C'est en décembre que Philippe Legendre a soufflé la première bougie du Cinq, le restaurant de l'hôtel George V, à deux pas des Champs-Elysées à Paris. Une année d'adaptation tant pour les clients que pour de nouvelles méthodes de travail, mais aussi une année pour la constitution d'une équipe motivée. Aujourd'hui, le pari est gagné. Le point avec le chef un an plus tard.
Nadine Lemoine
"C'est une très belle année", explique Philippe Legendre.
Pas facile de lancer un
restaurant de palace. La clientèle va-t-elle répondre à l'appel ? Vaut-il mieux parier
sur les clients de l'hôtel ou miser sur la clientèle de l'hôtel ? Jusqu'où peut-on
oser l'innovation ? Philippe Legendre s'est posé toutes ces questions. D'un naturel
discret, l'homme est pourtant très chaleureux et sait que sa force, c'est aussi ceux qui
l'entourent. Il va devoir former son équipe. Tout de suite, il fait appel à un autre
professionnel reconnu, Eric Beaumard, pour prendre la direction de la salle et de la cave,
bien sûr. Le duo fonctionne à merveille dès le départ. Le seul souci, c'est leur
manque d'expérience en matière de restaurant de palace. "Par exemple, on ne
savait pas gérer les petits-déjeuners", admet Philippe Legendre. Il leur faudra
donc prendre des dispositions.
Depuis l'été dernier, ils ont appelé du renfort : Patrice Jeanne (ancien du Plaza
Athénée, "qui connaît parfaitement l'hôtellerie de luxe"), et Thierry
Jacques (ex-Taillevent, "qui nous apporte sa connaissance de la restauration
parisienne"). "Ces deux personnes se complètent bien et nous apportent
la sérénité", insiste Philippe Legendre, qui reconnaît qu'il y a eu "un
problème d'organisation et de personnel qualifié" aujourd'hui réglé. Un an
plus tard, l'effectif a augmenté en salle. Ils sont 48 aujourd'hui à y évoluer sous la
houlette d'Eric Beaumard. Côté cuisine, le nombre de salariés varie entre 75 et 80
personnes suivant les besoins.
"Du Taillevent, je suis parti tout seul. Ensuite, toute l'équipe, sauf le chef
pâtissier, m'a suivi. Ils sont venus avec le cur. Il y a même des anciens du
Taillevent, partis bien avant mon départ, qui m'appellent pour revenir travailler avec
moi. Ça fait très plaisir", dit Philippe Legendre, qui reconnaît ne pas avoir
trop de problème de recrutement. D'ailleurs, un an plus tard, Le Cinq affiche un
turn-over qui tourne seulement entre 4 et 5 %. Le Cinq et ses 130 couverts/jour en moyenne
(une cinquantaine au déjeuner), les plats légers pour le bar, les clubs sandwichs et
salades pour la Galerie, qui fait aussi office de salon de thé avec les pâtisseries de
Laurent Jeannin, les salons de réception, le room service... Philippe Legendre doit
effectivement pouvoir compter sur une équipe fiable.
"Vivre un grand moment à table commence par le rêve et se poursuit dans la
simplicité", signé Philippe Legendre. C'est la promesse que le client découvre
en ouvrant la carte du Cinq. Puis ce sont les plats, traduits en anglais, dont les prix
sont eux-mêmes convertis en euros. Petite subtilité qui a son importance : dans la
marge, face aux produits de la mer, le chef a indiqué par des abréviations coquillages
sauvages (COS), crustacés sauvages (CS), poissons sauvages (PS). Les clients sont de plus
en plus pointilleux sur la provenance de ce qu'ils ont dans l'assiette et les précisions
ne sont pas superflues.
Du lundi au vendredi midi, une formule baptisée Propositions du marché (4 entrées, 6
plats, 3 desserts) affiche un tarif hors boisson à 393,57 et 452,61 francs, "sélection
du chef sommelier incluse". Des prix qui peuvent étonner, mais qui correspondent
en fait respectivement à 60 et 69 euros. Au George V, on anticipe. La formule a tellement
bien marché que, finalement, Philippe Legendre a décidé de l'étendre jusqu'au dimanche
midi inclus. Il a envisagé un temps de lancer un brunch et souhaitait pour cela avoir un
espace disponible tous les dimanches. "On a une très forte demande sur les
salons, donc on a dû renoncer", explique Philippe. Après réflexion, il n'a
aucun regret car la formule qui fonctionne très bien toute la semaine (encore plus le
midi) a aussi trouvé sa place le week-end. Les Propositions du marché de la semaine :
Effeuillé de raie aux artichauts et au beurre de câpres, Bouillabaisse à la niçoise,
Loubine rôtie au homard, sauce civet, Civet de lièvre aux pâtes fraîches,
Andouillettes de pied de porc à la graine de moutarde, Pigeon confit aux salsifis, jus
truffé.
