A la tête de la chaîne Inter Hôtel, il a poussé son développement et initié
une logique commerciale. Le tout en sachant préserver l'état d'esprit du mouvement et sa
convivialité. Une quasi-révolution culturelle menée par un homme de terrain.
Claire Cosson
Il a une silhouette
'herculéenne', un sourire permanent, et une façon de répondre à vos questions qui
suggère l'envie d'aller toujours plus vite et plus loin. En ce jeudi matin de septembre,
installé dans la salle de réunion du siège parisien d'Inter Hôtel, le président du
directoire de la chaîne volontaire ressemble d'ailleurs comme deux gouttes d'eau à un
lion (qu'il est) tournant dans sa cage. "Avec Jean Lavergne, mieux vaut en effet
ne pas rester les deux pieds dans le même sabot. Pas question de perdre son temps lorsque
l'on évolue à ses côtés. Il faut que ça bouge !", plaisante gentiment
Jean-Pierre Mansoux, directeur général du réseau d'hôteliers indépendants.
Les deux hommes, qui travaillent main dans la main depuis bientôt quatre ans, ont de fait
un sacré programme en perspective. D'ici à quelques minutes, ils s'apprêtent à
recevoir un professionnel pour lui signifier son exclusion. "Une opération
toujours délicate, mais indispensable pour l'image du réseau", confesse Jean
Lavergne, dont le léger accent trahit des racines auvergnates.
Aussitôt la nouvelle annoncée, ils partiront boucler un tour de France de leurs
adhérents, en moins d'un mois et demi.
Et quand on sait qu'Inter Hôtel totalise à ce jour 225 établissements, cela signifie
plusieurs régions à visiter et pas mal de kilomètres au compteur. Qu'à cela ne tienne.
A 53 ans, Jean Lavergne a "un tigre dans son moteur". "Celui du
désir d'entreprendre et de bâtir", avoue discrètement son épouse, Bernadette.
En l'occurrence, l'homme qui s'est vu confier les commandes opérationnelles de la chaîne
volontaire française en février 1997 a, sans en avoir l'air, d'ores et déjà beaucoup
entrepris.
Ce n'est du reste pas le fruit du hasard si la centrale de réservations d'Inter Hôtel
réalisera un chiffre d'affaires de l'ordre de 41,5 millions de francs en 2000 contre 16
millions de francs en 1996. Pas plus que la croissance musclée du réseau qui, grâce à
différentes opérations telles que la reprise d'une partie des membres d'Hélan
Réservation ou bien encore l'affiliation des Etapes Touristiques Corses, a bondi de 174
unités à plus de 220 unités aujourd'hui.
"Jean Lavergne est un personnage étonnant. Il est toujours prêt à vous
écouter, mais il sait en fait parfaitement où il veut aller", confesse un
fournisseur d'Inter Hôtel. Quitte parfois à paraître naïf, ce quinquagénaire
généreux s'arrange en effet mieux avec la vérité et annonce d'emblée la couleur. Tout
simplement parce qu'il est doté d'un sens aigu de la réalité et d'une grande lucidité,
liés probablement à ses expériences personnelles. Grâce à ces traits de caractère,
il est parvenu à convaincre les membres du conseil de surveillance d'Inter Hôtel
d'accepter différentes décisions stratégiques au cours de ces dernières années.
A commencer par son intervention pour affilier la chaîne à l'association d'hôteliers
indépendants européens, Minotel. "C'était un moyen d'acquérir une dimension
européenne, tout en nous ouvrant sur des marchés étrangers que, seuls, nous n'avions
pas la possibilité de toucher", souligne l'actuel président. L'année
dernière, les réservations engendrées par Minotel représentaient ainsi quelque 3,2
millions de francs.
Il a visé juste également en favorisant la création d'une centrale de référencement
qui affichait un chiffre d'affaires de 40 millions de francs en 1999. La fiabilité a
été aussi 'la révolution culturelle' dans laquelle il s'est engagé en décidant, d'une
part, de changer le logo du groupement : "L'image et la notoriété de l'enseigne
ont depuis évolué positivement auprès des consommateurs", souligne Jean-Pierre
Mansoux. Et en emmenant d'autre part ses troupes en séminaire, hors de l'enceinte
parisienne, afin de mieux analyser l'avenir de la chaîne et donc d'agir en conséquence.
Au final, la méthode Jean Lavergne consiste d'abord en une mise à plat, puis, en une
action ciblée et collégiale. "L'attitude d'un véritable patron ou plus
simplement d'un chef d'entreprise qui ne faillit jamais à son devoir, ni à son rang",
note un inconditionnel qui souhaite garder l'anonymat. Ce chef d'entreprise-là s'est
fabriqué, non sans mésaventures, au fin fond du Cantal, dans un village baptisé
Ladinhac. Jean Lavergne est le fils d'un charron, artiste à ses moments perdus. Issu
d'une famille modeste, il garde des souvenirs agréables de sa jeunesse.
