Seul un homme d'exception pouvait réussir ce pari de produire à partir de rien, ou presque, un vin aujourd'hui commercialisé dans le monde entier. Un prince des coteaux du Languedoc,sûr de lui et dominateur. En France,
le millésime 99 se vendait 104,5 F la bouteille en primeur avant le 31 octobre (trop tard !) et se vendra le double au printemps prochain.
Alain de Sigoyer
Les roses d'octobre au lendemain des vendanges au domaine Daumas Gassac
.L'inventeur, le vigneron de génie de la fin des années 70, c'est Aimé Guibert de la Vaissière, "L'écolo illuminé" comme l'a gentiment qualifié un journaliste de la Revue du vin de France, est un ancien industriel tanneur de Millau. Il s'est lancé dans la vigne avec toute la fougue de son tempérament rebelle et a créé un vin rouge princier qui, malgré sa roturière appellation de vin de pays de l'Hérault, est devenu une star mondiale. Pas de miracle, pas de secret d'alchimiste dans cette réussite, au cur d'un terroir languedocien, seulement du labeur. Un patient travail de reconstruction, les conseils d'un grand maître, Emile Peynaud, pour la technique, et un art consommé de la communication qui lui a permis de profiter au maximum, en courant foires et salons, de la toute nouvelle mode des dégustations comparatives. Et de séduire la presse en se positionnant comme défenseur des valeurs du Languedoc.
Aimé Guibert de la Vaissière, le créateur du Daumas Gassac.
Le domaine Daumas Gassac est une vaste propriété de 70 hectares de garrigues, dont la
moitié a été plantée de 35 parcelles de vignes au sud de la commune d'Aniane, à
mi-chemin de Montpellier et de Pézenas. C'est un terroir de "grèzes glaciaires
rouges" dans lequel les cépages puisent les éléments nécessaires à
l'élaboration d'un grand vin : des sols où les racines peuvent s'alimenter en
profondeur, sols bien drainés où les racines ne rencontrent jamais d'humidité, sols
pauvres qui exigent de la vigne plantée serrée (5/6 000 plants/hectare), cette
souffrance et cet effort indispensables à la création d'arômes rares. Un terroir qui
possède d'ailleurs des similitudes avec le Médoc et qu'a découvert un ami d'Aimé
Guibert, le géographe bordelais Henry Enjalbert.
Il y plante un cépage hors appellation dans ce pays de syrah et de grenache, le cabernet
sauvignon rouge. Qu'importe l'AOC ! Il sait qu'avec le climat dont bénéficie sa
propriété tous les espoirs lui sont permis. La garrigue et le massif forestier qui
bordent ses parcelles protègent les vignes. Pas besoin de chimie, juste une surveillance
rigoureuse et quotidienne de la plante. La fraîcheur que les Cévennes proches apportent
la nuit par le plateau du Larzac est une véritable chance. Elle compense l'excès de
chaleur des journées estivales dans la haute vallée du Gassac. Le secret de la finesse
et du fruité de ce vin hors du commun, c'est bien ce microclimat qui retarde la floraison
des vignes implantées sur les pentes Nord de près de trois semaines sur la moyenne du
Languedoc et qui, du coup, reporte les vendanges rouges au début d'octobre.
C'est en 1978 que naît un premier millésime de grande volée. La production n'est que de
17 860 bouteilles et seuls trois cavistes lui font confiance.
Cette première cuvée a donné un vin encore difficile et qui demande à vieillir. Un
vin de garde. Goûté en 1998, à l'occasion du vingtième anniversaire du vignoble, c'est
l'éblouissement : "Un vin fabuleux, rouge vif comme un vin nouveau sans aucun
signe de vieillissement, pas de couleur tuilée, pas de maturation en bouche, un signe de
l'exceptionnel, un vin vinifié par Emile Peynaud qui peut vieillir vingt-cinq ans de
plus."
Le critique anglais Hugh Johnson, l'auteur le plus lu en matière de vins dans ce siècle,
parle de "seul grand cru du Midi de la France et Robert Parker le qualifie
d'exceptionnel". Aujourd'hui la notoriété du Daumas Gassac est mondiale. Même
le blanc, qu'Aimé Guibert produit depuis 1988, se voit couvrir d'autant de louanges.
Sur les conseils d'Emile Peynaud, l'nologue bordelais de Château Margaux, Aimé
Guibert a planté, pour le rouge, du cabernet sauvignon (80 %), du cabernet franc du
Val-de-Loire, du carignan, du tannat du madiran, du merlot du pomerol, du malbec côte de
cahors, du syrah des côtes rôties, du pinot noir de Bourgogne, du niebolo du Piémont,
de la grenache du Languedoc, du tempranillo de Navarre et de l'areni d'Arménie. Pour le
vignoble qui produit le blanc, il a choisi trois cépages : à 30 %, le viognier du
condrieu, le petit manseng du jurançon et le chardonnay de Bourgogne, les deux premiers
étant greffés sur des porte-greffes adaptés au calcaire et qui donnent ici des senteurs
originales et des saveurs bien différentes de leur terroir d'origine. Les 10 % restants
proviennent de quatorze cépages rares et glorieux de Madère, du Portugal, du Yémen,
d'Arménie et de Suisse.
