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Créer une affaire de famille, c'est le rêve de beaucoup. Pour l'atteindre, il faut faire preuve à la fois d'enthousiasme et de réalisme sans jamais oublier que seule la clientèle pourra donner vie à ce souhait. C'est sans doute ce qui explique la réussite des nouveaux propriétaires des Bartavelles à Mandelieu.
m Elodie Bousseau
En avril 2000, la plus
vieille maison de La Napoule est reprise par une nouvelle équipe. Quelques mois plus
tard, alors que la saison estivale est déjà loin, ce restaurant a réussi le pari de
séduire à nouveau non seulement la clientèle touristique, mais aussi les consommateurs
locaux.
Tout a commencé par un rêve d'enfant : tout jeunes, Frédéric Boissy et sa sur
Michèle s'imaginaient travailler ensemble et créer leur entreprise familiale. En avril
dernier, le rêve est devenu réalité, lorsqu'ils ont ouvert leur restaurant, Les
Bartavelles, à Mandelieu-la-Napoule. Et la réalité a d'ailleurs encore plus abouti que
l'idée de départ, puisqu'ils ont à leur côté un troisième associé, Sylvain Michaux,
le compagnon de Michèle.
Créer son affaire familiale
Mais le destin a bien failli en décider autrement. Si Frédéric commence bien sa
carrière derrière les fourneaux au début des années 80, c'est d'abord grâce à un
apprentissage dans les cuisines de Matignon qui lui ouvre de nombreuses portes, et lui
donne avant tout le goût des réceptions. Logiquement, il se tourne alors plutôt vers
une activité traiteur où il peut mettre en uvre à loisir son goût de la fête.
Pendant ce temps, Michèle travaille de l'autre côté de la barrière, en particulier
dans l'organisation de salons. Les désirs des clients et la difficulté de les
satisfaire, elle connaît. D'ailleurs, comme elle le dit elle-même, "en créant
mon propre restaurant, je savais d'abord ce que je ne voulais pas".
De par sa profession de gestionnaire dans un grand groupe international, le dernier
associé paraissait encore moins promis à un avenir dans la restauration. Mais c'était
sans compter sur sa passion des vins et surtout sur la volonté de chacun des membres du
trio de se lancer dans une aventure commune.
Pourtant, de leur décision de reprendre un établissement à leur installation à La
Napoule, un long chemin restait à parcourir. Rapidement, ils se sont décidés pour la
Côte d'Azur, "un joyau avec un fort potentiel", selon leurs propres
termes, où il est possible de proposer une cuisine inventive aux saveurs originales. A
condition, que les trois associés gardent constamment à l'esprit : "d'essayer de
fidéliser les gens et non pas se contenter de ne profiter que de l'afflux
touristique".
Encore fallait-il trouver un établissement de choix, facile à mettre en avant en été,
mais aussi aisément accessible par les Cannois les mois d'hiver. "On ne peut pas
compter uniquement sur le rachat d'une clientèle pour faire marcher une entreprise,
explique Sylvain Michaux. Il nous fallait donc avant toute chose un emplacement, une
adresse de charme mais également facile à trouver. Et ça n'a pas été simple : avant
de choisir, nous avons visité plus de cinquante affaires. Notre première démarche
était d'ailleurs de reprendre un hôtel-restaurant, mais on a finalement dû se rabattre
sur un restaurant."
Changer l'esprit, pas les lieux
Il est vrai que la localisation des Bartavelles est l'un de ses atouts. En plus de la
proximité de Cannes, qui permet de profiter à la fois des habitants de la ville comme de
son activité de congrès, le restaurant est parfaitement situé sur la place du Château
à La Napoule, et possède une agréable terrasse utilisable une bonne partie de l'année.
L'ancienneté de l'établissement est un autre point en sa faveur puisqu'il est connu de
longue date sur le plan local.