"On a vécu heureux en pleine campagne. On a aussi appris la valeur des choses",
note l'intéressé. Un CAP tourneur en poche, il travaille comme rectifieur chez Citroën,
quai de Javel, où il acquiert un sens de la précision inouï. Pourtant, il préférera
les métiers de l'hôtellerie et de la restauration.
Dès l'âge de 12 ans, le petit Auvergnat passe d'ailleurs très régulièrement ses
vacances d'été au comptoir du bar parisien, Aux trois marches, que tenaient autrefois
son oncle et sa tante. "J'adorais cette époque ! Servir les clients, leur
conseiller un vin...", se souvient Jean avec un plaisir non dissimulé. La
profession de charron étant amenée à disparaître avec les progrès techniques, le
président du directoire d'Inter Hôtel endossera donc l'habit de garçon de café sans
l'ombre d'une difficulté. A Paris d'abord, puis à Aurillac par la suite.
"Le bar est un lieu extrêmement instructif tant sur le plan psychologique que sur
celui de la gestion", commente notre Auvergnat. Et d'ajouter : "Les
conditions de travail n'y sont certes pas toujours faciles, mais rencontrer les gens de la
rue apporte quelque chose d'irremplaçable." A 30 ans, Jean éprouve néanmoins
le besoin de s'installer à son compte. Refusant la caution de ses parents, lui et son
épouse s'endettent et rachètent un premier bar, en plein centre-ville d'Aurillac en
1977, pour un montant d'environ 400 000 francs auxquels s'ajoutent des travaux
d'aménagement.
Baptisé Le Gaulois, l'établissement devient très vite une adresse appréciée des
habitants puisqu'ouverte de 7 heures à 1 heure du matin. Résultat : le chiffre
d'affaires double dès la première année d'exploitation. Et le rythme ira croissant au
cours des exercices suivants. Reste qu'à force de travail et l'arrivée de deux petits
garçons (Laurent et Jérôme) entre-temps, une certaine lassitude s'installe chez les
Lavergne. Quelques jours de vacances seraient en effet les bienvenus pour remonter le
moral des troupes. Un couple de gérants vient donc leur prêter main-forte durant quelque
temps. De quoi souffler un moment. D'autant que le jeune père de famille s'implique aussi
à fond au niveau local, animant l'Amicale du personnel hôtelier du Cantal. Et puis,
quelques années plus tard, la famille Lavergne va s'engager dans de lourds travaux de
rénovation, en 1983, du restaurant Le Gaulois, du sol au plafond. Un élément nouveau
intervient en outre assez subitement dans leur vie. En 1986, sur le même trottoir où est
situé leur premier commerce, le Grand Hôtel Saint-Pierre connaît d'importants
problèmes financiers.
"Nous ne connaissions pas grand-chose à l'hôtellerie et la restauration, mais
nous étions tentés par le fait de construire quelque chose de nouveau",
confesse Jean Lavergne. Une aventure dans laquelle ils vont finalement se lancer, non sans
difficulté. A commencer "par une première vacherie du Crédit Hôtelier de
l'époque" qui, après avoir incité les époux Lavergne à signer d'abord un
compromis, refuse le financement de l'opération. Le prêteur Sodeco accepte, lui, de
jouer le jeu. Jean et Bernadette empruntent donc quelque 3 millions de francs (1,5 MF pour
le fonds de commerce et 1,5 MF pour les travaux) à un taux de 13 %. Ils embauchent du
personnel afin de remonter l'affaire, et découvrent assez vite les joies, mais aussi les
soucis d'un hôtelier.
Une période délicate débute en effet alors et durera plusieurs années pendant
lesquelles les ragots vont aller bon train. "Lavergne a eu les yeux plus gros que
le ventre...", chuchote-t-on volontiers à Aurillac... mais le fils du charron
n'est pas un lion pour rien. Quoi qu'il advienne, notre homme remboursera coûte que
coûte sa dette. "Il fallait se battre, mais se battre pour triompher",
témoigne l'intéressé.
