La truffe, qui occupait au siècle dernier une place de choix à la table des gourmets, est aujourd'hui rare et chère. Cependant, trufficulteurs et scientifiques se mobilisent depuis une trentaine d'années pour que ce diamant noir puisse être acheté et dégusté dans les meilleures conditions par un plus grand nombre d'amateurs.
A la fin du XIXe siècle, la France produisait plus de 1 200 tonnes de truffes par an. Cette truffe pèse 900 g.
A la fin du XIXe siècle en France, les agriculteurs récoltaient plus de 1 200 tonnes de truffes par an. Ce champignon, prisé par les gourmets depuis des siècles, représentait alors pour eux un complément de revenus important. En effet, à partir de 1863, à cause du phylloxéra, les vignobles dévastés ont été remplacés par des chênes, propices au développement de ce champignon. En 1914, la production est tombée à 985 tonnes et en 1940 à 435 tonnes seulement. De nos jours, on n'en produit plus que 50 tonnes. Cette chute de la production a deux causes principales : d'une part, l'abandon des truffières et la perte du savoir-faire suite aux deux guerres mondiales et, d'autre part, l'industrialisation de l'agriculture dès les années 50 afin de rendre l'Europe autosuffisante sur le plan alimentaire. "A partir de cette date, explique Michel Courvoisier, directeur de la Fédération nationale des trufficulteurs, le but fut de produire vite, au meilleur rendement, et avec un retour sur investissements rapide. Les agriculteurs ont préféré se tourner vers la production de céréales, dont la récolte est vendue dans l'année, ou la culture de la vigne qui donne des revenus plus stables. Ils ont délaissé la truffe dont la production est trop aléatoire car dépendante des conditions climatiques."
Le sursaut en trufficulture a eu lieu en 1960. La France ne produisait plus que 260
tonnes de truffes. De nombreux agriculteurs, trufficulteurs, et conserveurs se sont alors
rendu compte que la truffe ne fournissait plus les revenus d'antan sur l'exploitation
agricole. A partir de cette date, la profession agricole s'est organisée en créant des
syndicats et la Fédération nationale des producteurs de truffes en 1965. C'est grâce
aux recherches scientifiques que la production de truffes en France connaît un véritable
regain. Les chercheurs de l'Inra*, dans les années 70, ont proposé aux agriculteurs de
reconstituer des truffières à l'aide de plants mycorhizés. Les plants mycorhizés sont
de très jeunes chênes, noisetiers ou d'autres espèces d'arbres inoculés avec la
mycorhize de truffe. "Avec ces plants, poursuit Michel Courvoisier, on est
plus sûr d'obtenir des truffes qu'avec de jeunes arbres non ensemencés, et la première
récolte significative peut avoir lieu au bout de 10 ans au lieu de 15 ans. C'est ainsi
que des agriculteurs français, vers l'âge de 45 ans, afin de s'assurer une retraite plus
confortable, se sont lancés dans l'aventure en plantant quelques hectares de chênes ou
noisetiers mycorhizés. Quand ils céderont leur exploitation à leurs enfants, ils se
réserveront ces quelques hectares de truffières plantées." Les agriculteurs ne
sont plus les seuls aujourd'hui à s'intéresser à la production de truffes. Des
restaurateurs ou des professions libérales, qui disposent de terre et/ou de capitaux, ont
suivi ou suivent leur exemple. Ces plants mycorhizés sont introduits à un rythme de 700
à 800 hectares par an depuis 15 ans. En plus de leur truffière plantée, la plupart des
agriculteurs louent des hectares de truffières naturelles qu'ils entretiennent et
exploitent. "Aujourd'hui, commente Michel Courvoisier, seules 100 à 200
familles en France vivent essentiellement de la truffe. Pour 20 000 autres trufficulteurs,
cela représente un complément de revenus." Tous ces trufficulteurs, dans le
cadre de la Fédération nationale des producteurs de truffes, ont engagé depuis une
vingtaine d'années des programmes de développement orientés sur l'augmentation des
surfaces plantées, les travaux de recherches appliquées avec l'Inra, le CTIFL*,
l'Oniflhor* et la formation des trufficulteurs.
*Inra : Institut national de la recherche agronomique
*CTIFL : Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes
*Oniflhor : Office national interprofessionnel des fruits, légumes et horticulture
Par ailleurs, en 1993, les trufficulteurs, et notamment ceux de l'Est de la France qui
veulent relancer la Truffe de Bourgogne tombée totalement dans l'oubli, se sont
préoccupés de la commercialisation de leur récolte, notamment auprès des particuliers.
"Il ne s'agit pas de produire et de ramasser les truffes, explique François
Beaucamp, président de l'ITCE (Fédération interrégionale des trufficulteurs du Centre
et de l'Est), il s'agit aussi de les vendre. Il nous faut donc répondre totalement aux
attentes de nos clients consommateurs, restaurateurs et traiteurs qui sont parfois bien
déçus par la qualité des truffes fraîches ou en conserve qu'ils achètent."