Mais un peu de changement était indispensable pour redonner un certain élan à
l'affaire. La toute première modification entreprise, celle du nom, n'était d'ailleurs
pas seulement symbolique. L'ancienne dénomination, Le Clacanthe, nom d'un poisson
préhistorique, était incompréhensible mais surtout imprononçable pour bon nombre de
clients, sans même parler de la clientèle étrangère. Les Bartavelles, du nom des
oiseaux chassés par le père de Marcel Pagnol dans La gloire de mon père, a une
sonorité et une connotation nettement plus provençale. Et pour tous ceux qui n'ont pas
lu le livre, la carte en cite un passage, clin d'il supplémentaire à l'esprit du
Sud. Pour le reste, les nouveaux propriétaires n'ont pas souhaité transformer les lieux.
Quelques travaux de mise aux normes, un peu de décoration, un réaménagement de la
terrasse et l'établissement pouvaient repartir. Le changement le plus important a
concerné l'axe de développement. Etoffer la carte, reprendre complètement la carte des
vins, se refaire une clientèle, voilà les grandes ambitions des repreneurs. Voilà aussi
les trois domaines où ils ont laissé leur empreinte.
Le client est roi
Lorsque Frédéric Boissy se met aux fourneaux, c'est d'abord pour nous faire partager son
plaisir. Des produits de qualité, une touche d'exotisme, des saveurs soignées, le tout
enrobé d'un esprit festif, telle pourrait être la définition de sa cuisine. Quelques
plats aux noms qui donnent des envies de voyage sont très vite devenus des
incontournables de la carte : c'est le cas du Tagine de homard mitonné aux épices de
Guyane et saveurs de truffe, flambé à l'armagnac, ou de la Marmite coloniale. Même sur
la Côte d'Azur, peu de restaurants proposent une cuisine à la fois élaborée et
originale. Pourtant, la clientèle très cosmopolite y est plus curieuse qu'ailleurs. "Le
choix, c'est la diversité, souligne Frédéric Boissy, alors on essaye de faire
des choses différentes. Ici, c'est plus facile qu'ailleurs. Mais cela reste un pari. Il
faut oser." Et pour ceux que cette aventure ne tente pas, le chef a prévu des
plats plus typiquement hexagonaux, comme le Tronçon de lotte et thon parfumé à la
bordelaise ou les Médaillons de dos de lapin fourrés d'un fondant de poireaux confits.
Il est vrai que le souhait principal des propriétaires des lieux est de satisfaire tout
le monde ou presque. Ici, quand on dit, le client est roi, ce n'est pas un vain mot. Des
petits plus sont prévus pour contenter bien des désirs de la clientèle, à commencer
par la carte des vins particulièrement soignée et qui comporte plus de 110 références.
On y trouve un peu de tout, ce qui est peu fréquent dans la région où la clientèle
estivale est surtout consommatrice de rosés. Mais pour l'arrière saison, il fallait une
carte largement plus étendue avec de belles propositions notamment en bordeaux et en
bourgognes. Les Bartavelles proposent aussi à leurs clients une cave à cigares et même
un coin sucettes pour les enfants. Côté menu, ceux-ci n'ont pas été oubliés, mais il
est aussi prévu un menu adolescent, parce qu'après 12 ans, on n'a pas forcément les
mêmes goûts que ses parents.
Toujours prêts
Surtout, pour séduire la clientèle, il faut être prêt à l'accueillir lorsqu'elle le
souhaite. Si l'établissement était auparavant plutôt saisonnier, sans dates précises
d'ouverture et de fermeture, les Boissy ont voulu rompre avec cette habitude. Maintenant,
l'adresse fait presque office de permanence gastronomique puisqu'il est ouvert 7 jours sur
7, toute l'année. Quant aux horaires, ils sont particulièrement souples avec une prise
de commande en soirée au moins jusqu'à 22 h 30, voire minuit en saison. C'est d'ailleurs
cette politique d'accueil élargie qui les a conduits à ouvrir le restaurant pour le
déjeuner depuis le mois de novembre, afin de satisfaire une demande de repas d'affaires.