La carte compte 14 viandes dont 7 gibiers. "J'ai bien sûr supprimé les ris de
veau et je n'ai jamais vendu autant de buf", annonce d'emblée le chef. La
côte de buf grillée aux deux sauces pour deux (583,80 francs, soit 89 euros) est
toujours là. "On essaye d'avoir la meilleure viande possible. Je me fournis chez
Lacour à Aubervilliers et à La Nivernaise à Paris, des maisons très compétentes. J'ai
toujours eu confiance en mes fournisseurs. En fait, c'est une confiance réciproque",
déclare Philippe Legendre qui suit la question de très près tout en refusant de se
laisser déstabiliser.
On notera la proposition table d'hôte qui accueille jusqu'à 12 personnes. Cela étonne
toujours un peu les clients, mais "en général, c'est la table qui quitte le
restaurant en dernier", précise Philippe Legendre. La promiscuité pousse les
clients à faire connaissance et les affinités font le reste. Au fond, la formule est
très conviviale et connaît d'ailleurs un beau succès.
Une carte riche et variée, deux menus (Propositions du marché et Dégustation à 983,95
francs, soit 150 euros), et le chef répond encore aux demandes précises des clients hors
carte. Il leur suffit de contacter le restaurant ou le chef lui-même, la veille au
minimum si possible, pour formuler leurs desiderata. "On doit y arriver. On est un
métier de service", souligne-t-il dans un sourire. La grande surprise, c'est la
grande activité sur les réceptions et banquets. Le service réceptions assure de 12 à
450 couverts. "Ça marche très fort. Nous avons 9 salons, soit le plus gros
volume sur Paris dans la catégorie hôtel de luxe", précise Philippe Legendre.
Pour l'anecdote, Le Cinq a servi 460 couverts (3 plats) pour l'avant-première de Clint
Eastwood. Le client a précisé en 1 heure maximum. Ce fut 47 minutes montre en main.
Miser sur la clientèle du palace ou de l'extérieur ? Philippe Legendre a choisi dès
le départ de s'ouvrir sur la ville. Le Cinq, bien calfeutré au fond du George V, doit se
forger une clientèle d'habitués. La renommée du chef (18 ans au Taillevent) joue son
rôle. Le Cinq affiche complet tous les soirs. Le restaurant ouvre ses portes dès 18 h 30
pour la clientèle anglo-saxonne et prend les commandes jusqu'à 23 heures. Une moyenne de
80 couverts le soir.
"Nous avons beaucoup d'hommes d'affaires parisiens (60 %). Beaucoup de clients
d'autres palaces de la capitale viennent chez nous et au même titre que nos clients vont
chez eux. C'est réciproque", explique Philippe Legendre pour qui la clientèle
de l'hôtel ne représenterait que 25 % de celle du restaurant. La demande extérieure est
telle que Le Cinq refuse des clients du George V. Un an après, Le Cinq fait-il des
bénéfices ? Sans hésitation, le chef répond par l'affirmative : "Sur le
restaurant, on est balance. On se rattrape sur les réceptions et, au bout du compte, on
est gagnant. C'est une très belle année." A quelques jours de ce premier
anniversaire, le chef assure que les prévisions sont dépassées de 60 % aussi bien en
nombre de couverts qu'en chiffre d'affaires.
Quitter le Taillevent après 18 ans, dont 9 comme chef, c'était un pas à franchir.
Passer d'une maison renommée à un restaurant de palace où il y a tout à créer est un
pari d'envergure. "Je n'ai pas de regret, confie aujourd'hui Philippe Legendre.
Tout ce que j'ai fait avant, notamment au Taillevent, m'a permis de venir ici. De plus, au
plan personnel, j'ai appris énormément auprès de mon équipe. C'est un beau groupe qui
s'est formé."
|
|
En chiffresOuvert 7 jours sur 7 |
Vos commentaires : cliquez sur le Forum des Blogs des Experts
L'HÔTELLERIE n° 2699 Hebdo 04 Janvier 2001