Afin de clarifier le marché de la truffe fraîche, la Confédération nationale des
trufficulteurs a, dans un premier temps, établi une nouvelle norme 'truffes fraîches'.
Cet accord interprofessionnel du 8 octobre 1996, renouvelé en décembre 1999, définit
les espèces commercialisables, les critères de qualité et de classification, les
dispositions générales de calibrage, la présentation, le conditionnement, l'étiquetage
et les dates de commer-
cialisation. Il précise que les truffes fraîches doivent être proposées brossées ou
lavées, sans traces de terre, les lots doivent être de même origine, espèce et
qualité et état de maturité, et doivent porter un étiquetage précis. La fixation de
dates de commercialisation a pour objectif de limiter la vente de truffes immatures, sans
aucun intérêt organoleptique. La fédération travaille avec le GET (Groupement
européen Tuber), afin de faire adopter cette norme par les autres pays européens
producteurs de truffes, l'Espagne et l'Italie notamment. Ces dispositions sont
actuellement appliquées en France sur les marchés de détail du Centre et de l'Est et
sur les marchés de détail de Carpentras, Lalbenque, Aups. Les autres marchés y
viennent. Un délai d'application de cinq ans avait été prévu pour les marchés de
gros. "Auparavant, explique Jean-Jacques Roux, technicien truffes en PACA, la
vente au détail était marginale sur les marchés aux truffes. Aujourd'hui, elle prend de
l'importance. Les consommateurs se rapprochent de plus en plus des trufficulteurs pour
acheter les truffes, car ils sont à la recherche de l'authenticité, et parce qu'ils
veulent se procurer des truffes les plus fraîches possible.
Le marché de détail d'Aups, proche de la Côte d'Azur, a de plus en plus de succès. Il
reçoit une clientèle aisée qui fait l'aller-retour dans la journée pour acheter
quelques truffes et déjeuner dans un restaurant. Ces clients sont d'ailleurs ravis et
rassurés de rencontrer les chefs cuisiniers des restaurants qu'ils fréquentent, venir
eux-mêmes acheter leurs truffes sur ce marché."
"Les trufficulteurs, poursuit Jean-Jacques Roux, ont tout intérêt à 'bichonner' cette clientèle de particuliers et de restaurateurs, car ils peuvent vendre leur marchandise 300 à 400 F de plus au kilo par rapport au cours du gros. Pour cela, il faut tirer la qualité vers le haut : vendre des truffes brossées (3 à 4 % de terre seulement au lieu de 12 à 15 % pour les non brossées), les trier pour éliminer les défectueuses, les classer par espèces... Le marché d'Aups fait tout ceci depuis l'année dernière. Les marchands affichent aussi leur nom et leurs coordonnées. C'est une bonne façon de s'engager sur la qualité des truffes qu'ils proposent. Ils acceptent aussi que les clients 'canifent' les truffes avant d'acheter." Sur le terrain, il apparaît néanmoins que le brossage et le tri des truffes sont difficiles à réaliser, car beaucoup de trufficulteurs n'ont parfois que quelques centaines de grammes à vendre. Il leur faudrait produire 4 à 5 kg de truffes par semaine afin de faire deux lots : l'un pour la vente au détail parfaitement trié et calibré, et l'autre pour la vente en gros auprès des conserveurs qui peuvent valoriser aussi bien les truffes entières que les truffes en morceaux (conserves de morceaux, brisures). Les quelques rares gros trufficulteurs préfèrent confier leurs truffes à des courtiers. "Aux trufficulteurs de récolter les truffes et aux conserveurs de les brosser, laver, trier et calibrer. A chacun son métier." Par ailleurs, beaucoup estiment que les truffes en terre se conservent mieux dans cet habillage naturel qui constitue un véritable tampon hydrique. "On ne peut pas continuer à vendre 15 à 20 % de terre aux clients, estime Jean-Jacques Roux. Je suis contre le lavage qui nuit à la qualité des truffes, mais j'estime que le brossage est indispensable pour permettre aux clients d'acheter dans de bonnes conditions." Cependant, d'après d'autres spécialistes, une truffe lavée conserve quand même toutes ses qualités organoleptiques pendant une bonne huitaine de jours. La nouvelle norme 'truffes fraîches' et les réflexions qui en découlent vont permettre d'affiner la réglementation sur les truffes en conserve qui devrait sortir prochainement. Affaire à suivre.
Grâce aux plants mycorhizés, mis au point par l'Inra, 700 à 800 hectares de truffières sont plantés chaque année.
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Les particuliers, à la recherche d'authenticité et de produits très frais, sont
de plus en plus nombreux à se rendre sur les marchés aux truffes (marché de Lalbenque).
Les truffes en France ou ailleurs* Quand on parle truffe, on pense tout de suite à la Truffe du Périgord, la Tuber
melanosporum.
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L'HÔTELLERIE n° 2695 Magazine 07 Décembre 2000