Visiblement, la clientèle apprécie ces ouvertures tardives. "Il y avait une part
de marché à prendre de ce côté", explique Frédéric Boissy. "Mais,
ajoute sa sur, cela ne peut se faire que parce que nous sommes une entreprise
familiale et que nous n'avons pas à gérer un roulement de brigades."
Se plier aux exigences de la clientèle, c'est également tenir compte de son désir
croissant d'information et de qualité sur les produits qu'elle consomme. Pour prévenir
ce souhait, les trois associés n'ont pas attendu la nouvelle crise de la vache folle.
Depuis l'ouverture, la carte des Bartavelles précise très clairement qu'elle est "élaborée
avec une sélection rigoureuse des provenances et appellations d'origine". "Pour
être libre dans son entreprise, renchérit Sylvain Michaux, il faut la gérer en
respectant toutes les règles, ce qui veut dire aujourd'hui aussi jouer le jeu de la
provenance et de la traçabilité." Résultat, à l'automne, les ventes de
buf ont baissé, mais ne se sont pas effondrées. La carte, renouvelée presque
complètement juste avant les événements, proposait déjà une offre élargie sur la
volaille ou l'agneau, avec des produits originaux. Mais pour laisser un choix constant au
consommateur, les propriétaires ont décidé d'ajouter un plat du marché dans le premier
menu, où figure, parmi trois plats, une Bavette d'aloyau à l'échalote.
Sur la voie du succès
Sans doute le client a-t-il senti ce souci constant de lui plaire. En tout cas, il n'a pas
attendu longtemps pour répondre aux efforts de la nouvelle équipe. Quelques mois
seulement après l'ouverture, celle-ci pouvait se targuer d'être déjà parvenue à
fidéliser une clientèle. Un signe qui ne trompe pas : lors du changement de carte,
annoncé 15 jours auparavant, nombre de clients sont venus spécialement pour la goûter.
Côté chiffres aussi, la réussite est au rendez-vous. "Pour cette première
année, nous allons terminer avec un chiffre d'affaires de 2,5 millions de francs alors
que nos objectifs étaient à 1,9 million de francs", avoue, non sans fierté, le
gestionnaire de l'équipe, Sylvain Michaux.
Pour autant, les trois repreneurs conservent les pieds sur terre. "Atteindre des
objectifs en termes de chiffre d'affaires, c'est une chose, mais améliorer sa
rentabilité, c'en est une autre, beaucoup plus difficile." Pour cela, il leur
faut encore travailler, sans perdre leur belle lucidité qui ne les conduit pas forcément
à rêver d'étoiles, comme ils l'avouent dans un discours à trois voix. "L'erreur
de nos prédécesseurs a été de faire la chasse à l'étoile. Nous, on veut avant tout
que les clients se sentent à l'aise. C'est complètement décalé d'imposer un style au
client dans l'idée d'obtenir une étoile. Tant mieux si elle arrive au bout du compte,
mais ce qu'il y a de mieux, c'est lorsque des clients nous recommandent à d'autres.
Sinon, c'est un peu comme un film qui gagne un César mais ne fait pas d'entrée."
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En avril dernier, le rêve est devenu réalité, lorsque Frédéric, Michèle et
Sylvain ont ouvert leur restaurant Les Bartavelles, sur la côte d'Azur.
La carte des vins particulièrement soignée et qui comporte plus de 110
références.
Les nouveaux propriétaires n'ont pas souhaité transformer les lieux. Quelques
travaux de mise aux normes, un peu de décoration, un réaménagement de la terrasse et
l'établissement pouvaient repartir.
En chiffres |
Effectif 5 salariés en hiver 8 en été Capacité Ticket moyen Menus Carte |
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L'HÔTELLERIE n° 2707 Magazine 1er Mars 2001