Les premiers plants sont issus de vieilles vignes du Médoc d'avant 1914.
"Des pieds de vignes mères non clonés, des plants améliorés au fil des
siècles par nos paysans français garantissant un maximum de typicité des vins obtenus.
Pas d'extravagances en viticulture", s'enflamme l'homme de tradition qu'est le
viticulteur aujourd'hui septuagénaire. "Le Daumas Gassac est un mélange de
cépages. Les vendanges sont manuelles, le pressoir est un Vasselin qui écrase les
raisins sans violence, sans le contrarier pour qu'il reflète bien le terroir et le
climat, la cuvation traditionnelle Médoc, la vinification Château Margaux, c'est-à-dire
que l'on goûte toutes les six heures, et le rendement limité à 30, au plus 40
hectolitres par hectare. Nos vins sont cultivés organiquement, traités sans molécules
de synthèse, avec des fumures de compost de fumier du Larzac et des brindilles. Nos vins
sont vinifiés par levures sauvages de la vallée du Gassac, élevés en barriques de
chêne merrain et mis en bouteilles au domaine de Daumas Gassac."
Vinification classique médocaine, trois semaines de fermentation, élevage bois, collage
léger à l'albumine d'uf pour retirer les impuretés, mais pas de filtration. Le
terroir Daumas Gassac est un terroir qui sature le vin rouge de beaux tannins nobles.
D'où cette longévité de 10 à 25 ans, voire davantage pour les plus grands millésimes
que sont 1980, 82, 85, 86, 88, 90, 94, 95 et 98. Pourtant, ce grand vin de garde se
révèle savoureux, fruité, charnu et agréable à boire dès la fin de son élevage et
il le reste la troisième et la quatrième année. Cependant, s'il est intéressant de le
goûter dans sa jeunesse, il est quand même conseillé de laisser quelques bouteilles en
longue garde et maturation. De l'avis des spécialistes, un 1982 dans sa 18e année
révèle un vin dense, étoffé, superbe. Un 1985 dans sa 13e année révèle un colosse
concentré, généreux. De très beaux arômes tertiaires apparaissent dès la 7e année ;
ils devraient connaître leur apogée autour de la 20e année. Paroles d'nologues.
Certains n'hésitent pas à affirmer que le blanc est plus grand que le rouge. Et pas plus
cher ! Sa vinification originale comprend une macération pelliculaire à 10° pendant
cinq à sept jours ; une fermentation sous inox à 20/25° pendant trois semaines ; une
macération en pièces bourguignonnes bois neuf pendant quatre à huit semaines ; une
filtration alluvionnaire sur terre fossile (que la commission européenne veut d'ailleurs
interdire, ce qui fait rugir Aimé Guibert) ; ensuite un retour dans l'inox ; enfin une
seconde filtration de sécurité sur plaque avant la mise en bouteilles.
"L'assemblage savant des trois cépages nobles, analyse le vigneron, donne naissance à un grand vin alliant pureté et fraîcheur. Il emplit la bouche de saveurs fruitées et persistantes soutenues par une texture onctueuse." A boire dans sa première année pour ses arômes de fruits ou dans la deuxième, le fruit s'étant effacé au profit des arômes secondaires de bouquets très fins. Belle maturité classique de cinq à quinze ans. La réussite est telle que trop souvent le millésime est épuisé avant même d'être mis en vente classique au printemps suivant. Le directeur commercial a même été obligé de racheter du 98 à un gros client anglais pour faire face aux besoins de la dégustation. Sa production actuelle est de 50 000 bouteilles en blanc et de 120 000 en rouge. Une petite moitié est commercialisée en France, l'autre dans le reste du monde, mais déjà en 2000, l'exportation prend 60 % de la production et ce n'est sans doute qu'un début. *
Mas de Daumas Gassac :
34150 Aniane
Tél. : 04 67 57 71 28
Fax : 04 67 57 41 03
E-mail : contact@daumas-gassac.com
Web : www.daumas-gassac.com
Les coteaux du Languedoc, ce sont 68 communes
qui ont relevé la tête et des vignerons qui choisissent la qualité plutôt que
la quantité.
Des Moulin de Gassac entre 25 et 40 FLe domaine produit également 2 à 3 millions de bouteilles sous l'appellation
générique de Moulin de Gassac. Ce sont les Guilhem, une sélection de vignes en coteaux
et des cépages traditionnels languedociens de plus de 25 ans, à 150 F TTC le carton de
six en rouges 98 et blancs 99, l'Albaran, savoureux rouge profond pour les repas d'automne
(cabernet sauvignon, syrah, mourvèdre, alicante), L'Elise, un vin de terroir fin, rond et
suave à la belle robe de velours rouge (merlot et syrah), l'Eraus, un blanc de terroir
(sauvignon), à 240 F TTC les six en rouges 98 et blancs 99. Contact : Jean-Benoît Cavalier |
"Nos vins sont cultivés
organiquement, traités sans molécules de synthèse, avec des fumures de compost de
fumier
du Larzac et des brindilles"
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L'HÔTELLERIE n° 2699 Magazine 04 Janvier 2001