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Bouillon Chartier

Madame Sylvie et les garçons

Rue du Faubourg Montmartre à Paris, le Bouillon Chartier ne désemplit pas depuis 1896. Habitués et touristes y mangent toujours au coude à coude. Sous les yeux de Madame Sylvie.

m Lydie Anastassion

Au restaurant Chartier, il y a les garçons, et puis il y a Sylvie Hervé, ou plutôt 'Madame Sylvie', 51 ans, cheveux courts, lunettes et œil vif. Elle trône derrière la caisse surélevée d'où elle promène son regard attentif sur toute la salle du restaurant au décor de 1896. A chacune de leur sortie de cuisine, les garçons doivent obligatoirement marquer un arrêt devant elle. Plus qu'un rituel, c'est un passage essentiel. Dans ce restaurant où les garçons n'utilisent pas de bons pour prendre leurs commandes qu'ils mémorisent, c'est Sylvie Hervé qui comptabilise toutes les sorties de la cuisine. Chaque serveur arbore un numéro bien en vue sur sa poitrine, un chiffre noir dans un rond blanc. Ce qui permet à la caissière de les identifier d'un coup d'œil, d'enregistrer les plats qu'ils s'apprêtent à servir, et de leur imputer la commande sur leur chiffre d'affaires du service en cours.
"Ici, sur une même table, nous installons des clients qui ne sont pas ensemble. C'est pour cela que nous ne pouvons pas fonctionner avec des bons. Les garçons font les additions sur la table et encaissent directement", explique la caissière tout en travaillant. Le numéro 10 s'est présenté, des assiettes d'ananas et de pot au feu ménagère empilées sur le bras gauche, une demi-bouteille de vin dans la main droite, l'étiquette tournée vers le regard de Sylvie. 6, 7 secondes, moins de 10 en tout cas, il ne lui faut pas plus de temps pour enregistrer toute la commande. "Il faut être rapide et éviter les erreurs. Les garçons sont pressés car les clients attendent. Si l'un d'entre eux s'en va trop vite, je le rappelle et il revient", poursuit-elle. Et d'ajouter, mi-sérieuse : "J'ai même une petite règle en bois pour me faire obéir."
La salle, c'est son univers. Chez Chartier depuis 1993, comme dans les autres établissements dans lesquels elle a travaillé.

Vocation
"J'ai toujours été dans la restauration, raconte-t-elle. J'ai tout fait sauf la cuisine. Je crois que c'est à l'âge de 9 ans que j'ai su ce que je voulais faire. En revenant du mariage de mon parrain, nous sommes allés, avec mes parents, déjeuner au buffet de la gare Saint-Lazare. Selon ma mère, j'aurais alors déclaré que je voulais faire comme la serveuse." Contre l'avis de ses parents, elle entre ensuite à l'école hôtelière de Chelles-les-Eaux (près de Chambéry) où elle passe son CAP. "Mes parents m'ont tout d'abord dissuadée de suivre ce chemin. Ce n'était pas très valorisant selon eux." A 18 ans, la jeune femme part en Angleterre à Birmingham, un contrat de travail en poche. Un an plus tard, retour en France. Sylvie est alors réceptionniste à Châlons-sur-Marne, en Corse, au Moderne à Caen. Elle épouse un restaurateur installé aux Andelys et reprend sa liberté 7 ans après. Arrivée à Paris, elle passe derrière la caisse du DAB porte Maillot, du Racing Club de France, de la Brasserie Georges.
Aujourd'hui, elle ne peut que déplorer la disparition des caissières, remplacées par les machines, même si "c'est l'évolution normale du métier. Avant, la caissière avait un statut particulier. Elle déjeunait avec les patrons. Par rapport au reste du personnel, c'était plus cloisonné. Ensuite, les caissières ont mangé ensemble ou avec le personnel, mais jamais avec celui de la salle". Depuis, les choses se sont démocratisées. Et à 11 heures, il est possible de surprendre Sylvie, attablée en caisse, son assiette et son verre d'eau minérale sur le rebord de la planche. Les serveurs sont installés à table, les cuisiniers à une autre, de même que l'encadrement.

Déformation professionnelle
"J'aime bien être prête, justifie-t-elle. C'est la déformation professionnelle, tout comme de dîner le soir à 17 heures. Le midi, je mange à la caisse, le soir en salle." Les heures, elle ne les compte pas. "Je pars vers 10 h 30 de chez moi et je rentre vers minuit." Ses deux heures de coupure, elle peut les consacrer à prendre connaissance des courriers électroniques, à passer des Fax et s'occuper des réservations de groupe, "parce qu'elle a fait de l'informatique". Bilingue, elle traduit la carte en anglais, le week-end seulement. Sylvie comprend les réticences des jeunes à entrer dans la profession. Le plus gros problème, selon elle, ce sont les autres, "les gens normaux qui ont du mal à vivre avec nous". Un décalage qui a un bon côté : "Quand on part en vacances, il n'y a personne sur les routes et on est mieux servi. Pareil, quand on va travailler, les transports en commun ne sont pas bondés."
Sylvie s'occupe aussi des lumières et de la ventilation grâce aux gros boutons rouges situés derrière elle, des boutons que l'on pense en premier lieu destinés aux tables. Vers 14 heures, première extinction des feux dans la salle sous la verrière et à l'étage. Les premiers clients sont partis. Dans la salle, le brouhaha est retombé. On entend le bruit du métro. Le service se poursuit jusqu'à 15 heures dans la garde et la sous-garde, plus près de l'entrée, à gauche de la caisse. Dans un coin, dans la partie désertée, un garçon enlève sa cravate et pose sa veste noire sur le dos d'une chaise. Un autre passe prendre son ticket à la caisse sur lequel est inscrit son chiffre d'affaires et s'installe à une table pour faire ses comptes. D'un côté, les chèques bancaires et les tickets-restaurants qu'il donnera au responsable, de l'autre, les espèces destinées à la caisse. "Ce sont toujours les mêmes qui réalisent les plus gros chiffres, ce sont les plus rapides, commente-t-elle tout en encaissant les recettes de chacun. Ça y est, je baisse la ventilation et dans 10 minutes, on éteint tout." Jusqu'à ce soir, Madame Sylvie. *

Bouillon Chartier
7, rue du Faubourg Montmartre
75009 Paris
Tél. : 01 47 70 86 29
Fax : 01 48 24 14 68
E-mail : bouillon.chartier@wanadoo.fr


Dans ce restaurant où les garçons n'utilisent pas de bons pour prendre leurs commandes qu'ils mémorisent, c'est Sylvie Hervé qui comptabilise toutes les sorties de la cuisine.


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L'HÔTELLERIE n° 2703 Magazine 1er Février 2001


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