglais. Son river cottage, le Waterside, à Bray-on-Thames, affiche complet.
Claire Cosson
Michel Roux ne s'endort jamais sur ses lauriers : il remet sans cesse en cause sa
manière de travailler.
Les boucles de la Tamise sont
gaies et le temps divinement beau dans la "countryside" du comté de Windsor ce
jeudi 24 août. Les canards qui barbotent autour du bateau à moteur du Waterside en sont
à première vue ravis. Tout comme ces touristes japonais, ces couples d'amoureux et
autres businessmen, confortablement installés sur les rives du fleuve britannique. A
croire même que tous les "yuppies" ont aujourd'hui volontairement déserté la
"city" pour venir passer un moment de détente dans ce charmant "river
cottage". "Waterside, c'est merveilleux ! Mais, si le soleil est au
rendez-vous, cela devient exceptionnel", confie d'ailleurs un jeune cadre à sa
voisine de table.
Il pourrait cependant pleuvoir des cordes (en anglais, traduisez it's raining cats and
dogs), jamais personne, de l'autre côté de la Manche, ne déclinerait une invitation
au Waterside. Plutôt mourir ! Les Anglais sont trop accrocs à cet endroit magique. Et en
particulier à son propriétaire : Michel Roux. Toison blanche, large sourire et regard
enveloppant, il est de fait difficile de résister à ce French Cook qui arbore non
seulement avec talent ses 3 étoiles au Guide Rouge, mais ne rate pas une occasion
d'affirmer en plaisantant, l'il bleu coquin, que "ses soufflés sont
meilleurs que des orgasmes !".
A la vérité, son fameux Soufflé chaud aux framboises procure en effet bien du plaisir.
Elisabeth II en est d'ailleurs l'une des plus ferventes "groupies". Son titre de
Meilleur ouvrier de France en pâtisserie en 1976 ne compte donc pas pour des prunes au
royaume du cheese-cake et du plum pudding. Au contraire.
L'âge de pierre
En fait, ce fils de charcutier bourguignon, né à Charolles (Saône-et-Loire), et son
frère Albert, font à l'heure actuelle figure de légende chez nos cousins
grands-bretons. La très vénérable maison d'édition, Constable Robinson, vient
d'ailleurs de publier les mémoires du beau Michel, dans un ouvrage intitulé Life is a
Menu. C'est dire le degré d'admiration de nos voisins anglo-saxons à l'égard des
Roux Brothers. Pourquoi donc autant "d'amour" de la part d'un ennemi
héréditaire ?
Parce que ces deux Français ont véritablement enseigné au peuple anglais l'art de
cuire, de rôtir, d'oser marier les saveurs... De cuisiner, en somme. "L'Angleterre
d'après-guerre, c'était l'âge de pierre au niveau de la gastronomie", raconte
volontiers Michel. Plus de 1 000 jeunes cuisiniers ont du reste été formés dans leur
cuisine. Et parmi eux figurent aujourd'hui de grandes pointures de la gastronomie
britannique. Un succès semblable ne tient évidemment pas au hasard. Qu'il s'agisse de
l'aîné, Albert, ou de Michel, les Roux Brothers ont sué sang et eau pour parvenir à
cet état de grâce. Il suffit de jeter un il sur leur background. Formé à
l'école "de la rigueur et de la mesure", Michel revêt pour sa part
l'habit de pâtissier dès l'âge de 14 ans (apprentissage à la pâtisserie Loyal, à
Paris). Une étape qui lui apprend à "aimer les choses délicates", mais
le mène également à l'ambassade de Grande-Bretagne à Paris en 1959.
Anniversaire de la reine
De là à franchir le Channel, il faut attendre encore quelques années, au cours
desquelles le pâtissier devient chef chez Cécile de Rothschild, passant au préalable au
Mess des officiers de Versailles, à Colomb Bechar (Sahara), chez les Bismark et
Schneider. A l'époque, Michel Roux fréquente déjà rien que du beau linge. Ce qui ne le
change guère aujourd'hui. Le couple royal en villégiature au château de Windsor fait en
effet assez souvent étape au Waterside. Reste que Michel, chargé du déjeuner
d'anniversaire des 70 ans de la reine, aurait pu ne jamais connaître ces moments
historiques. "Si mon frère n'avait pas été en Angleterre, je n'y serais
peut-être jamais allé", avoue le chef. Dans les années 60, le Royaume-Uni ne
brillait guère sur le plan culinaire. Albert, chef à l'ambassade de France à Londres,
puis chez Lord Cazalet, semblait pourtant s'y plaire. "D'autant que les facilités
d'emprunts y étaient exceptionnelles", se souvient le patron du Waterside.