Ce qu'il fit avec un certain succès, puisqu'en 1990 l'hôtel en question est bien
redressé. A tel point d'ailleurs que Jean Lavergne crée un restaurant, Le Pommier
d'amour, et informatise l'ensemble de l'exploitation. Hôtelier, cafetier, restaurateur,
il a désormais tout fait. Hélas, trois fois hélas... le nouveau système informatique
lui joue un mauvais tour. "Nous avons perdu toute notre comptabilité. Une
véritable catastrophe dont je ne savais pas si j'allais cette fois-ci me relever",
reconnaît le président d'Inter Hôtel. L'échec est toutefois insupportable pour un lion
qui se respecte. De là à dire que Jean Lavergne devient à ce moment-là un combattant,
il n'y a qu'un pas ! Que notre protagoniste franchira avec mesure et intelligence. Pas
question pour lui d'abandonner la partie. Il préfère effectivement en appeler aux
experts. Autrement dit, alors "qu'il n'a plus un rond
en poche", il choisit de financer un audit de 70 000 francs auprès d'Hôtel
Actions. "Un conseil peut toujours être utile ! Après tout, on n'a pas la
science infuse", admet Jean Lavergne. Un choix qui se révélera bénéfique, le
Grand Hôtel Saint-Pierre se remettant rapidement sur pied. D'ailleurs, cinq ans plus
tard, les 35 chambres (29 au début) sont rénovées. L'hôtel arbore 3 étoiles contre 2
à l'origine. Le taux d'occupation oscille aujourd'hui aux environs de 56 % à l'année.
Et de nouveaux projets sont en cours de réalisation : une piscine et un bar d'affaires.
Mais, mieux encore ! Les Lavergne reprennent un nouvel hôtel 2 étoiles (20 chambres avec
piscine), Les Provinciales, dont ils viennent de racheter les murs voilà quatre mois à
peine (1,1 million de francs). "Nous y envoyons le trop-plein du Saint-Pierre",
raconte le nouveau propriétaire. "L'affaire est actuellement à l'équilibre et
devrait devenir profitable d'ici deux ans", détaille l'intéressé.
Au bout du compte, Ac'Hotel d'Auvergne, SARL qui comprend les deux unités hôtelières
(le bar ayant été mis en gérance libre ainsi que le restaurant), dont la gérance est
désormais assurée par Jérôme Lavergne, affiche un chiffre d'affaires de 4,374 millions
de francs en 1999. Pas si mal pour une petite entreprise de province qui a dernièrement
signé un accord de réduction du temps de travail.
D'autant que, parallèlement à sa vie professionnelle, Jean Lavergne bénéficie d'une
vie sociale bien remplie. A la suite de différents événements, il a ainsi accepté de
prendre la présidence du conseil d'administration d'Euro Marquises Conception. Une
société dont l'objectif est de construire toutes sortes de bâtiments métalliques en
série, comme le concept hôtelier P'tit Déj Hôtel, dont le maître d'ouvrage et
d'uvre n'est autre que le fils aîné des Lavergne, Laurent.
Après le conseil de prud'hommes du Cantal, notre homme assure aussi la présidence de
l'office de tourisme d'Aurillac. Office qui, non seulement est certifié Afnor, mais qui a
accueilli 92 000 visiteurs en 1999. Preuve que l'on ne fait pas appel en vain à notre
Auvergnat. Surtout lorsqu'il croit pleinement en ce qu'il défend. A ce propos, Jean
Lavergne sert indubitablement son 'pays' avec le cur. Tout comme il se consacre à
la chaîne Inter Hôtel dont il a rejoint les rangs dès son entrée dans le secteur
hôtelier.
Ayant peut-être le sentiment que la collectivité a besoin de lui, ce président-là
entend mener le réseau d'indépendants à sa manière. A savoir qu'en lui-même, il s'est
fixé une barre à franchir et ira jusqu'au bout de ses ambitions. Pour l'instant,
l'essentiel du réseau a été 'nettoyé'. Il s'agit dorénavant de responsabiliser les
cadres de l'entreprise afin de préparer l'arrivée du successeur de Jean-Pierre Mansoux,
prévue fin 2001. Sans oublier la mise en place d'un nouvel outil de réservations, et
l'obligation pour les adhérents de suivre une formation de deux jours. Avec 80 %
d'appréciations positives (sur 5 000 fiches) adressées à la chaîne, il ne s'agirait
pas que ce pourcentage régresse d'un iota.
y pas
Listrte !"
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|
|
Liste des derniers adhérents Inter Hôtel
Villes |
Nom de l'établissement |
Catégorie |
Nombre de chambres |
Amiens |
Le Carlton |
3 * |
24 |
La Pommeraye |
Blue Garden Hôtel |
2 * |
51 |
Azay-le-Rideau |
Hôtel des Châteaux |
2 * |
27 |
Cambrai |
Tabl'Hôtel |
2 * |
42 |
Colmar |
Hôtel Saint-Martin |
3 * |
24 |
Paris |
Hôtel Saint-Georges |
3 * |
43 |
Saint-Lô |
Hôtel des Voyageurs |
2 * |
31 |
Jean Lavergne souhaite maintenant créer un véritable bar d'affaires dans son premier
établissement. Un retour à ses amours de jeunesse.
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L'HÔTELLERIE n° 2690 Magazine 02 Novembre 2000
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