En clair, il y avait de l'avenir pour les petits gars qui en voulaient et défendaient la
bonne cuisine française. Résultat : Michel se lance dans l'aventure et rejoint son
frère outre-Manche. Les Roux Brothers se mettent alors en marche. A croire qu'ils ont un
tigre dans leur moteur. En avril 1967, ils ouvrent ainsi Le Gavroche à Londres. "C'est
un restaurant qui affiche complet dès son ouverture", souligne Michel. Viennent
ensuite Le Poulbot, Le Gamin, Le Gavvers...
En balade dans la campagne anglaise, les frères s'entichent également d'un pub de
pêcheur dans le village de Bray. L'endroit est délicieux et plutôt bien situé. Ils y
créent le Waterside Inn en 1972. Une maison qui, avec le temps, devient le fief de
Michel. Le chef s'y sent bien et va jusqu'à y établir domicile. "Ça fait un peu
dînette ces plants de sauge, roquette, laurier et autre thym. Mais ces herbes nous
rendent bien service les week-ends", commente l'intéressé, en coupant quelques
branches de cerfeuil. En réalité, à Bray-on-Thames, Michel Roux affirme sa
personnalité. Tant dans la décoration du restaurant, raffinée à souhait, que derrière
ses fourneaux. Celui qu'on appelle le maître des saveurs, confectionne ainsi des
veloutés inoubliables, des ufs pochés en feuilleté aux pointes d'asperge divins
et autres spécialités renommées. Mieux, il mijote aussi d'innombrables sauces, toutes
plus étonnantes les unes que les autres. Le tout Londres se bat très vite pour s'asseoir
à sa table. Et le guide Michelin, qui l'apprécie à sa juste valeur, lui décerne
sa 3e étoile, voilà 15 ans.
"Un magnifique cadeau, mais qui vous est prêté !", commente le chef du
Waterside. Pas question en effet pour lui de s'endormir sur ses lauriers. Le French Cook
remet sans cesse en cause sa manière de travailler. D'où une carte alliant préparations
assez classiques, comme le Caneton challandais rôti au parfum de citron et de thym, ou
inédites tel le Gâteau de crabe et de langoustines accompagné de sa quenelle de caviar
sur lit de concombre.
Conseiller technique pour British Airways et les paquebots Celebrety Cruises, il quitte
même de temps à autre sa maison à laquelle il a adjoint six chambres, "histoire
de laisser mes équipes souffler", précise-t-il. L'occasion aussi d'aller voir
ailleurs pour trouver de nouvelles inspirations. Devenus de réels gourmets, les Anglais
deviennent exigeants. La rançon de la gloire... zzz18p zzz22i zzz99
Waterside Inn
Ferry Road
Bray-on-Thames - Grande-Bretagne
Tél. : 00 44 06 28 20 691
Ingrédientss (pour une
portion)
70 g de lotte
3 x 20 g de ris de veau blanchi
3 à 5 pièces de langoustines crues
4 x 1/2 artichauts poivrade
3 cuillères à soupe d'huile de langoustine
1 cuillère à soupe de vinaigre de cabernet sauvignon
50 g de roquette
3 cuillères à soupe de sauce américaine
Sel, poivre
Préparation
- Faire sauter la lotte, le ris de veau, les langoustines et les artichauts
dans la même poêle avec un peu d'huile de langoustine. Assaisonner et réserver.
- Dégraisser la poêle, puis ajouter la roquette. La faire revenir rapidement.
Assaisonner et placer sur l'assiette.
- Au centre, placer le ris de veau, la lotte au-dessus, puis les langoustines et
artichauts autour.
- Mélanger l'huile de langoustine et le vinaigre de cabernet sauvignon.
Assaisonner et verser sur la garniture.
- Déposer la sauce américaine sur les langoustines.
- Décorer avec quelques feuilles de cerfeuil et servir aussitôt.
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L'HÔTELLERIE n° 2672 Hebdo 29 Juin 2000